Stéphane, quel sera le programme de votre équipe pour les prochaines semaines ?
Nous avons un premier stage mi-novembre, un deuxième mi-décembre et un troisième début janvier. Comme ce qu’on a toujours fait pour le moment. La stratégie d’équipe sera beaucoup plus tournée vers l’offensive. On a perdu Jérôme Coppel mais on a gagné beaucoup de choses à côté. Ce sera une autre manière de fonctionner. Ça me fait plaisir parce que j’aime aussi le changement, et je n’aime pas rentrer dans un schéma trop classique.

Vous le prouvez aussi en faisant signer Alexis Vuillermoz. Vous vous êtes inspiré des exemples de Jean-Christophe Péraud et de Cadel Evans ?
D’autres aussi viennent du VTT comme Peter Sagan. C’est aussi une question de personne. On travaille avec des gens experts dans leurs domaines, au niveau de l’entraînement notamment. Jean-Baptiste Quiclet (entraîneur au sein de la formation NDLR) nous a fortement conseillés. Je suis quelqu’un qui écoute et qui essaye de prendre des choses un peu différentes. Pour amener une autre culture dans notre monde de routiers.

Vous êtes favorable à la tenue d’états généraux du cyclisme. Pouvez-vous détailler votre proposition ?
On doit rapidement faire un constat : le système tel qu’il est ne marche vraiment pas. On court tous à notre perte. À partir de là, c’est important de réunir des vraies familles du vélo. Des coureurs, des équipes, mais pas seulement. C’est aussi des organismes extérieurs qui puissent avoir suffisamment de recul sur notre sport pour apporter des solutions. Il faut qu’on puisse, non pas changer du tout au tout du jour au lendemain, mais savoir où on va et avec qui on veut aller. La famille la plus importante là dedans, celle qui a un vrai pouvoir, ce sont les organisateurs. Il faut qu’ils sachent qui ils veulent voir au départ de leurs courses. Pas seulement pour le Tour, ça vaut pour tous les organisateurs. Quel intérêt d’avoir un Davide Rebellin vainqueur du Tour du Gévaudan ? C’est ce genre de choses. Ça doit partir dans un mouvement international. Savoir qui peut entrer dans un schéma de vraie re-crédibilisation et non pas d’effet de manche.

Christian Prudhomme a dit lors de la présentation du Tour de France 2013 que les managers devaient être des garde-fous, qu’en pensez vous ?
Aujourd’hui, il y a une vraie réflexion à mener et une notion d’exemplarité à avoir, ce qu’on a pas forcément dans le vélo. Ce qui est sûr, c’est qu’à partir du moment où on est à la tête d’une équipe cycliste professionnelle, on est à la tête d’une entreprise qui a d’énormes responsabilités. Surtout, on n’a pas le droit d’affirmer aujourd’hui « Je n’étais pas au courant, je ne savais pas ». C’est ce que j’ai entendu d’Yvon Sanquer chez Astana. Dans ce cas là, quel rôle avait il là bas et quel rôle aura t-il chez Cofidis demain ?  Parce que ça m’inquiète un petit peu… Aujourd’hui, on est face à de vraies responsabilités qu’il faut assumer jusqu’au bout. C’est vrai qu’on est pas à l’abri d’un coureur qui fasse une connerie. Je ne pense pas que Steve Houanard (contrôlé positif à l’EPO NDLR) ait eu besoin de son manager pour le faire, mais je pense qu’il y a des perceptions à avoir et à ressentir en fonction des dangers qui peuvent en découler.

Et de manière plus personnelle ?
J’ai démissionné en 2002 parce que je ne me reconnaissais plus du tout dans mon sport. Je suis revenu et me suis réconcilié avec celui-ci, avec les jeunes. Si demain, j’ai le même sentiment qu’en 2002, et je n’en suis pas très loin, de découragement et où l’espoir n’est plus permis… Malgré tout, et il ne faut pas que ça pariasse comme de l’hypocrisie, j’ai le sentiment qu’on est capables de gagner de manière propre. On l’a fait en remportant l’Europe Tour et on sait comment on l’a fait. Par contre si ça devait arriver, ce serait une catastrophe. Ça voudrait dire qu’on a pêché, fléchi dans un domaine et on doit en tirer les conséquences rapidement. Car derrière, on a des partenaires. En ce qui nous concerne, ce ne sont pas des montres dont on fait la promotion, c’est de la santé. Ce sont des produits non-OGM achetés par la ménagère pour se sentir mieux etc. J’ai la responsabilité d’un groupe derrière et avoir leur confiance, pour moi, ça vaut plus que n’importe quel discours.

L’Union Cycliste Internationale souffre d’une très mauvaise image. Ne devrait-on pas, comme on peut le faire dans un conseil d’administration d’une entreprise, révoquer les chefs ?
Je pense aussi. Le problème de l’UCI n’est pas juste la responsabilité de McQuaid. Il y a tout un passé qui fait qu’aujourd’hui on en arrive là. Il a repris le flambeau de M.Verbruggen. On ne peut pas dire que son image soit flambante. Ce qui m’inquiète aujourd’hui, ce n’est pas l’affaire Armstrong, c’est tout ce qui va découler de Padoue et j’espère que ça ira au bout. Et quand j’entends aujourd’hui que douze équipes du WolrdTour sur dix-huit sont concernées par l’affaire de blanchiment d’argent, de réseau mafieux, je suis très inquiet. Ou je m’en réjouis parce que je n’ai jamais été favorable au WorldTour. Ça prouve que le système n’a pas lieu d’exister et qu’il faut d’une part, revoir complètement les modes d’invitation et d’autre part, refaire un ciblage d’équipes qui méritent d’avoir de la crédibilité.

Les coureurs propres ne devraient-ils pas dénoncer ceux qui trichent ?
Pour accuser des gens, il faut avoir des preuves. C’est la présomption d’innocence. Je pense qu’il est plus facile d’expliquer ses propres échecs par le dopage des autres que par ses propres incapacités à être meilleur. Un coureur qui parle d’un autre ? Il y a des exploits qui portent à interrogation. Mais jeter l’opprobre sur un coureur sans avoir d’arguments valables ou de preuves recevables, comme ont pu le faire certains coureurs auparavant, c’est un peu délicat. Par contre, pour en revenir à mon métier de manager, c’est ce qui se passe chez nous qui doit être su. Ce ne doit pas être « untel fais ça et ça » alors qu’il y a un vrai travail bien meilleur que le nôtre derrière. Ce n’est pas une question d’omerta, simplement une question de respecter la loi et de ne pas diffamer sur les gens.

Le fait que des anciens coureurs, à la réputation parfois sulfureuse soient aujourd’hui managers, ne donne t-il pas l’impression au public que rien ne bouge ?
Il y a eu des avancées notables au niveau des résultats. Des impressions de visu aussi. Je sens que des choses ont évoluées. Il y aura toujours des gens plus malins que les autres et qui auront trouvé de nouvelles choses.  Mais je pense que leur marge de sécurité est infime. Quant au fait que ce soit des anciens coureurs…Regardez dans le football, les entraîneurs et les sélectionneurs sont aussi d’anciens joueurs et ils ne sont pas si blancs que ça. Je crois que changer et trouver la solution aujourd’hui, c’est très compliqué.

Dans ce contexte quelle est votre fonction en tant que manager ?
Je me considère plus comme un chef d’entreprise que comme un homme de terrain. C’est ce que m’impose mon métier car on est vite pris par les problématiques d’entreprises classiques. On est face à une concurrence archi-déloyale, sportive et fiscale. On s’aperçoit qu’il y a des systèmes mis en place comme celui de Ferrari de blanchiment d’argent, où on te vend des produits et l’après-vente derrière parce que si tu te fais avoir, on a un avocat qui expert. Et ces gens là, on les retrouve. C’est à l’UCI de légiférer mais on en revient au problème de la crédibilité de l’UCI. L’avantage d’avoir un organe indépendant, c’est d’avoir des familles différentes qui peuvent débattre. Ce sera mieux que d’avoir un système hyper nébuleux et sombre.

Peut on trouver des solutions à ce problème ?
Nous donnons beaucoup d’argent pour la lutte contre le dopage. Il y a sept millions d’euros investis dont 60 à 70% qui proviennent des organisateurs, des équipes et des coureurs. C’est qu’il y a une vraie volonté de s’en sortir. Mais malgré ça on se retrouve dans cette situation. Donc je pense que tout le monde est d’accord pour y aller, mais on n’est pas garants de toutes les personnes qui veulent toujours avoir un coup d’avance. C’est le système culturel du vélo : on a toujours été dans un système de mafia, voulu être plus malin que l’autre… C’est ce qui me rassure aujourd’hui parce que quel que soit le coureur, il tombera de toute manière.

Propos recueillis à Paris le 24 octobre.