La procession de 191,5 kilomètres entre Abbeville (Somme) et Le Havre (Seine-Maritime), par un itinéraire côtier surplombant les falaises crayeuses de la côte d’Albâtre, s’est presque effectuée sans heurt. Le peloton, tout entier cette fois, déboule dans les rues de l’agglomération normande pour s’en aller chercher la ville haute et le fort de Tourneville (850 mètres à 7 %), seul obstacle à une revanche en règle du sprint d’Amiens hier. 190 bornes durant, le Tour de France s’est offert son Havre de paix. Un besoin unanimement ressenti, une nécessité partagée. La folie guerrière des premiers jours de course s’apaise. Le peloton est épuisé nerveusement, inutile d’en rajouter. Même le vent tant redouté sur les hauteurs de la Manche a renoncé, retenant son souffle à l’occasion de cette deuxième et dernière étape maritime du Tour 2015.

De fait, c’est toute la caravane du Tour de France qui retient son souffle ce soir alors que Tony Martin (Etixx-Quick Step), Maillot Jaune depuis quarante-huit heures, s’est mis brutalement sur le toit passé la flamme rouge, entraînant par un effet domino Warren Barguil (Giant-Alpecin), Vincenzo Nibali (Astana) et Nairo Quintana (Movistar Team), le Britannique Chris Froome (Team Sky) déséquilibré lui aussi s’épargnant d’inappropriées retrouvailles avec l’asphalte par un joli numéro d’équilibriste ! Si les autres sont partiellement esquintés, lui conserve l’intégrité de ses facultés physiques dans ce Tour qui tourne décidément bien pour lui jusqu’à présent. Et qui pourrait le voir reprendre la tête du classement général plus tôt qu’il ne l’avait calculé, car rien ne laisse présager de la présence, demain matin à Livarot, de Tony Martin, sérieusement touché dans cette chute qu’il a lui-même provoquée en cherchant à défendre son paletot de leader.

C’était de bon aloi. La brève montée vers la ligne d’arrivée du Havre était suffisamment sélective pour écarter les purs sprinteurs de la course à la victoire et engendrer des micro-cassures autres que celles observées au bout du compte – sans retenue de temps – après le strike de la flamme rouge. Replacé par Mark Renshaw au pied de la bosse, Tony Martin luttait pour garder sa position quand sa roue avant est venue frotter le boyau arrière de Bryan Coquard (Team Europcar), futur 3ème d’étape, le déportant pour entraîner dans sa chute tous les coureurs qui se trouvaient à sa droite. La malchance vient de s’en prendre une fois encore au porteur du maillot jaune, le quatrième depuis samedi, trois jours après le crash qui a touché Fabian Cancellara, rentré chez lui plus tôt que prévu avec deux vertèbres cassées.

Fracture de la clavicule pour Tony Martin, il ne devrait pas repartir de Livarot.

L’inquiétude gagne très vite les suiveurs du Tour de France, véhiculée par l’image du bras que Tony Martin tient replié sur son torse, incapable de saisir de la main gauche le guidon du vélo qu’on lui tend pour rallier la ligne blanche. Il faudra l’assistance solidaire de ses coéquipiers Golas, Kwiatkowski, Trentin et Vermote, une main dans le bas du dos de l’Allemand, pour que le Maillot Jaune se hisse, péniblement, au terme de cette étape qui vient de virer au cauchemar. En dépit de la douleur qui martyrise son épaule brisée, Tony Martin ira pourtant chercher son troisième maillot jaune, son sourire de façade ne dissimulant pas son désespoir. Un peu plus tard, les radios viendront confirmer le mal redouté. Le Maillot Jaune s’est fracturé la clavicule gauche. Il ne devrait pas repartir demain lorsque le Tour quittera Livarot.

A la détresse de Tony Martin répond comme un drôle de paradoxe la joie de son coéquipier Zdenek Stybar (Etixx-Quick Step). Car c’est lui le grand vainqueur du jour. Profitant de la côte finale et du faux-plat qui la suit, mais aussi de la désorganisation d’un peloton diminué après la chute du Maillot Jaune et de quelques favoris (sans conséquence fâcheuse), le Tchèque triple champion du monde de cyclo-cross profite de la confusion pour jaillir et tenir en respect les sprinteurs attendus sur ce terrain-là, au premier rang desquels Peter Sagan (Tinkoff-Saxo), qui en est quitte pour une troisième place de 2 après celles de Zélande et Amiens… A 29 ans, celui qui avait déjà décroché une victoire d’étape au Tour d’Espagne il y a deux ans rafle son premier succès sur les routes du Tour de France. Une victoire qui ne viendra que partiellement consoler l’abandon inévitable de Tony Martin et son forfait pour le chrono par équipes.

Il y en a de toutes les douleurs ce soir sur le podium protocolaire du Tour de France. De toutes les couleurs aussi. Pour la première fois, un coureur africain noir, l’Erythréen Daniel Teklehaimanot (MTN-Qhubeka), prend possession d’un maillot distinctif de la Grande Boucle, le maillot à pois en l’occurrence. Présent dans l’échappée matinale lancée au kilomètre 4 avec Perrig Quémeneur (Team Europcar) et Kenneth Vanbilsen (Cofidis), dernier rejoint à 3 kilomètres du but, Daniel Teklehaimanot conquiert le maillot à pois point après point en franchissant en tête les côtes de Dieppe, de Pourville-sur-Mer et du Tilleul. Il enfile le maillot de leader du classement de la montagne, qu’il avait décroché le mois dernier au Critérium du Dauphiné, à la faveur de nombreuses échappées. L’événement heureux de cette journée riche en émotions.

Demain vendredi, la septième étape devrait sourire aux sprinteurs entre Livarot et Fougères (190,5 km).

Classement 6ème étape :

1. Zdenek Stybar (TCH, Etixx-Quick Step) les 191,5 km en 4h53’46 » (39,2 km/h)
2. Peter Sagan (SVQ, Tinkoff-Saxo) à 2 sec.
3. Bryan Coquard (FRA, Team Europcar) m.t.
4. John Degenkolb (ALL, Giant-Alpecin) m.t.
5. Greg Van Avermaet (BEL, BMC Racing Team) m.t.
6. Tony Gallopin (FRA, Lotto-Soudal) m.t.
7. Edvald Boasson-Hagen (NOR, MTN-Qhubeka) m.t.
8. Davide Cimolai (ITA, Lampre-Merida) m.t.
9. Julien Simon (FRA, Cofidis) m.t.
10. Gorka Izagirre (ESP, Movistar Team) m.t.

Classement général :

1. Tony Martin (ALL, Etixx-Quick Step) en 22h13’14 »
2. Chris Froome (GBR, Team Sky) à 12 sec.
3. Tejay Van Garderen (USA, BMC Racing Team) à 25 sec.
4. Peter Sagan (SVQ, Tinkoff-Saxo) à 27 sec.
5. Tony Gallopin (FRA, Lotto-Soudal) à 38 sec.
6. Greg Van Avermaet (BEL, BMC Racing Team) à 40 sec.
7. Rigoberto Uran (COL, Etixx-Quick Step) à 46 sec.
8. Alberto Contador (ESP, Tinkoff-Saxo) à 48 sec.
9. Zdenek Stybar (TCH, Etixx-Quick Step) à 1’04 »
10. Geraint Thomas (GBR, Team Sky) à 1’15 »

Classement par points :

1. André Greipel (ALL, Lotto-Soudal) 161 pt
2. Peter Sagan (SVQ, Tinkoff-Saxo) 158 pt
3. John Degenkolb (ALL, Giant-Alpecin) 120 pt
4. Mark Cavendish (GBR, Etixx-Quick Step) 94 pt
5. Bryan Coquard (FRA, Team Europcar) 86 pt
6. Zdenek Stybar (TCH, Etixx-Quick Step) 63 pt
7. Tony Martin (ALL, Etixx-Quick Step) 60 pt
8. Greg Van Avermaet (BEL, BMC Racing Team) 58 pt
9. Perrig Quemeneur (FRA, Team Europcar) 46 pt
10. Edvald Boasson-Hagen (NOR, MTN-Qhubeka) 45 pt

Classement de la montagne :

1. Daniel Teklehaimanot (ERY, MTN-Qhubeka) 3 pt
2. Joaquim Rodriguez (ESP, Team Katusha) 2 pt
3. Rafal Majka (POL, Tinkoff-Saxo) 1 pt
4. Michael Schär (SUI, BMC Racing Team) 1 pt
5. Thomas De Gendt (BEL, Lotto-Soudal) 1 pt
6. Chris Froome (GBR, Team Sky) 1 pt

Classement des jeunes :

1. Peter Sagan (SVQ, Tinkoff-Saxo) en 22h13’41 »
2. Warren Barguil (FRA, Giant-Alpecin) à 52 sec.
3. Nairo Quintana (COL, Movistar Team) à 1’41 »
4. Romain Bardet (FRA, Ag2r La Mondiale) à 2’39 »
5. Thibaut Pinot (FRA, FDJ) à 6’03 »
6. Eduardo Sepulveda (ARG, Bretagne-Séché Environnement) à 9’50 »
7. Michal Kwiatkowski (POL, Etixx-Quick Step) à 10’26 »
8. Simon Yates (AUS, Orica-GreenEdge) à 11’51 »
9. Adam Yates (AUS, Orica-GreenEdge) à 12’09 »
10. Christophe Laporte (FRA, Cofidis) à 13’03 »

Prix de la combativité :

1. Perrig Quémeneur (FRA, Team Europcar)

Classement par équipes :

1. BMC Racing Team (USA) en 66h41’19 »
2. Etixx-Quick Step (BEL) à 22 sec.
3. Tinkoff-Saxo (RUS) à 1’44 »
4. Team Sky (GBR) à 3’14 »
5. Ag2r La Mondiale (FRA) à 5’44 »
6. Giant-Alpecin (ALL) à 5’55 »
7. Movistar Team (ESP) à 7’27 »
8. Team Katusha (RUS) à 7’56 »
9. Cofidis (FRA) à 8’10 »
10. Cannondale-Garmin (USA) à 9’00 »