Marc, dans quel état d’esprit êtes-vous au moment de conclure la 102ème édition du Tour de France ?
Le Tour est fait de hauts et de bas. L’année dernière, nous avions connu beaucoup de hauts et peu de bas. Cette année, il y a eu beaucoup de bas et un haut à l’extrême. C’est la course. Je vais peut-être vous surprendre, mais je dirais qu’il y a plus de points positifs cette année que l’année dernière.

Pourquoi ?
On apprend plus à se construire quand on est dans la difficulté. Surtout dans la façon dont moralement, on arrive à se remettre en scène. Quand les événements s’enchaînent bien sur une course, c’est facile pour tout le monde. La souffrance est moindre, tout est plus facile. Quand vous rencontrez des anicroches et que vous avez l’impression que tout se déroule dans le sens inverse de ce que vous espérez, arriver à inverser la tendance et à se remettre dans le sens de la marche, c’est beaucoup plus difficile qu’on ne le croit.

Avec les trois premiers du classement général de l’an dernier relativement loin cette année, diriez-vous que le cru 2014 était exceptionnel ?
Non ! Un Tour c’est un Tour. Il faut prendre les courses les unes après les autres. On ne peut pas comparer un Tour avec un autre. Ce ne sont pas les mêmes parcours, pas les mêmes participants, pas les mêmes conditions de course. Pour moi, ce sont deux éditions qui sont totalement différentes. Vouloir faire des comparaisons est une erreur.

Qu’a-t-il manqué à Thibaut Pinot et à l’équipe en première semaine ?
Il manque un brin de réussite, de bons enchaînements. C’est comme en football. Si vous mettez vos joueurs sur le terrain sur deux matches à quatre jours d’intervalle, il y a des moments où les passes aboutissent dans les pieds et d’autres non. C’est un peu la même chose en vélo. Fort heureusement j’ai envie de dire. Car si c’était toujours aussi simple et aussi facile, il n’y aurait pas toute cette adrénaline et cette charge émotionnelle que l’on trouve dans les parties finales de courses. Il faut prendre le bon comme le moins bon. Tout est bon à prendre, même quand c’est mauvais.

Les progrès que Thibaut doit réaliser ne sont-ils pas avant tout d’ordre tactique ?
Non, il a fait de gros progrès par rapport à l’année dernière ! Les apparences sont parfois trompeuses. Je pense que techniquement et mentalement, il était beaucoup plus fort cette année que l’an passé. Prenez l’exemple des bordures, il n’était pas si loin, il est même devant celle de Nairo Quintana.

Malgré son classement général, s’est-il rapproché de la victoire sur un Grand Tour ?
La victoire sur un Grand Tour c’est un concours de circonstances heureux. Il faut que tout se passe bien. Regardez cette année, certains disent que Quintana était meilleur que Froome et pourtant, c’est Froome qui gagne. Il a su accumuler les détails dans le bon sens pour aller gagner. C’est une accumulation de petites choses qui font que ça se passe plus ou moins bien. Il faut prendre les choses avec beaucoup de recul, car ce qui se passe bien une année se passe moins bien l’année d’après. Ce n’est pas pour autant que l’on est moins bon que l’année précédente. C’est le charme de la course, il faut que cela reste ainsi.

En tant que passionné, n’avez-vous pas craint que le Tour soit terminé à la Pierre-Saint-Martin ?
Le craindre non. Si on est objectif et honnête, le Tour était presque fini au chrono par équipes, voire définitivement à la Pierre-Saint-Martin.

D’un point de vue collectif, que vous a-t-il manqué ?
Nous n’avions pas notre équipe-type au départ. Certains étaient malades, d’autres blessés. Notre « banc de touche » n’est pas énorme. Nous savions que nous n’étions pas à 100% des moyens que peut avoir l’équipe dans certaines circonstances. Ça aussi, ça fait partie de la course. La sélection pour le Tour n’est que la sélection d’un moment, ce n’est pas forcément une récompense. Ce sont les neuf les plus aptes à évoluer à une date fixe.

Vous pensez notamment à Arnold Jeannesson et Arthur Vichot
Oui, nous n’avions pas le meilleur effectif possible sur le papier. Nous avons fait avec ce que nous avions. Les gars ont plutôt bien répondu, car il n’y a jamais eu de désunion. Au contraire, il y a toujours eu la volonté d’aller chercher quelque chose. Encore une fois, c’est quand on est dans la difficulté que l’on se construit le plus et que l’on se soude le plus. Quand tout se passe bien, c’est facile de diriger une équipe. C’est plus délicat quand ça se passe avec beaucoup d’anicroches et qu’on s’éloigne de ce que l’on espérait au départ. C’est en ça que le Tour a été très intéressant pour nous.

L’avenir de l’équipe Europcar semble s’assombrir. Comment appréhendez-vous cela en tant que président de la Ligue Nationale de Cyclisme ?
Il y a une crise économique, c’est indéniable. C’est difficile de trouver de l’argent. Nous en cherchons sans en trouver. Nous aimerions avoir un budget supérieur, justement pour pouvoir nous rapprocher des grosses équipes. Il faut aussi savoir qu’en France, tout coute plus cher. Nous avons une bonne protection sociale, mais on la paye aussi. C’est pénalisant, on le voit dans d’autres sports. Je ne suis pas contre, bien au contraire. Quand nous avons un coureur malade ou en fin de carrière, il est mieux protégé en France qu’il ne l’est à l’étranger. Quand on regarde le résultat brut par rapport à l’étranger, on n’est pas dans la meilleure situation. En France, nous avons 105 jours de course. Nous avons des équipes qui sont pérennes. Je ne souhaite qu’une chose, c’est que Jean-René Bernaudeau puisse retrouver un repreneur et que les effectifs de coureurs en France restent stables, voire augmentent. Voir l’Armée de Terre participer aux épreuves professionnelles était une bonne nouvelle. Je suis favorable à ce qu’il y ait un maximum d’équipes en France. Plus il y aura d’équipes, plus il y aura de coureurs, plus on a de chances d’avoir de bons coureurs.

Propos recueillis à Paris le 26 juillet 2015.