Guy, comment devient-on organisateur des Six Jours de Grenoble ?
En 1990, j’ai saisi l’opportunité de pouvoir diriger le Palais des Sports de Grenoble et, par la même occasion, de gérer les événements déjà programmés par mes prédécesseurs. Les Six Jours y étaient à l’affiche depuis 1971. Il est vrai que dès mon arrivée, l’esprit de la manifestation ne me plaisait plus. J’étais persuadé qu’il nous fallait proposer quelque chose de différent, quelque chose de plus attrayant pour les spectateurs.

Pas facile de changer les habitudes du monde cycliste…
Au même moment, je faisais la connaissance de Bernard Thévenet qui, lui, connaissait parfaitement les Six Jours grenoblois pour les avoir gagnés à deux reprises. C’est alors que je lui ai présenté un nouveau concept d’organisation. Lui, après l’avoir examiné avec attention, m’a répondu que ça allait marcher, que j’étais complètement fou mais que ça allait fonctionner auprès du public. Cela fait vingt ans que nous travaillons main dans la main.

Quel était le concept ?
Une fête populaire, tout simplement. On était arrivé à la fin des grandes années durant lesquelles le cyclisme sur piste était réservé aux puristes, à un public de connaisseurs. Il fallait alors tourner la page et proposer une manifestation populaire.

Comme en Allemagne, Belgique et Hollande ?
Alors attendez, parce que les Allemands et les Hollandais ont été les premiers à nous copier ! Vous allez comprendre pourquoi. D’abord, j’ai installé au milieu de la piste un type de restauration que le Club Med avait déjà fait avant moi : le buffet à volonté. Mais pas seulement, parce qu’il fallait aussi prévoir des animations entre les diverses épreuves sportives afin qu’il n’y ait aucune coupure durant la soirée. Eh bien, à l’instar des cabarets parisiens qui proposent une soirée spectacle à leur clientèle, nous, nous avons créé notre propre dîner-spectacle mais avec le cyclisme sur piste comme maître-mot. Un dîner-spectacle qui dure six heures.

Dites-nous en plus…
Pour que la fête soit réussie il faut de la musique. Alors on n’a pas hésité à faire venir un orchestre pour mettre de l’ambiance dans les gradins. On a également inclus des numéros de cirque internationaux, puis des cascadeurs à moto, la revue cabaret des danseuses du Paris Folies, des ténors d’opéra… Vous voyez, on est toujours dans le festif.

Et les Allemands alors ?
Ah, les Allemands… Au début ils venaient nous rendre visite et ils rigolaient. Ils me prenaient pour un fou. Ils me demandaient quelle était la place du sport dans tout cela. Les journalistes français, idem. Je leur répondais que les moyennes de courses augmentaient d’année en année et que les coureurs étaient plus que ravis. Et bien évidemment, peu à peu, ils ont été séduits et ont fini par me demander conseil.

Et le sport dans tout cela ? Parlons-en.
On a été les premiers à intégrer les sprinteurs au programme plutôt classique de la compétition. C’est-à-dire qu’en plus des coureurs vedettes de Six Jours nous avons commencé par accueillir la génération des Michael Hübner, puis c’étaient les Rousseau, Tournant, Baugé, Levy, Mulder et autres champions de la discipline pour des matches de vitesse individuelle. Sans oublier les jeunes, car tous les soirs avant la course des professionnels, à partir de 18h00, ce sont les Minimes et les Cadets qui disputent leurs épreuves en alternance avec les féminines et les Juniors. On se doit de faire courir les jeunes. Nous en sommes fiers.

Un projet sportif séduisant…
Sachez qu’on ne dégage aucun bénéfice financier en organisant ce genre d’opération pour les jeunes. Toutefois, j’aimerais préciser une chose au sujet des sprinteurs. En France, ils sont juste bons à nous ramener des médailles et puis après, plus rien. On les abandonne. Chez nous, on pense différemment. Je vais vous citer un exemple : il y a une très grosse prime de 7 000 euros pour le sprinteur qui battra le record du tour de piste détenu par Kevin Sireau. On essaie de penser à eux car j’ai toujours eu beaucoup d’estime pour ces gens-là, un peu comme pour les rugbymen d’ailleurs. Je les trouve humbles, simples et intelligents. Cette année, il y a 48 000 euros de prime pour les sprinteurs.

Quelle est la fonction de Bernard Thévenet durant la manifestation ?
C’est le directeur de course. Il est en contact direct avec Daniel Mangeas, le speaker, et avec les commissaires internationaux qui veillent à ce que le règlement de l’UCI soit respecté. Il collabore pareillement avec Laurent Biondi, le responsable du quartier coureur, qui lui est chargé d’accompagner l’ensemble des participants sur la ligne de départ afin que le timing de la soirée soit respecté.

Certains disent que l’ambiance d’aujourd’hui n’est plus celle d’autrefois.
Avant, le public se déplaçait pour voir des routiers professionnels comme Merckx, Sercu, Moser, Maertens ou Thévenet. N’oubliez pas que les salaires des équipes professionnelles sur route de l’époque n’étaient pas ceux de maintenant. La tournée des vélodromes permettait alors aux coureurs de gagner de l’argent durant l’hiver. Aujourd’hui, les routiers ne viennent pratiquement plus. Et je vais vous dire, très honnêtement, depuis 1990, les professionnels routiers qui ont joué le jeu sont bien peu nombreux. Il y a eu Fignon, Duclos-Lassalle, Biondi et Bincoletto. Les autres, et parmi eux de très grands noms du cyclisme mondial, se sont comportés comme des poules mouillées tellement ils avaient peur. Rouler à fond sur une piste pendant six jours, c’est un vrai métier vous savez ! Et en ce qui concerne l’ambiance d’aujourd’hui, je vous invite à venir nous voir et on en reparlera ensuite.

Vous êtes toujours d’accord pour accepter des paires de coureurs français ?
Oui, on a quatre équipes françaises en lice et maintenant c’est à eux de jouer. Le premier jour, lors du briefing, j’explique les détails de la grille des prix aux engagés et à partir de ce moment-là, plus personne ne connaît personne. Rien n’est gagné d’avance. Il faut se battre pour aller chercher les sprints-primes. Dès le premier soir de la compétition les favoris roulent vraiment très fort pour ainsi distancer au plus vite leurs adversaires au classement général.

Pourquoi n’a-t-on pas davantage de Six Jours en France ?
C’est tout simplement un problème de vélodrome. À Paris-Bercy, le montage et démontage de la piste coûtait beaucoup trop cher et forcément cela vous plombe un budget. Vers le milieu des années 90, les organisateurs des Six Jours de Bordeaux étaient venus nous rencontrer afin que l’on reprenne en main l’événement. C’est vrai que le vélodrome est magnifique mais le public est situé un peu trop loin des coureurs et il fallait donc bien réfléchir. Finalement, on n’a pas repris l’affaire et les Six Jours ont disparu. Alors oui, nous sommes fiers de nos Six Jours grenoblois mais je trouve dommage qu’on soit les seuls en France à les organiser.

Pensez-vous qu’il existe réellement une culture du sport spectacle en France ?
Mais bien sûr que oui ! Ensuite c’est à l’organisateur de s’adapter aux coutumes locales. Nous, on fait 6 500 spectateurs par soir et ce depuis 20 ans. Il est certain qu’il est plus facile de faire du rugby à Toulouse que du vélo. Mais il ne faut surtout pas perdre de vue ce concept de fête populaire.

Propos recueillis par Franco Cannella.