Collaborateur de Vélo 101, Florent Ligney a eu la chance de faire partie des vingt-trois participants au Tour de Fête. Pendant trois semaines, ce Lyonnais de 26 ans a pu parcourir les étapes du Tour de France 24 heures avant la caravane. Passionné de vélo depuis sa plus tendre enfance, il a commencé la compétition en 2006 par des courses FFC. Depuis, Florent s’est spécialisé dans les cyclosportives et les épreuves basées sur l’endurance plus que sur la vitesse pure. Et avec plus de 3000 kilomètres au compteur en trois semaines, il a été servi ! Il revient pour nous sur cette aventure unique qui s’est terminée il y a maintenant déjà plus de deux semaines, sur les Champs-Élysées. Suite et fin de cette interview.

Florent, l’entraide, est une valeur fondamentale de ce Tour de Fête, comment cela se traduit-il ?
L’entraide avait deux formes : physique et psychologique. Physiquement, on se passait des bidons et de la nourriture. J’ai également passé beaucoup de kilomètres à pousser les plus faibles, ce dès le premier jour et jusqu’au dernier, afin de leur permettre soit de se replacer dans les roues sur le plat, soit de souffler dans les montées. Je n’étais évidemment pas le seul à faire ça. N’allez pas pour autant leur retirer leur gloire : on ne les a pas poussés sur 3400 kilomètres, ils ont pédalé du début à la fin ! On n’a fait que leur donner des coups de main quand ils n’étaient pas bien.

As-tu un exemple marquant ?
Un des gestes d’aide qui m’a le plus marqué s’est déroulé sur l’étape de Saint-Malo. Mounir a été bien amoché suite à une chute collective. Il ne pouvait plus tenir son guidon, ses mains étant complètement râpées. Pendant 140 kilomètres, on s’est tous relayé pour le pousser afin qu’il finisse l’étape et qu’il puisse poursuivre l’aventure avec nous. Je me souviens aussi que Julien voulait abandonner au pied de l’Alpe d’Huez. Depuis le début de l’étape, le cuissard le brulait et il n’arrivait plus à pédaler. Il s’est arrêté pour monter dans la voiture-balai. J’ai su trouver les mots pour l’inciter à continuer : il était inconcevable pour moi qu’il abandonne alors qu’il ne restait plus que deux étapes à tenir avant les Champs-Elysées.

L’entraide n’était donc pas simplement physique.
Psychologiquement, l’aide était importante également. Je me suis rendu compte que souvent une simple phrase était plus efficace qu’une poussette. Pour ma part, connaissant bien toutes les ascensions, j’aidais en donnant des conseils sur le parcours : « accroche-toi, le sommet est dans 300 mètres », « change de braquet, après le virage ce sera plus pentu », ou autre « profite du replat qui arrive pour boire ». Le simple fait de parler dans les ascensions, de rassurer ceux qui étaient à mes côtés, leur changeait les idées : ils oubliaient qu’ils avaient mal et tentaient de suivre la conversation. L’entraide était surtout physique les premiers jours, jusqu’au franchissement des Pyrénées. Au-delà, elle est surtout devenue psychologique.

Sportivement, qu’est-ce qui a été le plus difficile ?
L’étape dans laquelle j’ai le plus souffert physiquement, ça a été la grande étape des Pyrénées. Ça a été le cas pour la majorité du groupe. C’était le 9ème jour consécutif qu’on pédalait, on était épuisé par tous les efforts accomplis et par les longs transferts avant et après les étapes. La fatigue était à son paroxysme. La température était caniculaire dès le départ. Pour ma part, j’ai poussé plusieurs personnes épuisées dès les premiers kilomètres. Il nous a fallu 11h30, en comptant les pauses, pour boucler cette étape. Un enfer. La grande étape des Alpes, de Bourg d’Oisans au Grand Bornand, était aussi très rude physiquement. Sur le papier, elle était bien plus dure que celle des Pyrénées. Mais il faisait frais et notre niveau physique était bien meilleur, du coup elle s’est mieux passée. Globalement, le plus dur sportivement ça a été la première semaine. Enchainer 1500 kilomètres en 9 jours consécutifs, avec la Corse et les Pyrénées, c’est difficile.

La performance d’un des participants t’a-t-elle particulièrement bluffé ?
Dans le groupe, nous avions cinq féminines. Ce n’était pas des féminines issues du meilleur niveau français, c’était des féminines à l’image du groupe masculin : des passionnées, compétitrices dans l’âme, mais ce n’était pas des stars. J’ai été épaté d’une part par leur niveau physique, et d’autre part par leur attitude. Je ne les ai jamais entendues se plaindre, je ne les ai jamais vues demander une faveur. Tout le monde était à la même enseigne et dans la même galère. Je peux t’assurer que j’avais les larmes aux yeux à la fin de la grande étape des Alpes avec 205 kilomètres et 5200 mètres de dénivelé, car réaliser une telle performance physique au 19ème jour du Tour, c’est unique. J’ai ressenti une immense joie d’avoir vécu cet évènement. Je ne pense pas que beaucoup de femmes, même les professionnelles, aient déjà tenté de faire ça. J’ai également une pensée pour l’ensemble des bénévoles du staff, qui ont tout fait pour que l’aventure se passe bien. Ils se sont démenés pour assurer notre sécurité, notre intendance et notre logistique. Ils ont une part importante dans notre réussite.

Avais-tu déjà enchaîné trois semaines de vélo d’affilée ?
Oui, j’avais déjà réalisé une aventure un peu similaire en 2005. J’avais parcouru environ 1800 kilomètres en trois semaines. Nous étions un groupe d’une dizaine de jeunes, nous avons relié Lyon (notre lieu de résidence) à Pau, puis traversé les Pyrénées. Nos étapes faisaient environ 80 kilomètres chaque jour, avec un ou deux cols. Cette expérience passée m’a permis d’aborder le Tour avec un peu plus de confiance que d’autres : j’avais déjà fait trois semaines de vélo, je savais à quels problèmes physiques m’attendre.

Tu as tweeté « il y a des choses qui marquent une vie. Ce genre de chose, ça fait plus que te la marquer, ça te la change ! » Explique-nous.
Cette aventure nous a donné à tous une confiance énorme pour l’avenir. Beaucoup d’entre nous, moi y compris, avons reçu des réponses du genre « c’est impossible que tu réussisses » ou « c’est impossible que ce projet fonctionne » quand on en parlait autour de nous. On nous a descendus avant même de nous laisser notre chance. J’avoue que, moi-même, j’ai été très sceptique sur la réussite du projet : j’étais convaincu que je pouvais réussir à titre personnel, mais je pensais qu’une bonne partie abandonnerait en cours de route. J’avoue avoir été sceptique sur la réussite d’une équipe issue de la diversité, avec des gens issus d’univers complètement différents qui devaient cohabiter pendant quatre semaines. Pourtant, on a réussi. On a réussi à la fois à titre personnel, ce qui nous a donné une plus grande confiance en nous, et à la fois en tant que groupe. On a tous découvert que quand on ose l’impossible, si on y croit et qu’on y va étape par étape en prenant les choses avec le sourire, on peut réussir. On a découvert la force que peut avoir un collectif qui vise un objectif commun. C’est en ça que je pense que ça va changer nos vies : on va tous tenter des choses qu’on n’aurait jamais essayées avant.

Cette expérience intervenait pour toi juste après Bordeaux-Paris, autre morceau de bravoure. As-tu déjà un nouveau projet en tête ?
J’ai plusieurs projets auxquels je réfléchis, certains à court terme et d’autres à long terme. J’ai notamment un projet atypique en tête : il existe une course « Lyon-Mont-blanc », qui reliait Lyon à Saint-Gervais, au pied du Mont Blanc. J’aimerais tenter de partir du centre de Lyon et grimper jusqu’au sommet du Mont Blanc, en faisant une première partie en vélo de route, une deuxième partie à VTT jusqu’aux glaciers, et terminer à pied comme le font les alpinistes. Sinon, j’aimerais tenter l’aventure du Paris-Brest-Paris et de quelques autres épreuves d’endurance en vue de m’aguerrir. Mon rêve étant de participer un jour à la Race Across America, une traversée des Etats-Unis d’ouest en est avec 4800 kilomètres à réaliser en moins de douze jours. Ce Tour de Fête n’était pas un acte isolé, je ne le vois pas comme un aboutissement : je l’ai abordé avec d’autres défis derrière la tête. L’aventure humaine vécue et ma réussite sportive m’encouragent à persévérer dans cette voie.

Propos recueillis le 4 août 2013.