Elles ont une atmosphère propre à elles et procurent cette tension qu’aucune autre course ne viendra jamais leur disputer. Les classiques sont des monuments du calendrier, des épreuves empreintes de mythes et de légendes. Leurs routes semblent posséder une âme. Ici se sont écrites certaines des plus belles pages de l’Histoire du cyclisme. Aussi, quand vient Milan-San Remo, c’est la campagne des classiques printanières qui démarre. Le printemps, pourtant, tarde à se présenter sur les côtes italiennes. L’hiver se poursuivra donc quelques heures, et la météo va cette fois tenir à le souligner. Il fera gris et frais aujourd’hui sur la classicissima, qui rompt avec ses images traditionnelles. Et c’est sous un ciel brumeux et dans une atmosphère bruineuse que s’élanceront les concurrents à l’assaut de la première classique de l’année.

Peut-être que, par sa voûte laiteuse, le temps tient à nous indiquer que cette édition-là, la 101ème, ne ressemblera à aucune autre. Et il est vrai que le scénario de cette Primavera va s’écarter sensiblement de ceux auxquels nous avait habitué l’épreuve. Milan-San Remo est l’une des classiques les plus prestigieuses. Elle est aussi la plus longue de la saison, avec près de 300 bornes au compteur entre les terres lombardes et la côte ligurienne. L’attaque portée par trois coureurs téméraires peu après le baisser du drapeau a donc des allures kamikazes. Il n’y a nul besoin d’être bien savant pour savoir cette entreprise vouée à l’échec, mais Diego Caccia (ISD-Neri), Fabrice Piemontesi (Androni Giocattoli) et Aristide Ratti (Carmiooro-NGC) sont venus pour ça. Pour disposer eux aussi de leur part de gloire.

Les trois attaquants très matinaux vont pouvoir compter sur la bénédiction du peloton, qui ne s’oppose aucunement à leur tentative et leur accorde une bonne vingtaine de minutes d’avance. Mais cet avantage fondera comme neige au soleil lorsque se présenteront les premières difficultés. A mi-parcours, on quitte les terres par le Passo del Turchino, enveloppé dans un épais brouillard, comme la Manie. Ces deux difficultés-là vont donner le ton. Très ambitieux, les coureurs du Team Katusha font le forcing dès le Turchino, provoquant une première scission au sein du peloton. De ce brutal coup d’accélérateur, Mark Cavendish (Team HTC-Columbia) est la première victime. Il est repoussé dans un second peloton, le premier groupe étant réduit à une soixantaine de coureurs. Mais on est loin de l’arrivée, et chacun va rentrer sur le front de mer.

Le Poggio, abordé en tête par Yoann Offredo, témoigne de l’aisance des sprinteurs.

N’empêche que le coup de force audacieux des Katusha, dans le Passo del Turchino comme dans la Manie, où sont revus les trois échappés après plus de 200 kilomètres de fugue, a permis d’indiquer les forces et faiblesses de chacun. Bien que regroupé, le peloton poursuit sa grise progression en direction de San Remo. Mais la route est encore parsemée de difficultés. On entame une succession de capi, des côtes plantées là, juste au-dessus de la mer, et tirant dans les jambes après déjà tant de kilomètres accomplis. Elles vont être l’occasion pour quelques intrépides de tenter leur chance dans les 60 derniers kilomètres. Maxime Bouet (Ag2r La Mondiale) d’abord, Dmytro Grabovskyy (ISD-Neri) ensuite. Mais au fond, le peloton va aborder les pentes de la Cipressa, à 25 kilomètres de l’arrivée, sans avoir été beaucoup attaqué. L’ascension est menée au train, à nouveau sous l’impulsion des Katusha. L’allure imposée étire le peloton en file indienne. Dans le dur, Cavendish tire pour de bon un trait sur ses chances de doublé.

Si l’ascension de la Cipressa a permis d’user les plus faibles, sa descente va achever la sélection. Sur une attaque de Francesco Giananni (Androni Giocattoli) à 20 kilomètres de l’arrivée, c’est un peloton d’une trentaine de concurrents qui se détache en pleine descente. Parmi eux demeurent présents des sprinteurs (Boonen, Petacchi, Bennati, Freire, Hushovd), des puncheurs (Pozzato, Gilbert, Pellizotti, Cancellara)… et des coureurs français. C’est le cas de Yoann Offredo (Française des Jeux), qui se lance dans une folle escapade à 16 kilomètres de l’arrivée. Le Francilien a du cran. Son offensive solitaire lui permet d’aborder le premier les rampes mythiques du Poggio, avec une quinzaine de secondes d’avance sur le peloton des favoris. Mais Offredo doit rentrer dans le rang à 8 kilomètres de l’arrivée pour laisser les autres candidats à la victoire s’exprimer.

L’ascension du Poggio est marquée par les soubresauts de Philippe Gilbert (Omega Pharma-Lotto) et Filippo Pozzato (Team Katusha), lequel franchit le sommet en tête, mais elle ne rompt guère le peloton réduit à une vingtaine d’unités. Et elle révèle en outre l’aisance des sprinteurs encore présents aux avant-postes. Même en petit comité, cette édition de Milan-San Remo n’échappera pas à son sprint. Seul Daniele Bennati (Liquigas-Doimo) dispose d’un poisson-pilote pour le mettre sur orbite, les autres progressent roue dans roue. Et quand le rush est lancé, il n’y a plus que la force pure pour faire la différence. Vainqueur de Milan-San Remo en 2004 et 2007, l’Espagnol Oscar Freire (Rabobank) surgit alors de la roue de Bennati pour aller chercher un troisième succès dans la classicissima ! A l’arrachée mais battu sans appel, Tom Boonen (Quick Step) se classe deuxième, Alessandro Petacchi (Lampre-Farnese Vini) troisième. Un podium à l’échelle de la classique italienne aux 101 éditions : prestigieux.

Consultez la galerie photo de Milan-San Remo.

Classement :

1. Oscar Freire (ESP, Rabobank) les 298 km 6h57’28 » (42,8 km/h)
2. Tom Boonen (BEL, Quick Step) m.t.
3. Alessandro Petacchi (ITA, Lampre-Farnese Vini) m.t.
4. Sacha Modolo (ITA, Colnago-CSF Inox) m.t.
5. Daniele Bennati (ITA, Liquigas-Doimo) m.t.
6. Thor Hushovd (NOR, Cervélo TestTeam) m.t.
7. Francesco Ginanni (ITA, Androni Giocattoli) m.t.
8. Maxim Iglinskiy (KAZ, Astana) m.t.
9. Philippe Gilbert (BEL, Omega Pharma-Lotto) m.t.
10. Luca Paolini (ITA, Acqua & Sapone) m.t