Alberto, votre victoire dans le Tour de France 2010 a-t-elle été plus difficile physiquement que la difficulté mentale de celle de l’an passé ?
Tous les Tours sont difficiles à gagner pour une raison ou pour une autre. Effectivement, l’année dernière pour des raisons différentes, c’était très difficile. Cette année il y a eu des moments où je n’étais pas particulièrement bien, c’était le cas aujourd’hui. Je ne saurais dire lequel des deux Tours a été le plus dur mais ça n’a pas été simple cette année.

Vous attendiez-vous à cela ?
A vrai dire, c’est vrai que je suis très content de la manière dont les choses se sont passées cette année mais les quelques victoires que j’ai pu obtenir en début de saison m’ont coûté beaucoup de travail. Les gens disent que je ne fais pas beaucoup de compétitions, c’est vrai, mais je passe beaucoup de temps à m’entraîner pour être dans les meilleures conditions possibles. Après, on ne sait jamais si on va être capable d’arriver à atteindre l’objectif qu’on s’est fixé.

Avez-vous eu peur, dans le contre-la-montre final, de ne pas gagner ce Tour ?
J’ai eu des informations qui me disaient que j’avais 5 secondes de retard sur Andy Schleck, j’ai beaucoup souffert. J’avais confiance, je pensais pouvoir maintenir le même rythme jusqu’à la ligne d’arrivée, je suis resté très concentré pour faire passer ces kilomètres de la meilleure manière possible. A un moment, j’ai pensé que c’était fichu car on me disait que j’avais du retard, j’ai eu des doutes jusqu’à l’arrivée.

Vous dites avoir eu de mauvais jours, pourquoi ?
En fait, on ne sait jamais trop pourquoi. Beaucoup de facteurs entrent en jeu pour préparer un Tour, comme sur toutes les grandes épreuves. Il faut faire des efforts, profiter des moments de repos au maximum. Le cyclisme, ce ne sont pas des mathématiques, il y a des moments où on est bien préparé et alors tout se passe bien. Je ne suis peut-être pas arrivé dans la meilleure forme. Je n’étais pas bien aujourd’hui, j’ai mal dormi, j’avais mal au ventre mais finalement les choses se sont bien passées.

Comparativement à l’an passé, vous étiez en-dessous ?
Parler de pourcentage de forme, c’est difficile. C’est vrai qu’il y a des moments où j’ai eu les mêmes sensations, d’autres fois j’étais en meilleure forme. C’est difficile à dire.

Quels ont été vos mauvais jours ?
Les mauvaises journées, je ne vous dirai pas lesquelles c’était. De toute façon, ce n’est pas là-dessus qu’il faut déterminer la victoire. J’ai eu un problème d’allergie très présent. On a eu un hiver pluvieux et je pense que ça a pu avoir une influence sur mes capacités.

Andy Schleck termine deuxième du Tour, comme l’an passé, mais il se rapproche de vous au classement général. Comment allez-vous aborder la prochaine édition du Tour ?
C’est très loin encore, on a un an devant nous. Effectivement, Andy est un très grand coureur et j’ai passé beaucoup de temps avec lui, je le connais, je connais sa mentalité, sa manière de fonctionner. Ce sera un coureur, je pense, qui va être mon adversaire pendant beaucoup de temps. Il est très jeune, moi aussi, et je pense qu’il va continuer à s’améliorer. Cette fois-ci il était à un niveau similaire à celui de l’an passé, c’est moi qui n’étais pas au niveau de l’an dernier. Mais finalement j’ai réussi à me maintenir en tête, on verra pour l’avenir.

Vous avez été moins fort que l’an passé, pourquoi ?
Le cyclisme n’est pas une science exacte, ce sont des efforts et il faut savoir alterner les efforts et les temps de repos. Juste avant le Tour, j’étais sous traitement antibiotique, j’avais pris froid. Ca a pu avoir une certaine influence. Après, gagner le Tour de quelques secondes, toutes les grandes courses se gagnent comme ça. On sait que tous les coureurs ont des niveaux très proches et les différences au bout du compte sont toujours minimes.

Vous allez gagner le Tour pour 39 secondes, soit le temps exact repris à Andy Schlekc sur l’incident du Port de Balès, qu’est-ce que ça vous inspire ?
Ces 39 secondes, c’est vrai que c’est le même écart qu’à Bagnères-de-Luchon, mais c’est une victoire qui m’a beaucoup coûté et je suis extrêmement ému. Je crois qu’il y a beaucoup d’interprétations possibles, il y a des situations très difficiles. On est dans un moment déterminé. Il n’y a pas un guide à suivre, il y a des règles non écrites que l’on adapte en fonction des situations. Les choses peuvent être très différentes selon le contexte.

Que représente une victoire dans le Tour pour vous ?
C’est le rêve de tous les coureurs. Quand on est tout petit et qu’on monte sur une bicyclette, on a envie de gagner le Tour. C’est la plus belle épreuve du monde, ça ne peut pas se comparer avec une autre. C’est aussi une tension permanente, essayer de gagner. Vous ne pouvez pas imaginer actuellement le soulagement que je ressens. C’est beaucoup de pression, celle de l’extérieur mais aussi celle que l’on se met soi-même. C’était mon objectif prioritaire et c’est une libération.

Vous estimez que ce Tour vous a coûté mentalement ?
C’était compliqué, parce qu’il me fallait rester concentré de manière permanente. Je pense que nous avons assez bien géré l’équipe, en particulier dans les étapes de montagne, où j’ai été soutenu. Il a fallu gérer la course à l’économie, et en particulier si l’on considère les efforts que je devais faire et les coureurs que je devais suivre. Le secret de la victoire réside ici.

Maintenant que vous avez gagné, auriez-vous changé quelque chose dans votre préparation ?
Non, je ne change rien. J’ai réussi, j’ai atteint mes objectifs. C’est déjà difficile de gagner alors s’il faut revenir sur les orientations prises, on n’en sort pas. J’ai fait une bonne saison. Dans toutes les épreuves que j’ai pu faire, j’ai été dans les premiers.

Vous ne ferez pas le Giro l’an prochain, si vous ne changez rien ?
Je ne le sais pas encore. Actuellement, je vais d’abord me reposer, éclaircir un peu mon avenir en ce qui concerne 2011. Je voudrais avoir une année relativement tranquille, passer un hiver tranquille, savoir exactement où je vais me situer puis on fixera les objectifs. Le Tour sera mon objectif mais je n’écarterai pas pour autant le Giro et la Vuelta.

Peut-on vous voir au départ de la Vuelta en septembre ?
Sincèrement, pour l’instant, ce que je veux c’est me reposer. Je verrai ensuite avec le directeur sportif de l’équipe ce que je vais faire mais le plus probable c’est que je n’y participerai pas.

Qu’est-ce qui a changé entre votre premier succès en 2007 et le troisième que vous vous apprêtez à obtenir ?
La victoire de 2007 était très particulière, ce n’était pas non plus quelque chose à quoi je m’attendais. J’avais décidé d’essayer d’avoir le Maillot Blanc de meilleur jeune. J’ai mal aux jambes mais en 2007, quatre ou cinq heures après ma victoire, j’avais aussi mal aux jambes que sur le vélo. Ces choses ont changé, j’ai plus d’expérience, j’ai essayé d’autres tactiques, mais d’un autre côté je suis toujours le même coureur, j’ai toujours les mêmes idées mais j’ai plus d’expérience et c’est la différence.

Propos recueillis à Pauillac le 24 juillet 2010.