Gregario devant l’éternel, Paolo Tiralongo (Astana), transfuge de la Lampre, est devenu, en quelques mois, un proche d’Alberto Contador. Après sa chute sur le Giro en mai dernier, Contador l’a remotivé pour qu’il redouble de travail en vue du mois de juillet. Sans détour, le Sicilien de 33 ans évoque sa relation particulière avec son leader, ses certitudes, ses doutes et son sens du sacrifice. Entretien

Tu es connu pour être un homme de la troisième semaine, comment sont les jambes à la veille du dernier grand rendez-vous pour l’équipe Astana?

Heureusement qu’aujourd’hui [hier] c’est le jour de repos parce je me sens fatigué. Petit à petit quelques soucis arrivent. Je commence à avoir mal à la gorge, mais c’est tout à fait normal, parce que le corps est fatigué. Pour moi, demain [aujourd’hui] c’est le dernier jour de travail en quelque sorte, ça sera un jour important. J’essayerai d’accompagner Alberto le plus loin possible dans l’ascension du Tourmalet. Puis Vinokourov prendre la suite Et Alberto fera le reste. Même si je pense que c’est Andy qui attaquera d’abord. Alberto devra se défendre.

Racontes-nous comment tu as noué contact avec Alberto Contador?

Tout a commencé pendant la Vuelta, l’an dernier. Je suis allé voir Alexandre Vinokourov en sachant qu’Alberto resterait chez Astana et que l’équipe allait être renouvelée. Avec lui, tout est naît cet hiver. Il m’avait vu marcher dans les cols espagnols à la Vuelta et à partir de là, on est entrain dans une phrase de « symbiose », j’ai beaucoup appris à ses côtés, même si avant le Tour, nous n’avions pas fait une seule course ensemble, vu que je n’avais pas le même programme que lui. Au niveau mental, on s’est préparé pour arriver à 100% sur le Tour de France. Chacun de nous sait ce qu’il a à faire pendant la course. Pour ma part, 20 jours avant le Tour je suis allé en Espagne, pour être plus prêt d’Alberto pour qu’on lie vraiment amitié, qu’on apprenne à se connaître, qu’il voit mes qualités en montagne et ce que je peux lui apporter. Mon rôle est d’être l’un des derniers à l’accompagner dans les montées, et surtout d’avoir la capacité de faire une sélection quand il me le demande.

« L’autre jour, dans le port de Balès, je suis venu le voir. Je lui ai dit : »Alberto, je peux faire quelque chose? », il m’a répondu « Reste tranquille. Je reste dans les roues des Saxo Bank  et à 2 kilomètres du sommet, j’attaque ! ». Il avait tout programmé! »

Quel soin apporte Alberto au travail de ses équipiers?

Avoir un capitaine de route comme Alberto te donne des stimulations de la force. Durant toute l’ascension de l’Aubisque, il m’a félicité pour le travail que j’avais effectué dans le Tourmalet. Sincèrement, quand je suis arrivé au sommet du Tourmalet, j’étais mort. Avoir un remerciement, ça fait du bien. C’est vraiment un homme qui comprend ce que tu fais, qui te respecte. Ce n’est pas un homme individualiste. Même s’il va mal, il te remerciera.  Parce qu’en 20 jours, on peut avoir 2 ou 3 jours où ça ne va pas. Il le comprend.

Alberto est-il plus serein depuis qu’il a le Maillot Jaune?

Il a toujours été serein parce qu’il est sûr de sa force et de celle de son équipe. Cet hiver, nombreux ont été ceux qui ont affirmé que l’équipe n’avait pas le niveau pour soutenir Alberto dans la montagne, et nous, par contre dans notre tête nous savions que toutes ces paroles à notre encontre, deviendrait une motivation supplémentaire pour nous battre. Ces critiques l’ont construit au fur et à mesure de l’année. Chaque coureur de l’équipe a une sorte de « jour de repos » où il peut rester tranquille, loin de la pression, pour être fort le jour d’après. C’est la force de notre équipe. Nous sommes unis, nous nous parlons énormément avant, pendant et après la course. Sa sérénité vient de cette union. Quoiqu’il arrive, il sait qu’il ne sera pas seul. C’est la différence avec l’équipe Astana de l’an passé. Cette année, il n y a pas de rupture dans l’équipe. Je ne l’ai pas vu une seule fois douter.  Il sait quand et où il va attaquer. L’autre jour, dans le port de Balès, je suis venu le voir. Je lui ai dit : »Alberto, je peux faire quelque chose? », il m’a répondu « Reste tranquille. Je reste dans les roues des Saxo Bank  et à 2 kilomètres du sommet, j’attaque ! ». Il avait tout programmé, bien avant l’incident d’Andy Schleck. C’est la griffe Contador, tout est programmé à l’avance. Je n’ai jamais vu un coureur aussi fort physiquement bien sûr, mais surtout dans la tête. Mentalement, il est au dessus de tout le monde. Cette force, cette sérénité, il arrive à la transmettre à tout notre groupe. C’est très important pour nous.

L’an passé, tu as terminé huitième de la Vuelta. As-tu la possibilité de jouer ta carte sur certaines courses, en l’absence de Contador?

Je voulais faire bien au Giro, mais  malheureusement, une chute m’a empêché de faire un résultat. Parce que vu comme je me sentais bien, j’étais sûr de faire dans les 5 premiers du général. Le capitaine était Vinokourov, mais, la dernière semaine, j’étais le seul qui n’avait aucun ordre, parce que je suis un homme de la fin des grands Tours. Je suis convaincu que sans cette maudite chute… (il s’arrête un moment, puis reprend), cette année j’aurai été très fort. Mes managers m’avaient demandé de faire le classement général, j’étais prêt. J’avais fait énormément de sacrifice, je m’étais entraîné dans les montagnes, loin de ma famille. Et finalement, tout s’est écroulé avec cette chute. Mais d’un côté, grâce à cette mésaventure, je suis arrivé beaucoup plus frais sur le Tour. Beaucoup plus que si j’avais terminé le Giro. De toute façon, je savais déjà qu’après le Giro, je devais faire le Tour à 100% pour Alberto.

« Les gens savent que derrière l’idole, le leader, il y a le travail de Sisyphe des équipiers. Sans nous, le but ne serait pas atteint. »

Après ta chute, dans quel état mental étais-tu?

J’étais à terre physiquement et psychologiquement. Je ne pensais pas à la chute, mais je pensais à tous les sacrifices que j’avais fais auparavant. Des mois et des mois de sacrifices familiaux, personnels, physiques. J’avais programmé toute ma première partie de saison sur ce Giro et là tout s’arrête. Mais, j’ai relativisé, je n’avais rien de casser. Alors j’ai pensé tout de suite à me mettre au travail. Le soir même de cette chute, je n’avais envie de parler à personne. La première personne à qui j’ai répondu au téléphone a été Alberto. Il m’a dit ces mots : « Ok, tu es tombé mais reste tranquille. Aujourd’hui, c’était une journée de malchance. Retiens que tu t’es fermé une porte mais tu t’es ouvert une avenue. Maintenant, tu dois être à mes côtés sur le Tour. Prends 3 ou 4 jours de repos, et vient à Madrid, on s’entraînera ensemble pour que tu fasses un grand Tour. » A ce moment-là, je n’avais plus aucune douleur. C’était une force nouvelle pour moi, pour réagir. Ca veut dire que la personne croit en toi. Immédiatement, je me suis mis au travail.

C’est vraiment différent de faire un Tour pour la gagne avec Astana par rapport à la Lampre?

Les autres années, je venais ici avec l’esprit de me sacrifier pour mon leader, Damiano Cunego. Mais, quand je voyais que mon leader ne faisait rien, et que mon travail était inutile, j’étais démoralisé. J’étais un peu pieds et poings liés. Je n’arrivais pas à exprimer  mon potentiel parce que je devais rester avec Cunego dans les phases cruciales de la course, et la plupart du temps, il était derrière. Chez Astana, tu sais que si tu fais correctement ton travail en tête du peloton, à la fin, il ne restera plus que 20 coureurs dans ta roue parmi lesquels ton capitaine. La différence avec la Lampre, c’est que je suis avec un leader qui gagne. Même s’il ne triomphe pas, j’ai la sécurité qu’il soit au moins sur le podium. Je peux vraiment m’exprimer à fond et être de n’importe quelle manière avec les premiers du général. Alors qu’aux côtés de Cunego, j’étais en dessous de mon niveau. Le Tour cette année, est différent parce que je montre ce que je vaux. Ici, je suis plus motivé. Tout ce que je fais est valorisé. J’ai un rôle qui peut évoluer. C’est une autre mentalité qui nous permet d’avoir notre marge de manœuvre. Par exemple, Navarro a gagné une étape sur le Dauphiné. Si on marche fort, on peut jouer la gagne. Cette autorisation, je ne l’avais pas quand je devais m’occuper de Cunego.

Quelles sont tes relations avec Damiano Cunego aujourd’hui?

Il n y a rien. Je cours pour l’Astana, lui pour la Lampre. Nous nous saluons. Il a choisi sa route, moi la mienne.

Est-ce que tu ressens que le public te connaît plus pour ton travail d’équipier que pour tes performances?

Les gens me connaissent parce qu’ils estiment le travail que je fais. Ils voient que je donne le maximum de mes possibilités en tête du peloton. Ils lient la souffrance sur mon visage. Les gens qui aiment le vélo, comprennent l’esprit de sacrifice du gregario. C’est pour ça qu’ils me reconnaissent, plus que pour ma place à la Vuelta. Le cyclisme est surtout fait d’effort, de sacrifices, et les gens m’apprécient pour ça. Ca me rend très fier. Les gens savent que derrière l’idole, le leader, il y a le travail de Sisyphe des équipiers. Sans nous, le but ne serait pas atteint.

Quel est ton programme pour la fin de la saison? Iras-tu sur la Vuelta avec les galons de capitaine?

Sincèrement, je n’y pense pas encore. Je suis le seul qui ne s’est pas encore reposé cette année. Parce qu’immédiatement après la chute, je me suis mis au travail pour ne pas perdre le bénéfice de ma forme. Après ce Tour, j’aurais besoin de repos. Et si je vais à la Vuelta, je vivrais la course au jour le jour. Pour le moment, je pense seulement à arriver à Paris avec le Maillot Jaune pour Alberto.

Pourrais-tu un jour prendre tes responsabilités sur une course de trois semaines?

Je sais ce que je vaux, je sais que si je me prépare bien comme il faut, je peux réaliser un grand Giro ou une grande Vuelta. Mais, au fond de mon cœur, j’ai plus le sens du sacrifice que celui de l’individualisme. Je suis un gregario mais quand on me donne la liberté d’agir seul, je peux faire de très bon résultat. Ca ne me fait pas peur de ressentir la pression, car on l’a aussi quand on est gregario.

Propos recueillis par Laurent Galinon à Pau, le 21 juillet 2010.