Un jour sur deux, Daniel Mangeas, l’inimitable voix du Tour, nous confie ses mémoires de speaker, lui qui fut témoin pendant quarante ans de toutes les arrivées d’étapes du Tour de France. Il tirera sa révérence au terme de la 101ème édition le 27 juillet.

« Pierre Shori ayant pris sa retraite, me voilà seul au micro alors que démarre le Tour de France 1976. Tout seul. Je commente le départ, je conduis ma voiture, je commente l’arrivée. Le Tour part de Saint-Jean-de-Monts, en Vendée. La présentation des équipes représente alors une émotion très forte. Lorsqu’on présente les coureurs, on est sans filet. Si je ne suis pas bon, il ne faut surtout pas que je sois mauvais !

Aux arrivées, on prend le micro plus tard qu’on ne le fait aujourd’hui, aux environs de la dernière heure de course quand on commente désormais les 80 derniers kilomètres. Nous commentons surtout par le biais de radio-Tour, que nous recevons et qui nous fournit les infos. La télé diffuse généralement la dernière heure de course. TF1, qui retransmet l’épreuve, remet notamment le prix TF1 au premier coureur qui apparaît à l’écran.

Mais l’anecdote que je retiens de cette édition se passe à Manosque, terme de la onzième étape, que l’Espagnol José-Luis Viejo remporte avec près de vingt-trois minutes d’avance. Je m’en souviens car à l’époque nous n’avons pas encore les écrans télé dont nous disposons aujourd’hui. En attendant l’arrivée du peloton, je suis donc bien obligé de meubler. Et ça me paraît d’une longueur, ces vingt-trois minutes… D’autant qu’à 26 ans, on a tout de même moins de maîtrise que dix, vingt ou trente ans plus tard. Je n’oublierai jamais José-Luis Viejo pour cette raison.

J’ai pris le micro sur la panne d’un copain speaker, je ne l’ai jamais oublié. Du fait de rouler seul en cette année 1976, il m’est parfois arrivé de craindre un retour de bâton. Mais ma plus grosse crainte de manquer une arrivée d’étape s’est présentée il y a quelques années seulement.

J’étais avec Michel Gélizé. Nous avons voulu prendre un itinéraire secondaire quand nous sommes tombés sur un panneau « route barrée ». Nous avons pensé que ça ne concernait pas les suiveurs du Tour et avons franchi un grand portail ouvert. Mais après un kilomètre nous sommes tombés sur un tas de gravier de deux mètres de haut qui prenait toute la largeur de la route. Nous avons fait demi-tour. Or en revenant nous constatons que le grand portail a été refermé. Au cadenas ! Et les portables ne passent pas ! Nous voilà enfermés entre le tas de graviers et le portail. Heureusement la personne responsable de notre captivité discute un peu plus loin et nous « libère ». Nous retrouvons la route de la course trois minutes avant le passage des coureurs…

Mais revenons à 1976. D’un point de vue sportif, c’est la fin de carrière de Cyrille Guimard, un très bon sprinteur qui a porté le maillot jaune et devient en février directeur sportif de Lucien Van Impe, six fois meilleur grimpeur et plusieurs fois sur le podium du Tour. Comme Guimard a déjà des ambitions plein la tête, il s’est mis dans l’idée de faire gagner le Tour à Lucien Van Impe. En bon stratège qu’il est, Guimard parvient à faire davantage regarder son leader vers le maillot jaune que vers le maillot à pois. C’est la victoire d’un champion mais aussi d’une stratégie mise en place par Cyrille Guimard. Etre gagneur ne s’improvise pas, il faut un mental. En cela l’apport de son nouveau directeur sportif a été précieux pour permettre à Van Impe d’aller chercher le maillot jaune.

Lucien Van Impe était transcendé par le Tour de France. Il ne se sentait bien que vêtu du maillot à pois de meilleur grimpeur. Longtemps, il est resté celui qui avait disputé le plus de Tours de France, seize, ce qui démontre son attachement à l’épreuve. Van Impe appartient à une catégorie de grimpeurs à la fois efficaces et élégants. Le voir grimper donnait l’impression que c’était facile. »

Daniel Mangeas