Samedi matin, une atmosphère particulière régnait sur les hauteurs de la petite ville d’Aywaille. Comme chaque année à pareille époque, Philippe Gilbert (BMC Racing Team) a réuni ses supporters pour passer une journée en leur compagnie. Malgré le froid glacial, ils étaient plus d’un millier à s’être donné rendez-vous pour parcourir un peu plus de 75 kilomètres avec leur idole. Plus tard dans l’après-midi, le nouveau champion du monde s’est prêté, deux heures durant, à une séance de dédicaces. Entre coups de pédales et autographes, le Remoucastrien en a profité pour convier la presse afin d’évoquer sa saison 2012 en demi-teinte, son titre de champion du monde et ses objectifs pour 2013. Il a également donné son opinion sur le dopage et l’affaire Armstrong.

Philippe, que ressentez-vous après avoir roulé avec vos supporters ?
Ça fait toujours plaisir de les rencontrer. Malgré le froid, plus de mille personnes ont répondu présent. Le soleil a fini par sortir. Il nous a bien réchauffés. Je pense que l’organisation était parfaite. A part une chute avec un doigt cassé, le bilan général est excellent. Tout le monde s’est bien amusé, c’est le principal. C’était très sympa surtout sur ce beau parcours.

Avez-vous eu le temps de prendre des vacances pour penser à autre chose qu’au vélo depuis la fin de la saison ?
Non, je ne suis pas parti en vacances mais les week-ends dans les Ardennes ne sont pas mal non plus. J’ai eu un peu de temps pour me vider la tête mais j’ai déjà envie de reprendre.

Par rapport à l’an passé, avez-vous moins d’obligations ?
Non. Je suis autant sollicité que l’année dernière. Mon attaché de presse a reçu beaucoup de demandes pour tous les shows télévisés en Flandre mais je ne suis pas intéressé par tout cela. Dans mon esprit, participer à ces émissions doit venir après ma carrière. Pour le moment, je suis coureur et toute cette vie-là ne correspond pas à celle d’un coureur. Les galas ont lieu tard le soir. Il faut se déplacer jusque-là. On est tenté de boire un verre et de faire quelques extras. Il faut donc faire des choix. Je le ferai après ma carrière si j’en ai envie.

Vous avez donc décidé de refuser davantage de demandes que l’an dernier ?
Non. Déjà l’an dernier, je n’ai pas fait beaucoup de choses. J’ai été aux remises des prix des grands journaux belges comme le Vélo de Cristal ou le sportif de l’année. Je ne vais pas à autant de cérémonies cette année vu que je n’ai pas remporté les prix…

L’an dernier, la randonnée du fan-club coïncidait avec votre reprise après la coupure automnale. Est-ce encore le cas cette année ?
Pendant ma période de repos, j’ai dû tester mon nouveau vélo. J’ai donc continué à rouler un peu mais je n’ai pas encore vraiment repris les entraînements. Je roule de temps en temps comme aujourd’hui mais il n’y a encore rien de programmé ni de travail spécifique. Je suis sur le vélo mais je ne considère pas ça comme un entraînement. Je reprendrai le travail ce mercredi. Je reviendrai encore en Belgique le 20 novembre pour les Six Jours de Gand. Ensuite, j’aurai un stage avec l’équipe BMC en décembre. Ce sera en Espagne au même endroit que l’an dernier.

Quel sera votre programme d’entraînement ?
Le stage sera différent même si la durée sera la même, une dizaine de jours. Les programmes seront plus adaptés et plus individuels. Je crois que nous avons tiré des leçons de nos entraînements de l’an dernier. Nous nous sommes améliorés. L’amélioration, c’est le but dans la vie. Faire des erreurs, ça arrive à tout le monde mais le plus important, c’est de ne pas les faire une deuxième fois.

Un mauvais programme d’entraînement est-il l’une des raisons de votre mauvaise année 2012 ?
Oui, c’est l’une des raisons. L’entraînement hivernal est une des clés de la saison. C’est là que l’on bâtit ses résultats. A partir du moment où il n’est pas bon à 100 %, le reste n’est pas bon non plus. Ça a donc des conséquences et il faut des mois pour rattraper ce mauvais travail. J’ai aussi eu des problèmes dentaires et d’autres soucis pour m’adapter à mon nouveau matériel, et ils n’ont rien arrangé. J’ai accumulé tous ces petits soucis et, au niveau professionnel, ça se paie cash.

Que retenez-vous de cette première année chez BMC ?
J’ai vécu des mauvais moments mais ça fait partie d’une carrière. Je crois que, d’une certaine manière, j’en suis sorti plus fort mentalement. Quand j’ai eu un rendement supérieur, cette mauvaise période m’a obligé à travailler plus et à faire le vide autour de moi. Ce sont toutes ces choses qui ont payé en fin de saison.

Connaissez-vous déjà votre programme pour la rentrée ?
Non. Je ne sais pas encore. On s’est réuni avec toute l’équipe à Gand. Nous avons tous fait part de nos souhaits. Sur certaines courses, comme en Argentine, quinze noms sont préinscrits, sur d’autres comme au Qatar personne ne veut aller. Moi je veux commencer assez tôt mais je ne sais pas encore où. Ce sera soit au Qatar, soit en Argentine, soit en Australie. Je n’ai pas encore choisi.

Quels seront vos objectifs prioritaires en 2013 ?
Comme j’ai dit définitivement à John Lelangue, après le Mondial, je suis et je resterai un coureur de courses d’un jour. Je ne serai jamais fait pour les Grands Tours, même s’il a essayé de m’en convaincre pendant une année. Je reste persuadé que les courses d’un jour sont mon point fort. J’ai envie de travailler sur les grandes classiques et je suis très motivé à l’idée de venir dans les Ardennes avec le maillot de champion du monde. J’espère gagner au moins une des trois classiques wallonnes voire plus, si c’est possible. En fin d’année, je miserai tout sur le Mondial.

Cette année, votre formation n’a pas toujours été présente autour de vous. Aurez-vous en 2013 la certitude d’avoir le soutien de votre équipe qui favorise, avant tout, les courses par étapes ?
Je crois que oui. On a essayé de faire une sélection dans l’équipe. Il y aura des coureurs qui seront concentrés sur les classiques et d’autres sur le Giro ou le Tour de France. Ça veut dire que les six ou sept premiers mois de l’année on pourra travailler en groupes spécifiques, ce qui est déjà bien. Dans le groupe des classiques, on sait tous ce qu’on doit faire et ça se passe très bien. Je pense que sur papier, on sera une bonne équipe. Il n’y aura pas que nous. Beaucoup d’équipes, qui étaient déjà fortes, se sont encore renforcées. Maintenant, le niveau est tout le temps plus élevé et la rivalité est de plus en plus grande. Il faut vraiment cibler ses objectifs et réussir à motiver toute l’équipe pour aller tous dans le même sens.

Pourquoi ne vous concentrez-vous pas sur des courses comme Milan-San Remo ou le Tour des Flandres, que vous n’avez pas encore gagnées ?
J’ai déjà vu beaucoup de coureurs miser tout sur ces courses, prendre le départ à 100 % de leurs moyens et rater complètement leurs courses. Il y a beaucoup de choses qui peuvent arriver lors des courses pavées : une crevaison, un problème de matériel, un mauvais positionnement… C’est là le problème, surtout au Tour des Flandres. On peut y être très bien pendant 200 kilomètres et, si on est mal placé au Quarémont, la course est finie. A l’Amstel ou à Liège, la course se joue beaucoup plus à la pédale. C’est principalement grâce au physique que l’on gagne. Au Tour des Flandres, le paramètre « chance » a un rôle plus important. Il y a donc beaucoup de risques de miser toute sa saison sur ce genre de courses. En plus, je reste persuadé qu’il ne faut pas être aussi fort qu’à Liège pour gagner Milan-San Remo ou le Ronde.

Quand on a 30 ans, qu’on a été champion de Belgique et que l’on a déjà porté le maillot jaune et le maillot arc-en-ciel, y a-t-il vraiment quelque chose qui manque à votre palmarès ?
C’est vrai que j’ai déjà gagné pas mal de belles courses mais il en reste. Je peux encore gagner le Tour des Flandres, Milan-San Remo ou Liège-Bastogne-Liège avec le maillot de champion du monde. Une tunique de leader au Tour d’Italie manque aussi à mon palmarès. Il y a sûrement encore d’autres courses. C’est sûr qu’il y en a de moins en moins mais j’ai toujours autant soif de victoires.

Vous le disiez plus haut, rester champion du monde est un objectif ?
Oui, même si je ne réalise pas encore vraiment que je le suis déjà parce que je n’ai pas encore enchaîné beaucoup de courses avec le maillot arc-en-ciel. En tout cas, les premiers mètres en tant que champion du monde ont été assez impressionnants. Je pense que je vais y prendre goût assez vite. Ça me donnera envie de reconduire mon titre. Chaque année, le vainqueur sortant se bat pour défendre son maillot.

Après-coup, comment analysez-vous la force collective belge à Valkenburg ?
J’ai revu les images pour la première fois il y a trois jours avec mon neveu. Nous avons regardé les 30 derniers kilomètres. Le travail accompli par toute l’équipe est impressionnant. Par exemple, je n’avais pas vu que Gianni Meersman et Björn Leukemans avaient déjà beaucoup travaillé dans l’échappée. Ils ont très bien maîtrisé le groupe puis, quand nous sommes rentrés, ils ont encore été à notre service. L’image que tout le monde retiendra est le moment où nous sommes quatre Belges dans les cinq premiers, juste avant mon attaque. On n’a pas vu ça souvent à moins de 3 kilomètres d’une arrivée d’un Championnat du Monde. Je crois que c’est la photo de l’année, en cyclisme belge en tout cas. C’était très émouvant de revoir ces images. On a vraiment fait une très belle course collective.

Qu’est-ce qui a justifié cette solidarité au sein de l’équipe de Belgique, qui était vraiment la plus forte ?
Elle était peut-être plus forte mais l’équipe était surtout très impliquée et très motivée. C’est ce qui a fait la différence. Les Italiens étaient en nombre égal à nous mais ils étaient moins soudés à la fin. Toute l’équipe a plus ou moins le même âge et on a déjà fait beaucoup de courses et beaucoup de championnats ensemble. On a perdu beaucoup avant de gagner. L’équipe a réussi à retenir ses erreurs. C’est comme cela qu’on acquiert de l’expérience. Il faut perdre des courses de ce niveau-là avant de pouvoir en gagner.

La présence de Tom Boonen a-t-elle été un plus pour vous ?
Oui. La présence de Tom a été très importante. Beaucoup de journaux auraient souhaité une rivalité et des commentaires négatifs de notre part. Nous ne sommes jamais tombés dans le piège. On se respecte et on s’apprécie très fort. Nous sommes tous les deux des coureurs ambitieux qui aimons gagner. Nous étions là avant tout pour que l’équipe gagne. Je n’ai ressenti aucune jalousie dans les yeux de Tom. Il était vraiment sincère quand nous nous sommes vus après l’arrivée. C’est la marque d’un grand champion. Tout le monde était super fier et super heureux.

L’an prochain, vous serez normalement à votre meilleur niveau en même temps que Tom Boonen. Pensez-vous déjà à le défier lors du Tour des Flandres ou de Milan-San Remo ?
Nous nous sommes souvent retrouvés en même temps dans la finale d’une course mais nous n’étions jamais vraiment au même niveau en même temps sauf une fois à Paris-Tours. J’aime bien me retrouver avec lui. Ce qui est bien chez Tom, c’est qu’il ne calcule pas ses efforts. Il roule et il fait son travail. Il assume son statut et il gagne, en prime. On l’a encore vu cette année. C’est toujours agréable de rouler avec lui, contrairement à d’autres coureurs qui ne collaborent pas dans une course.

Propos recueillis par Pol Loncin à Aywaille le 27 octobre 2012.