Il est des retours à la compétition dont on parle plus que d’autres. Certains en revanche dont on parle un peu moins, non pas qu’ils n’aient pas une valeur importante, simplement parce qu’ils dérangent et qu’on ignore la réaction qu’il nous faut tenir à leur égard. Celui dont il est question ici n’est autre que le retour d’Alexandre Vinokourov (Astana). Le Kazakh a repris la compétition l’été dernier, discrètement, sans grand fracas. Moins que celui qui avait accompagné quelques mois plus tôt celui de Lance Armstrong, revenu sur sa décision de mettre un terme à sa carrière. Alexandre Vinokourov aussi s’était rangé, fin 2007, mais dans d’autres circonstances. Rattrapé par des manipulations sanguines auxquelles il s’était livré en plein Tour de France, rejeté du milieu cycliste avec rancœur et désireux de tourner cette page sombre de sa vie.

On ne devait plus revoir Alexandre Vinokourov sur un vélo. Et pourtant, cet après-midi à Ans, c’est bien lui qui a franchi le premier la ligne d’arrivée de Liège-Bastogne-Liège après 258 kilomètres d’une course qu’il s’était déjà adjugée à sa grande époque, en 2005. Bien qu’il n’ait jamais admis avoir eu recours au dopage au cours de sa carrière, Vino a purgé sa suspension de deux ans et s’est mis en tête, durant l’hiver 2008/2009, de retrouver les pelotons. Ce qu’il a fait l’été dernier, retrouvant rapidement la victoire et renaissant à l’ambition au sein d’une équipe Astana où il a trouvé son bon équilibre avec Alberto Contador. C’est promis, Vino aidera Contador à gagner son troisième Tour de France en juillet. Et de son côté, il tentera de remporter le Giro le mois prochain, lui qui sort d’un Tour du Trentin victorieux et semble avoir retrouvé ses jambes d’antan à l’âge de 36 ans. Ce qui fera probablement grincer des dents les plus sceptiques…

Dans ce contexte, on ne saura trop comment estimer le succès, au demeurant formidable, du champion kazakh au moment où se conclut aujourd’hui la campagne des classiques de printemps. La 96ème édition de Liège-Bastogne-Liège rassemble les meilleurs coureurs du monde sur des routes vallonnées et rigoureuses, légèrement repensées avec l’ajout de nouvelles difficultés, et dont le scénario n’est plus aussi prémédité qu’autrefois. A l’assaut des côtes ardennaises, difficile de prévoir d’où partira la bonne échappée. Sans doute pas de bon matin néanmoins, malgré une tentative précoce de Dirk Bellemakers (Landbouwkrediet), Maxime Bouet (Ag2r), Thomas De Gendt (Topsport Vlaanderen), Dries Devenyns (Quick Step), Mauro Finetto (Liquigas), Alan Perez (Euskaltel), Niki Terpstra (Milram) et Jussi Veikkanen (Française des Jeux).

Vinokourov et Kolobnev profitent d’un instant de flottement pour s’extraire du peloton.

Il faut être lucide, une échappée de huit coureurs lancée avant le virage de Bastogne n’a pas la moindre chance de regagner Liège aux avant-postes. Cependant, les attaquants du matin s’offriront un joli coup de pub pour se maintenir devant jusqu’au pied de la côte de la Redoute, à 35 kilomètres de l’arrivée, où doit commencer la phase finale de la classique belge. Mais la Redoute n’est plus le théâtre des grandes offensives, qui se sont déportées sur la côte de la Roche aux Faucons, placée à 20 kilomètres de l’arrivée. Là, les grands favoris entrent en scène. Il y a un an, c’est ici qu’Andy Schleck (Team Saxo Bank) avait posé les fondations de sa victoire. Il repart à l’attaque au même endroit, flanqué de Philippe Gilbert (Omega Pharma-Lotto). La hache de guerre est déterrée et, du peloton, surgit à son tour Alberto Contador (Astana). Au sommet, l’Espagnol revient devant mais les favoris ont suivi son mouvement et tout est à refaire.

Et c’est du prestigieux peloton qui vient de se former que va sortir Alexandre Vinokourov, dans une section descendante. Le Kazakh accélère en compagnie d’Alexandr Kolobnev (Team Katusha). Ce tandem de l’Est va profiter d’un petit instant de flottement entre les favoris pour prendre tout de suite un avantage quasi décisif. Derrière, Philippe Gilbert a bien senti le danger et il se lance à la poursuite des deux échappés en compagnie de Cadel Evans (BMC Racing Team) et Alejandro Valverde (Caisse d’Epargne). Mais les trois hommes ne parviendront pas à unir suffisamment bien leurs efforts pour se rapprocher d’un duo de tête qui collabore bien et s’avance progressivement vers la ligne d’arrivée. Au pied de la côte de Saint-Nicolas, il devient évident que cette édition de Liège-Bastogne-Liège reviendra ou bien à Vinokourov ou bien à Kolobnev.

Redoutant son adversaire au sprint, Vino tente de le semer une première fois dans la côte de Saint-Nicolas, à 6 kilomètres du but. Mais Kolobnev résiste bien et semble en mesure d’aller chercher la victoire qui couronnerait enfin une carrière auréolée de places d’honneur (2ème des Mondiaux 2007 et 2009, 3ème des JO 2008, 3ème du Tour de Lombardie 2009…). Or en dépit des apparences, le vieux Vino en a gardé sous la pédale et, dans la côte d’Ans menant à la ligne d’arrivée, il porte l’assaut fatal. A 500 mètres du but, le Kazakh se dresse sur ses pédales et entame un sprint de forcené. Cette fois, le trou est fait. Alexandr Kolobnev s’incline à nouveau pour laisser Alexandre Vinokourov triompher… Pour la troisième place, Alejandro Valverde règle Gilbert, Evans et un peloton revenu sur leurs talons. Liège-Bastogne-Liège s’achève ainsi sur ce sentiment mitigé entre un retour embarrassant et le triomphe d’un grand champion.

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Classement :

1. Alexandre Vinokourov (KAZ, Astana) les 258 km en 6h37’48 »
2. Alexandr Kolobnev (RUS, Team Katusha) à 6 sec.
3. Alejandro Valverde (ESP, Caisse d’Epargne) à 1’04 »
4. Philippe Gilbert (BEL, Omega Pharma-Lotto) m.t.
5. Cadel Evans (AUS, BMC Racing Team) m.t.
6. Andy Schleck (LUX, Team Saxo Bank) à 1’07 »
7. Igor Anton (ESP, Euskaltel-Euskadi) m.t.
8. Chris Horner (USA, RadioShack) m.t.
9. Frank Schleck (LUX, Team Saxo Bank) m.t.
10. Alberto Contador (ESP, Astana) m.t.
Classement complet