A moins de trois semaines du départ du Tour de France, les dirigeants des quatre équipes françaises retenues pour la Grande Boucle entrent dans une phase décisive. Ces prochains jours, il leur faudra édifier l’équipe qu’ils enverront combattre sur les routes du Tour en juillet. Entre choix logiques, choix stratégiques ou choix du cœur, chacun des quatre hauts responsables des équipes nationales nous ont confié leur approche de la sélection. A tour de rôle, Jean-René Bernaudeau (Bbox Bouygues Telecom), Francis Van Londersele (Cofidis), Marc Madiot (Française des Jeux) et Vincent Lavenu (Ag2r La Mondiale) nous expliquent cette semaine sur quels critères ils vont s’appuyer pour dégager de leur effectif les neuf coureurs qui seront du voyage en juillet. En conclusion de cette série d’interviews, découvrez la méthode Vincent Lavenu.

Vincent, comment appréhendez-vous la sélection pour le Tour de France ?
Certains coureurs dorment peut-être mal avant mais pas moi, même si ce n’est pas agréable d’annoncer à un coureur qui mériterait de participer au Tour qu’il n’y ira pas. Entre le neuvième coureur sélectionné et les trois qui suivent mais qui resteront sur la touche, il n’y a rien ! Ces coureurs-là se sentent particulièrement frustrés. Ce n’est pas un moment agréable mais ça ne m’empêche pas de dormir. Il faut faire des choix et malheureusement nous ne sommes autorisés à prendre que neuf coureurs ! Encore une fois il y aura des heureux et des déçus.

Quelle est la logique chez Ag2r La Mondiale ?
Notre but est surtout d’emmener une équipe compétitive sur tous les terrains. Nous n’avons pas de pur sprinteur capable de jouer les premiers rôles face à Cavendish ou Farrar, c’est évident, mais nous emmènerons tout de même un gars qui va vite pour des arrivées groupées en petit comité. Après, il faut aussi avoir de bons grimpeurs car c’est là que se fait le classement général. Et puis je veux aussi une équipe qui s’entende bien, qui joue le jeu au niveau du comportement général de l’équipe, des gars qui vont dans les échappées, qui sont solidaires. C’est un élément très important pour moi : que les garçons adhèrent à la stratégie qui a été mise en place avec eux pour la course. Je veux des garçons qui soient enthousiastes, durs au mal, tenaces, car dans toutes circonstances on doit être capable de tenir, même quand on est blessé, qu’on est tombé, qu’on a eu une déception.

Faites-vous du classement par équipes un objectif ?
Nous ne faisons pas une priorité du classement par équipes dans le sens où il se fait dans la montagne. Ce classement concerne surtout les équipes dotées de bons grimpeurs capables de placer systématiquement trois coureurs parmi les meilleurs. Pour nous, ce n’est donc pas un but premier. Maintenant, si on peut bien figurer sur ce classement, c’est valorisant.

Comment établissez-vous votre sélection au fil de la saison ?
En début de saison, on a une liste de vingt-deux coureurs capables de prétendre à une sélection pour le Tour. Au fil des mois, cette liste s’affine. Début juin, on a une quinzaine de coureurs. Après le Critérium du Dauphiné et le Tour de Suisse, on en aura peut-être plus que onze, et on attendra vraiment le dernier moment. Nous prendrons une décision collégiale avec les autres directeurs sportifs, puisque je vois des choses mais les autres DS en voient d’autres. Le Championnat de France sera décisif. L’annonce sera faite le soir-même du Championnat ou le lendemain.

Qu’est-ce qui va faire la différence entre le dernier coureur sélectionné et le premier non retenu ?
Ce qui peut départager le neuvième du dixième, c’est d’abord le physique. Après, à physique égal, ce qui est déterminant c’est la capacité du coureur à s’adapter et s’intégrer dans le groupe, et adhérer à la tactique. Pour moi, c’est primordial. Parmi les coureurs d’expérience ou les jeunes coureurs, il y a de bonnes choses. C’est important d’avoir un coureur d’expérience, comme on en a eus avec Stéphane Goubert ou José-Luis Arrieta. Ils ont participé au fait que l’équipe marchait bien par le passé. La jeunesse, c’est bon aussi, car ça permet d’avoir des coureurs qui veulent mordre la course à pleines dents et montrer qu’ils existent. Il faut allier les deux.

Le côté régional de l’étape ne peut donc pas rentrer en ligne de compte…
Non, la seule chose que je m’autorise est de dire que nous sommes une équipe française et que je souhaite, dans la proportion, que nous ayons au moins cinq coureurs français. En dehors de ça, il n’y a pas de côté régionaliste.

Comment gérez-vous les coureurs non retenus pour le Tour ?
L’année dernière, John Gadret et Ludovic Turpin ont été très déçus de leur non sélection pour le Tour. Après, c’est une question de management, « d’après-crise ». Il faut respecter la déception du coureur puis pouvoir expliquer en disant que cette décision n’est pas contre lui mais que nous sommes limités à neuf coureurs, et non à dix. En général, ça se passe bien, même si des coureurs peuvent nous en vouloir à tout jamais, mais ça fait partie de notre métier.

A quel moment dans le Tour avez-vous le sentiment que la sélection a été efficace ?
Quand on aborde le Tour, c’est à nous de bien planter le décor dès le briefing général. On fait une grosse réunion au cours de laquelle on réexplique les objectifs, les ambitions, les codes de fonctionnement. Il faut être assez persuasif et bien faire comprendre l’enjeu. Après, c’est du management au quotidien en fonction des événements. Très vite, on va voir le comportement des coureurs, leur état d’esprit. A nous d’être attentifs aux choses à améliorer et à corriger.

Sur le Tour, vos coureurs font-ils chambre commune sur les trois semaines ou veillez-vous à ce que cela tourne ?
Nous, on aime bien que ça tourne. Quelquefois on lâche un peu quand on sent que les coureurs ont besoin de se retrouver avec leur camarade préféré. Mais on aime bien que ça tourne car ça évite de créer des clans et ça permet aux coureurs d’ouvrir leurs horizons. On trouve cela plus positif.

Le critère de réussite, c’est le nombre de victoires d’étapes ?
Bien sûr, un Tour vous semble réussi quand on a remporté une étape, car les retombées sont énormes, mais ce n’est pas suffisant. Un bon Tour, c’est aussi avoir vécu de grands moments, avoir tenté des choses, avoir cherché à peser sur la course, avoir fait des échappées, même non concluantes. C’est toujours utile de quitter le Tour avec le sentiment d’avoir été offensifs.

Propos recueillis à Monteux le 9 juin 2010.