Alain, nous pouvons tirer avec vous plusieurs bilans du Tour 2014, mais commençons par le bilan de l’équipe que vous dirigez…
Nous avons multiplié les déceptions. D’abord avec Fabian Cancellara. Nous sommes un peu déçus d’être passés à côté de l’étape des pavés. Il a manqué quelque chose à Fabian. Dans la foulée, il a fallu qu’il crève dans l’étape de Nancy alors qu’il était super. Il a ensuite pris la 2ème place à Mulhouse. Le plan, c’était qu’il nous gagne une étape en première semaine. C’est pour cela qu’il faisait partie de l’effectif. Il y a eu en outre le problème avec Danny Van Poppel, la chute d’Andy Schleck (NDLR : rupture des ligaments croisés). L’objectif était aussi d’essayer d’en mettre un ou deux dans le Top 10. Haimar Zubeldia a terminé 8ème en dépit d’une frustrante crevaison dans la descente du Port de Balès. Quant à Frank Schleck, 12ème après un an sans courir, il a montré de belles choses.

Fabian Cancellara avait osé un coup du kilomètre dès la première étape à Harrogate. N’aurait-il pas donné une autre dynamique à l’équipe en réussissant son coup ?
C’est ce qu’avait fait Jan Bakelants l’an dernier et c’est vrai que ça change beaucoup de choses quand on démarre le Tour comme ça. Fabian Cancellara était prêt pour ce début de Tour, il voulait vraiment y faire quelque chose même s’il a désormais pour objectif prioritaire le Championnat du Monde. Gagner la première étape et prendre le maillot jaune suffit pour décontracter tout le monde. Mais nous avons un sponsor qui construit sur l’avenir, et nous n’avons pas eu la pression du résultat en interne.

Que retenez-vous du 101ème Tour de France à titre plus général ?
Vincenzo Nibali n’est pas un vainqueur au rabais. Il a gagné la Vuelta, le Giro et a déjà fait 3ème du Tour il y a deux ans. Il n’y a rien à dire quant à sa victoire. C’est un champion, un coureur complet qui n’avait plus besoin de prouver sa valeur. Derrière, on a vu de belles choses de la part du cyclisme français. Jean-Christophe Péraud 2ème du Tour à 37 ans avait bien préparé son coup : c’est le fruit du travail, pas du hasard. Thibaut Pinot 3ème a confirmé son talent : il a encore des failles dans le vent mais on sait que quand ça monte c’est le plus fort. On a vu Romain Bardet. Et un certain Tony Gallopin qui a éclaboussé le début du Tour avec un maillot jaune et une victoire d’étape.

On sent que c’est l’événement qui vous a le plus marqué sur ce Tour de France ?
C’est un peu égoïste mais le maillot jaune de Tony restera l’image marquante de ce Tour pour moi. Ça a une autre dimension qu’une étape car c’est significatif. Il l’a porté le 14 juillet, mais même sans ça le maillot jaune fait ressortir en moi beaucoup de souvenirs familiaux, de mon ami Fignon, des drames vécus aussi dans la famille de Tony, avant qu’il ne vienne au monde. Ça a été un moment émouvant pour moi comme pour tout le monde. Deux jours après à Besançon, quand je suis allé chercher mon pain le jour de repos, une dame m’a interpellé : « vous n’êtes pas monsieur Gallopin ? Je n’y connais rien au vélo mais vous m’avez émue hier, j’ai presque versé une larme devant mon poste. »

Avez-vous été épaté par ce qu’a réalisé votre neveu ?
Je ne suis pas surpris de voir Tony faire des choses comme ça. J’ai en revanche été un peu surpris de la façon dont il a gagné l’étape d’Oyonnax. C’est la grande classe. Seuls des Cancellara, Nibali ou un grand Sagan peuvent réaliser ça. C’est réservé à une petite quantité de coureurs. Tony n’a que ce qu’il mérite : il travaille beaucoup, il est sérieux. Et n’oublions pas qu’il était déjà passé tout près du maillot jaune en 2012 quand Thibaut Pinot avait gagné son étape. Sans le travail des Liquigas derrière il aurait pris le maillot jaune ce jour-là. Qu’il ait eu la réussite cette année, c’est une juste récompense.

La prochaine grosse échéance, celle de la Vuelta, approche. Quel y sera l’effectif de Trek Factory Racing ?
Nous avons fait un bon Giro avec Julian Arredondo, Robert Kiserlovski, Giacomo Nizzolo… Je pense qu’on fera aussi une bonne Vuelta avec une équipe assez solide. Fabian Cancellara y sera, Julian Arredondo aussi. La sélection suivra après le Tour de Pologne quant à savoir si on prend Kiserlovski ou Zubeldia. On va aussi mettre en route quelques jeunes comme Bob Jungels, Jasper Stuyven, Jesse Sergent…