A l’applaudimètre ou au seul inventaire des « Phil » peinturés dans la côte de la Redoute (on a cessé de compter après 101), il ne fait aucun doute sur l’identité de l’homme du jour, à l’heure où se conclut la campagne des classiques printanières. Philippe Gilbert (BMC Racing Team) n’a pas retrouvé ses jambes du printemps 2011 mais il a repris sa place, ces derniers jours, parmi les prétendants à la victoire dans Liège-Bastogne-Liège. Et la Belgique tout entière croise les doigts pour que son champion du monde parvienne à ses fins, lui qui incarne le dernier espoir d’un unique succès belge dans les classiques cette saison. Mais voilà, les attentes et les encouragements ne suffisent pas. Et c’est à armes égales que s’élancent ceux, nombreux, qui rêvent, le mot est juste, de remporter Liège-Bastogne-Liège, l’un des cinq monuments du calendrier.

Autant que de tactique, dans des classiques où il est devenu inspiré d’attendre le plus tard possible pour porter son effort, c’est de feeling et de puissance qu’il faudra redoubler tout au long des 261,5 kilomètres d’une classique dont la finale a été réécrite. Des travaux rendant l’accès à la Roche aux Faucons impossible, l’épreuve s’apprête à découvrir la côte de Colonster, moins raide mais plus longue, à 17 kilomètres du but. Les candidats à la victoire se sont montrés intrigués par cette nouvelle difficulté, à laquelle rares sont ceux à accorder du crédit. Il semble à les entendre qu’aucun d’entre eux n’envisage de mener une action avant cette difficulté voire même avant la côte de Saint-Nicolas (1,2 km à 8,6 %), le tremplin qui fait traditionnellement la décision à 5,5 kilomètres de l’arrivée. Visionnaire, Philippe Gilbert s’attend à ce qu’un peloton encore très conséquent s’y présente. Le champion du monde aura vu juste.

Il en est donc fini du temps où la côte de la Redoute et ses 2 kilomètres à 8,8 % sonnait le début des hostilités entre les favoris. Tout ce que sonne désormais la bosse située à 38 kilomètres du but, c’est le glas des échappés matinaux. Sortis dès le départ, Jonathan Fumeaux et Pirmin Lang (IAM Cycling), Sander Armee (Topsport Vlaanderen-Baloise), Bart De Clercq (Lotto-Belisol), Vincent Jérôme (Team Europcar) et Frederik Veucheulen (Vacansoleil-DCM) y déposent les armes après avoir vagabondé en tête durant 220 kilomètres, forts d’un avantage maximal de quatorze minutes. On trouve tout de même quelques audacieux pour tenter d’entretenir l’antique tradition, mais l’entreprise de Bardet (Ag2r La Mondiale), Cunego (Lampre-Merida), Faria Da Costa (Movistar Team), Fédrigo (FDJ), Frank (BMC Racing Team), Fuglsang (Astana), Lopez (Team Sky)  et Losada (Team Katusha) capote un peu plus loin, à 25 kilomètres du but.

Après la côte de Saint-Nicolas, les Garmin s’octroient une avantageuse supériorité numérique.

C’est donc bel et bien un peloton massif qui s’avance vers la côte de Colonster (2,4 km à 6 %), l’inconnue du programme dominical. Après l’avoir repérée vendredi, Alberto Contador (Team Saxo-Tinkoff) s’était montré catégorique, dénigrant cette ascension sur route large et lui regrettant la Roche aux Faucons. Et pourtant, c’est bien lui qui tâche d’exploiter la pente à 18 kilomètres de l’arrivée, rejoint dans son effort par une poignée de coureurs dont font partie Igor Anton, Damiano Caruso, Rui-Alberto Faria Da Costa et Rigoberto Uran, mais aussi et surtout le Canadien Ryder Hesjedal (Garmin-Sharp). Le trou n’étant pas fait sur un peloton toujours garni, ce dernier insiste seul à 15 kilomètres de l’arrivée. Le vainqueur du Giro prend tous les risques afin d’aborder la côte de Saint-Nicolas avec suffisamment d’avance. Il va jusqu’à adopter les positions aérodynamiques les plus dangereuses, tantôt derrière la selle, tantôt en position fœtale sur le cadre. Une hardiesse qui lui permet d’atteindre le pied de la côte déterminante doté de 20 secondes d’avance sur le paquet. Mais il a alors déjà laissé beaucoup d’énergie et il s’expose au retour en trombe des favoris, les vrais de vrais, qui se seront donc pour l’essentiel neutralisés jusqu’à cette bataille aussi brève qu’intense dans les 5,5 kilomètres séparant le haut de la côte de Saint-Nicolas des faubourgs liégeois !

Dans les forts pourcentages de la côte qui serpente le quartier italien de Liège, c’est encore Carlos-Alberto Betancur (Ag2r La Mondiale) qui flingue. Le prodigieux Colombien entraîne avec lui Michele Scarponi (Lampre-Merida), Joaquim Rodriguez (Team Katusha), Alejandro Valverde (Movistar Team) et Daniel Martin lequel, en rentrant sur son coéquipier Ryder Hesjedal, garantit à l’équipe Garmin-Sharp une avantageuse supériorité numérique en tête de course. Le Canadien, repris dans la côte de Saint-Nicolas, où Philippe Gilbert a affiché ses limites, manquant de peu d’accrocher la bonne, ne représente plus une réelle menace pour les coureurs qui l’accompagnent désormais, mais sa présence en tête et son superbe labeur va permettre au groupe de résister au retour d’un peloton poursuivant qui luttera jusqu’au bout pour combler la mince différence enregistrée après le déclenchement de l’échappée aux 5 kilomètres.

Quand Hesjedal s’écarte au pied de la côte d’Ans et ses 2 kilomètres à 8 % menant à la ligne, il est dit que l’un des six de tête remportera Liège-Bastogne-Liège. C’est la classique qui manque au palmarès de Joaquim Rodriguez. Aussi le Catalan saisit-il sa chance en démarrant à 1200 mètres du but. S’il écarte sur son attaque la menace d’une confrontation au sprint avec Alejandro Valverde, il ne peut empêcher Daniel Martin d’opérer la jonction peu avant la dernière courbe. Là, à quelques hectomètres de la libération, l’Irlandais de 26 ans repart de plus belle. Vainqueur du Tour de Catalogne il y a un mois, 5ème de Liège-Bastogne-Liège il y a un an, Dan Martin a rendez-vous avec un glorieux destin. Il décroche sa première classique, contestant aux Espagnols Joaquim Rodriguez et Alejandro Valverde un succès dans la Doyenne.

Classement :

1. Daniel Martin (IRL, Garmin-Sharp) les 261,5 km en 6h38’07 » (39,4 km/h)
2. Joaquim Rodriguez (ESP, Team Katusha) à 3 sec.
3. Alejandro Valverde (ESP, Movistar Team) à 9 sec.
4. Carlos-Alberto Betancur (COL, Ag2r La Mondiale) m.t.
5. Michele Scarponi (ITA, Lampre-Merida) m.t.
6. Enrico Gasparotto (ITA, Astana) à 18 sec.
7. Philippe Gilbert (BEL, BMC Racing Team) m.t.
8. Ryder Hesjedal (CAN, Garmin-Sharp) m.t.
9. Rui-Alberto Faria Da Costa (POR, Movistar Team) m.t.
10. Simon Gerrans (AUS, Orica-GreenEdge) m.t.