Souvent escaladé depuis 1911, jamais le col du Galibier n’avait encore accueilli une arrivée d’étape du Tour de France. Pour des raisons logistiques qui, depuis l’organisation d’une arrivée similaire au sommet du Tourmalet il y a un an, ne rebutent plus les organisateurs de la Grande Boucle. Au sommet du géant alpin, devenu ce jour la plus haute arrivée en altitude du Tour de France, seul le dispositif a été allégé. Ainsi c’est en plein air, dans les nuages frigorifiques, qu’a été donnée la traditionnelle conférence de presse auquel doit s’adonner chaque soir le porteur du maillot jaune. Emmitouflé sous les parkas d’une organisation aux petits soins, Thomas Voeckler (Team Europcar) est apparu fatigué par l’exploit accompli dans le sillage des plus grands, et qui augmente ce soir ses chances de figurer sur le podium du Tour dans soixante-douze heures à Paris.

Thomas, vous êtes toujours en jaune à trois jours de l’arrivée du Tour de France à Paris, cela fait-il naître en vous l’espoir de tenir bon ?
Je ne suis pas un rêveur. Ca fait trois jours que je perds du temps, à chaque fois sur des mecs différents. Tout le monde me reprend du temps, il faut être objectif. Regardez le numéro de Schleck aujourd’hui. J’en ai fait un à titre personnel en conservant le maillot jaune. J’ai moins de marge que je n’en possédais il y a sept ans, mais on est moins loin de l’arrivée. Malgré tout je n’ai qu’une chose en tête : rentrer à l’hôtel et être au massage car j’ai très mal aux jambes.

Andy Schleck a frappé un grand coup en s’échappant loin du but, mais vous n’avez pas cherché à le maîtriser ?
Chacun son truc. J’ai vu qu’Andy Schleck avait attaqué très tôt dans l’Izoard, je n’ai même pas essayé d’y aller. L’autre jour, j’ai fait l’erreur de suivre les à-coups des favoris. Il n’était pas question de reproduire cette erreur, c’est pourquoi je me suis focalisé sur la roue de Cadel Evans et que je n’ai pas cherché à suivre Schleck.

Comment avez-vous géré le final de l’ascension du Galibier ?
J’aurais aimé que l’arrivée soit sous le tunnel, plutôt que d’aller 89 mètres plus haut, jusqu’en haut du Galibier. A hauteur de la ligne, l’oxygène manquait. J’avais vraiment du mal à respirer. Je suis allé au bout ! L’objectif était de garder le maillot, je donnais tout. Mais je n’étais pas au courant des écarts, je ne les ai appris qu’à la descente du vélo. Je ne savais rien. J’essayais juste de suivre Cadel Evans. J’ai coincé à 300 mètres de la ligne, mais ça suffit pour 15 secondes.

Encore une fois, on a vu à vos côtés un extraordinaire Pierre Rolland…
Pierre Rolland et les autres ont été extras. Avec Pierre, on fait un beau binôme en montagne. C’est vrai qu’on s’attendait plus à voir Anthony Charteau à mes côtés dans les moments décisifs, mais il a été malade. Même si je roulais parfois devant lui, c’est rassurant d’avoir Pierrot à mes côtés. Sur la fin, je lui ai dit qu’il fallait y aller, il n’a pas roulé longtemps mais il l’a fait.

L’émotion et la douleur ont-ils été similaires à celles de 2004, quand vous aviez sauvé le maillot jaune pour 22 secondes ?
L’émotion dans les derniers kilomètres, il n’y en a pas. La souffrance est telle que c’est surtout de concentration qu’il s’agit. Il faut faire attention à la direction du vent, au placement, aux spectateurs. J’ai failli tomber deux fois parce que les gens me tapent dessus, même sur le guidon. La souffrance, elle, est la même, à la différence que je suivais les favoris alors qu’en 2004 j’étais plusieurs minutes derrière eux. Ce soir je suis simplement content d’avoir encore le maillot.

Conserver le maillot jaune au sommet du Galibier, c’était inespéré ?
Vous savez, c’était inespéré à Lus-Ardiden, c’était inespéré au Plateau de Beille, c’est inespéré au Galibier… Aujourd’hui, il y avait beaucoup de vent. Franchement, Cadel Evans a été vraiment très fort. La montée qu’il a faite était impressionnante. Je ne cherche pas de qualificatifs. Je ne suis pas là pour m’auto-satisfaire. Je donne juste le meilleur de moi-même.

Physiquement et moralement, comment serez-vous demain : épuisé ou survolté ?
Je ne peux pas garantir grand-chose, si ce n’est que je vais me battre pour défendre mon maillot jaune. Le moral ? Ce serait indécent de ne pas l’avoir. Au moment où je parle, des coureurs ne sont pas encore arrivés au sommet du Galibier. Je sais ce que c’est pour avoir souvent fait des gruppettos.

Au fond de vous, vous sentez-vous en mesure de garder le maillot jaune ?
Demain, c’est déjà l’Alpe d’Huez. Tout le monde sait qu’Andy Schleck grimpe mieux que moi : la preuve aujourd’hui avec le numéro qu’il a fait, vent de face dans le Lautaret. Il a l’air de plus en plus en forme. Mais je ne veux pas dire ce qu’il va se passer après, là j’ai juste envie de repos.

Propos recueillis au col du Galibier le 21 juillet 2011.