Bernard, vous avez fait connaître hier votre décision de quitter votre poste de sélectionneur de l’équipe de France pour prendre une retraite bien méritée. Depuis quand cette idée mûrissait-elle ?
Je l’avais en tête depuis le début de l’année. Mais je n’en faisais pas part car quand tu dis que tu arrêtes, tu as déjà arrêté. Je ne voulais pas donner l’image de quelqu’un sur le départ qui serait moins impliqué. Ne serait-ce que par respect pour les coureurs et l’équipe que je formais. J’ai donc préféré attendre la fin de ma mission pour donner l’information au moment souhaité. La passion ne m’a jamais quitté mais j’avais conscience que le temps était venu de finir mon parcours, d’arrêter avant qu’il ne soit trop tard. Les raisons familiales ont aussi pesé. Voilà quarante ans que ma femme supporte un mec avec ses valises, toujours au téléphone, toujours sollicité ici ou là. J’espère à présent profiter de mes vieux jours auprès de ma famille.

Le monde du cyclisme vous reconnaîtra toujours une philosophie « équipe de France ». Sur quoi repose-t-elle ?
D’abord sur le contact avec les athlètes. Je me suis toujours inscrit dans un esprit de cohésion d’équipe. De par mon expérience, en tant que coureur puis de sélectionneur, c’est toujours lorsqu’on est bien soudés, qu’on rigole ensemble, que tout le monde s’entend bien et avance avec le même objectif, que le résultat arrive. Ma philosophie, ça a toujours été de donner le plaisir d’appartenir à l’équipe de France. Et de faire respecter les valeurs du maillot national, que j’ai défendu en tant que coureur et auquel je tiens beaucoup. C’est un maillot avec lequel je me suis imposé dès ma première sélection en équipe de France amateurs. Un maillot avec lequel j’ai obtenu la médaille de bronze du Championnat du Monde amateurs en 1973, avec lequel j’ai participé aux Jeux Olympiques, avec lequel j’ai côtoyé Bernard Hinault chez les pros quand il est devenu champion du monde en 1980…

Ce maillot, c’est aussi celui qu’il vous a été donné de défendre après votre carrière sportive. Aspiriez-vous déjà à un tel parcours au service de l’équipe de France ?
Quand j’ai mis un terme à ma carrière pro en 1984, j’ai intégré l’INSEP (Institut National Supérieur d’Education Physique) pour préparer le professorat du sport. Puis j’ai été formateur au Bataillon de Joinville (NDLR : une unité militaire de l’armée accueillant les sportifs appelés au service militaire) pendant un an avec des coureurs comme Laurent Jalabert, Pascal Chanteur, Laurent Madouas… Avant de rejoindre la Fédération Française de Cyclisme à la tête de l’équipe de France Juniors en 1988.

La structuration du cyclisme n’avait alors rien à voir avec celle qu’on lui connaît désormais…
A mes débuts, elle était assez empirique. Il n’existait pas de challenges nationaux Juniors, pas de Coupe des Nations Espoirs, par de WorldTour, pas d’équipes continentales… Les amateurs ne couraient pas beaucoup avec les pros, il n’y avait pas beaucoup de confrontations internationales entre les Juniors, pas de Championnats d’Europe… Je faisais des stages, je faisais tourner les effectifs en sélectionnant une quarantaine de coureurs par an.

Tour à tour, vous avez porté la casquette de sélectionneur des équipes de France Juniors (1988-2004), Espoirs (2005-2012) et professionnelle (2013-2016). Que retenez-vous de ces expériences successives ?
J’ai fait mon travail avec beaucoup de passion auprès des Juniors pendant dix-sept ans, sans chercher à aller plus haut. Tous les ans, je rencontrais de nouveaux gamins, comme un instituteur qui découvre une nouvelle classe au 1er septembre. Puis avec les Espoirs j’ai récupéré des coureurs que j’avais formé en Juniors. Je les ai préparés au haut niveau à travers les Championnats d’Europe et du Monde. J’y ai eu plus de résultats. On approchait le haut niveau et en tant qu’ancien pro, j’étais dans mon élément. Intégrer l’équipe de France professionnelle en 2013 a été la cerise sur le gâteau. On m’a sollicité, j’ai déposé ma candidature. Terminer à ce niveau, celui que j’avais atteint du temps de ma carrière cycliste, m’a permis de boucler la boucle.

L’esprit Bleu que nous évoquions a-t-il été aussi aisé à véhiculer chez les professionnels quand vous avez pris vos fonctions il y a trois ans ?
C’était ma philosophie et j’ai toujours travaillé dans ce sens. Ces gamins, je les ai connus chez les Juniors, chez les Espoirs. Quand je les ai retrouvés chez les pros, je n’ai pas changé mon discours. Ni mon approche envers eux. Le contexte était différent mais je n’ai jamais fait de complexe vis-à-vis de leur stature ou de leur palmarès. Ce sont des gars que j’ai connus, que j’ai formés. Et j’ai ressenti chez eux le même respect pour moi. Chez les pros interviennent les équipes, les intérêts personnels, les contrats, les rivalités, la pression médiatique… C’est évidemment plus difficile. Ces quatre dernières années, j’ai rencontré des groupes qui s’entendaient super bien, d’autres où la rivalité était plus importante. On en causait beaucoup… Et en dépit de pépins de santé j’ai pris du plaisir à composer l’équipe de France.

Quels coureurs auront marqué votre carrière ?
Ma carrière a été trop longue pour ne retenir qu’un coureur. Et je ne voudrais pas en outre me mettre en porte-à-faux avec des gars pour lesquels j’ai aussi beaucoup de respect. Je préfère retenir des périodes, des moments forts. Les années Juniors avec Stéphane Heulot, Philippe Gaumont, Laurent Lefèvre… Le doublé Tour de l’Avenir-Championnat du Monde Espoirs de Romain Sicard en 2009. Le doublé Arnaud Démare-Adrien Petit au Championnat du Monde Espoirs 2011 à Copenhague. Le Tour de l’Avenir 2012 de Warren Barguil. Et les résultats de Julian Alaphilippe cet été : sa 4ème place aux Jeux Olympiques, qui reste la meilleure performance française aux JO, puis sa médaille d’argent au Championnat d’Europe chez nous à Plumelec, derrière Peter Sagan.

Qu’avez-vous envie de transmettre à votre successeur, dont on ne devrait pas connaître l’identité avant le mois de mars ?
Je lui transmets d’abord une partie d’un effectif français au gros potentiel et qui est encore en formation. Je n’ai pas pu bénéficier de ses résultats car il est encore un peu jeune et la rivalité de plus en plus importante, mais je pense que dans les prochaines années on aura des médailles avec ces coureurs. Je transmets ce potentiel, qui est passé dans mes mains chez les jeunes puis chez les pros. Et je lui conseillerai de construire autant que possible une équipe, en fonction de la topographie des championnats, des leaders. Comme je l’ai fait, je lui conseillerai enfin d’avoir beaucoup de contact avec les coureurs, mais également avec les directeurs sportifs et les équipes. Ce sont elles qui les paient, qui les forment, qui les entraînent. Il faut en tenir compte, et travailler avec elles pour pouvoir préparer les championnats.

Garderez-vous un œil sur l’évolution des coureurs que vous avez encadrés ?
C’est évident. J’ai passé cinquante ans à pratiquer et à encadrer. C’est avant tout une passion, et je vais continuer à suivre tous ces jeunes qui vont progresser, cette génération qui est passée entre mes mains. Je vais aussi profiter de la vie, avec moins de pression. Je vais faire un petit peu d’activités. J’habite désormais en montagne, à côté de Sallanches. J’ai beaucoup de projets, de randos. Et je veux en faire profiter ma famille et ma femme qui supporte cela depuis quarante-cinq ans !