Les deux dernières communications d’AG2R la mondiale ne manquent pas de nous intéresser car elles montrent l’importance, l’influence qu’a le sponsor sur les choix sportifs d’un coureur et de l’équipe sponsorisée. Début novembre, l’assureur nous annonce que le bilan annuel des retombées publicitaires liées au partenariat avec l’équipe cycliste s’élève à 106 millions d’euros d’équivalent publicitaire (+6%/ 2017) dont 44% à l’occasion du seul Tour de France. En ce qui concerne les contacts générés, c’est un total de 10,3 milliards qui est atteint, (soit + 3%/ 2017) et 33% issus du Tour. Le cyclisme est définitivement un sport porteur pour les annonceurs qui s’y arriment, on le savait, en voilà encore une preuve, un investissement de l’ordre d’un peu plus que 15 millions, un retour multilpe de 7, pas mal du tout, Mesdames et Messieurs les sponsors, vous êtes attendus. 

Le second communiqué est tombé hier mardi. A l’occasion du premier rassemblement de l’équipe en Oisans, la première salve de communication calendreir 2019 nous annonce que dans l’arbitrage Giro-Tour de France, Romain Bardet et ses dirigeants ont choisi de tout miser sur le Tour de France au vu des parcours respectifs et parce qu’à 28 ans, l’Auvergnat se sent au mieux et s’alignera pour la victoire et le paletot jaune sur les Champs-Elysées. Certes le profil du Giro 2019 sied moins à un candidat à la victoire avec le profil grimpeur du vice-champion du monde, moins en tout cas que celui de 2018. Faut-il viser un podium au Tour voire mieux? voire même une seule victoire d’étape? ou un podium « seulement » au Giro? Pour AG2R la mondiale avec ses 15 millions de clients sur le territoire national, sa faible implantation à l’étranger, l’équation est vite résolue. 

Choix cohérent ou choix surprenant? Voici notre point de vue, et on espère avoir tort le 28 juillet prochain, ça va de soi. Sur les grands Tours, l’époque est aux rouleurs-grimpeurs, pour le moins, mais y-a-t-il eu de réelles époques, modernes en tout cas, des grimpeurs-vainqueurs? Il est permis d’en douter quand on regarde les derniers vainqueurs sur le Tour, le Giro, voire même la Vuelta. Assurément sur le Tour, mis à part les victoires de L.Van Impe en 1976 ou de M.Pantani en 1998, mais à une époque du cyclisme sur laquelle on préfère ne pas se pencher, tous les vainqueurs ont d’abord un solide bagage en ce qui concerne le contre-la-montre et ont une équipe assez solide (excepté G.Lemond en 1989 peut-être) pour faire mieux que limiter les dégâts. Romain Bardet là dedans, on le situe comment?

Pour le moins, les profils des derniers Tours sont dessinés pour non pas avantager, mais permettre à ceux qui roulent moins, de limiter les dégâts. C’était le cas en 2017 où Romain Bardet a terminé 3ème, de justesse, et aussi en 2018 où il a repris la 6ème place lors du dernier contre-la-montre d’Espelette. 2019 semble promettre une tendance assez similaire voire même plus favorable encore aux grimpeurs, un contre-la-montre par équipes plus court et contre-la-montre individuel de 27 kms, placé avant les grosses étapes de montagne, plus des arrivées en très haute altitude, normalement favorables aux purs grimpeurs. Alors, tout pour Bardet et tout en jaune, tous en jaune le 28 juillet pour fêter dignement un centenaire?

nullRomain Bardet lors du Tour de France 2018| © Sirotti

Si l’on s’arrête sur les chiffres 2018, c’est là que le parcours se corse. Contre-la-montre par équipes de Cholet, 35 kilomètres, AG2R la mondiale débourse 1’15 » sur la gagne, et sur le chrono individuel Saint Pée-sur-Nivelle/ Espelette, l’Auvergnat a concédé 1’56 sur le premier, ceci avec ce qu’il a considéré comme un bon contre-la-montre. Vous avez bien compté, 3’113 sur les premiers, certes pas sur Geraint Thomas où la Sky mais elle n’est, il n’est jamais loin de la gagne sur ces coups-là, comme le sera sans aucun doute, Chris Froome « libéré » du poids de l’avant-Tour et partant pour la passe de 5, le 5ème en 100 ans de maillot jaune. Un symbole à défaut d’être un beau symbole.  

La Vuelta avec un vainqueur plus grimpeur que rouleur, même si… Simon Yates et le Giro, avec Thibaut Pinot encore sur le podium la veille de l’arrivée à Rome cette année semblent mieux indiqués pour le profil de Romain Bardet. Les parcours y sont plus nerveux, la course plus débridée, les arrivées, même et surtout celles en haute altitude, y ressemblent bien moins à des autoroutes où les équipes fortes ont tout loisir de bien s’organiser pour asphyxier leurs adversaires (pensons à Tignes et même au Tourmalet reconfiguré sur sa partie médiane), même les étapes de la première semaine vont chercher la bosse suffisamment sêche pour faire éclater les stratégies pré-établies le matin dans le bus. Romain Bardet a sûrement très envie de faire le Giro, il le fera car il y a définitivement plus de chances de remporter un grand Tour et aussi parce qu’il aime la passion du vélo des Italiens, l’atmosphère particulière et aussi parce qu’il y a moins de pression qu’en France. A 28 ans, il s’estime en pleine force de l’âge pour assurer sur le Tour, espérons-le, tous les médias feront semblant d’y croire en juillet prochain car un Français vainqueur, ça a de la gueule et c’est bon pour les audiences. Pour AG2R-La Mondiale, pas besoin de 4 heures pour imaginer les retombées, on passe de la 6ème à la première d’un coup d’un seul, c’est bingo.  

On espère vivement se tromper, ça va de soi, mais sans véritable dévouement au contre-la-montre, à la différence des autres prétendants, chez qui le vélo de contre-la-montre sort une fois par semaine, il nous paraît injouable de faire la différence et gagner 3′ ,ou à peu près, sur les rouleurs-grimpeurs comme Froome ou Dumoulin. A moins que… le rouleur-grimpeur d’AG2R la mondiale soit plutôt côté Drôme que Cantal, Pierre Latour, le maillot blanc du dernier Tour, s’annonce et pourrait, pourquoi pas en domptant mieux son instinct, faire parler les chiffres comme il fait parler les watts dès lors qu’il s’agit d’être sur les prolongateurs. Deux chances au lieu d’une? avancer un pion pour mieux protéger l’autre? Au bout des Champs, c’est toujours AG2R qui gagne mais de là à être en jaune, c’est une autre histoire. 

En 2019, la balance sera moins favorable au Giro qu’au Tour de France pour un profil tel que Romain Bardet, à 28 ans, il a encore tout le temps de voir la vie en rose.