Ceux-ci ont d’abord été emmenés par Lemond puis Indurain qui préparaient le Tour et seulement le Tour, poursuivi par Ullrich, Armstrong, Wiggins et tant d’autres.

De l’autre les spécialistes, soit des Ardennaises, soit des Flandriennes, soit des courses par étapes d’une semaine. Les suiveurs disaient alors, qu’étant donné l’internationalisation du cyclisme et l’élévation globale ou plutôt le resserrement du niveau physique de tous les pros, il n’était pas possible de garder la forme toute l’année et pire, briller en début de saison était prendre le risque de se « cramer » pour juillet. Ainsi, les images des Indurain, Ullrich voire Pantani qui se présentaient à l’ancienne Ruta del Sol, avec un maillot bien tendu au niveau du ventre et souvent 5 à 10 kg de trop sur la balance. Bien sûr, il fallait chercher dans les profondeurs du classement pour retrouver ces grands noms qui allaient être les têtes d’affiche de juillet. « La saison est longue » disaient-ils, « je suis en préparation et venu pour aligner les kilomètres en course. »

Mais depuis quelques (petites) années, que constate-t-on ? Un Pogacar qui gagne dès février sur des courses par étapes (Tour UAE), l’emporte sur Liège Bastogne Liège puis va viser le Tour. Wout Van Aert et Mathieu Van der Poel qui brillent dans les sous-bois l’hiver, enchainent victorieusement dès leur rentrée sur route et ce sur tous les terrains, depuis les courses italiennes, jusqu’aux Flandriennes en passant par l’Amstel avant de se préparer pour le Tour puis les JO. Sans compter Tom Pidcock qui espère rejoindre ses « jeunes ainés » en suivant le même schéma.

Entre les 2 extrêmes, y a-t-il un juste milieu ? Est-il possible de briller toute l’année, sur tous les terrains ?

 

nullMathieu Van der Poel et Wout Van Aert à la lutte, en cyclocross, comme le reste de l’année | © UCI

 

Oui

Le cyclisme a bien changé depuis 20/30 ans. Les coureurs expliquent bien qu’il n’existe plus de « petites courses ». Il n’existe plus de petite victoire, les équipes comme les sponsors l’ont bien compris. Si bien que ça roule vite, toute l’année. Et ce, dès la reprise des courses, que ce soit au soleil australien sur le Tour Down Under ou sur les courses disputées au Moyen Orient. Cela roule d’autant plus vite que la coupure hivernale est réduite à sa portion congrue, bien souvent une petite quinzaine de jours seulement sans vélo, fin octobre. Quand la coupure était au moins le double voire le quadruple il y a encore 3 décennies.

Les entraineurs ont ainsi clairement fait passer le message que le meilleur moyen d’attraper la forme était de ne jamais trop s’éloigner de son potentiel maximal, ce qui passe ainsi par le maintien du poids, des stages bien en amont de la saison de courses et l’enchainement de kilomètres en hiver.

Dès lors, pourquoi s’étonner que les cadors performent à partir du moment où ils s’entrainent autant que les autres et qu’ils sont déjà « au poids ». Et surtout, comment se plaindre aujourd’hui de voir Pogacar briller toute l’année quand nous fustigions Indurain qui donnait parfois l’impression de n’être coureur que 2 mois dans l’année, depuis le Dauphiné Libéré jusqu’à la fin du Tour ? Que dire de Jan Ullrich qui apparaissait encore « joufflu » au départ du Tour de Suisse mi-juin, donnant l’impression de rouler contre un compte à rebours pour attraper la forme.

Quel plaisir aujourd’hui de voir des champions comme Van Aert et Van der Poel, briller sur des disciplines aussi différentes que le cyclocross, les Flandriennes, les sprints massifs, les échappées solitaires au long cours, de Milan San Remo à l’Amstel en passant par les Strade Bianche. Et selon qu’il s’agisse du belge ou du hollandais, en assurant le tempo dans les cols ou en rien de moins que la médaille d’Or aux Jeux Olympiques en VTT.

Avant sa terrible gamelle du dernier Tour de Lombardie, Remco Evenepoel suivait des traces tout aussi impressionnantes, bien que différentes, en remportant des courses dès sa reprise, ou plutôt en empochant à peu près tout ce qui passait sous ses roues.

Tadej Pogacar est du même acabit, tenant un impressionnant ratio de victoires par rapport aux courses disputées.

Dans une moindre mesure peut-être, Egan Bernal joue dans la même cour, comme en atteste sa saison 2019 où il gagne dès Paris-Nice (classement général) en mars, avant d’enchainer avec le doublé Tour de Suisse – Tour de France en juin – juillet. 2021 semble le remettre sur la bonne route après sa saison 2020 en demi-teinte : après avoir brillé sur le Tour de la Provence (3ème), Tirreno (4ème) et les Strade Bianche (3ème), il semble avoir retrouvé son rendement habituel de champion toute l’année.

Ainsi, les exemples ne manquent pas pour signifier qu’être à son top niveau en mars ou avril (voire sur la période décembre-janvier) n’empêche pas de jouer les 1ers rôles en juillet et août.

 

nullMathieu Van der Poel brille aussi en VTT | © Corendon-Circus

 

Non

2021 a ceci de spécial qu’il s’agit, d’une part d’une année olympique et d’autre part, que la saison 2020 a été décalée vers les derniers mois. Ainsi, avec l’essentiel de la saison réparti sur 4 mois, la plupart des coureurs ont donné le maximum sur une courte période, proche de la coupure. Sans compter que la saison de cyclocross est arrivée très vite, elle-même s’enchainant sans temps mort ou presque avec la saison de route.

A ce petit jeu, Wout Van Aert est « tiré vers le haut » par Mathieu Van der Poel. Leur rivalité sur la route ou dans les labourés régale les suiveurs et leur permet eux-mêmes de repousser leurs limites. En cyclocross ils sont à peu près intouchables, à l’exception notable de Tom Pidcok, qui « joue » aussi sur la route avec eux.

Ainsi, quand la saison de route a débuté, les 2 « meilleurs ennemis » étaient à un nveau exceptionnel. Nous avions l’impression qu’ils allaient se partager toutes les victoires sur les courses, le meilleur exemple étant le début de Tirreno Adriatico.

Mais à ce petit jeu où personne ne veut laisser sa place sur la route et sur le terrain médiatique, Wout Van Aert a voulu jouer le général de l’épreuve, probablement parce que le Tour 2020 lui a laissé quelques espoirs pour viser un jour le classement général et Mathieu der Poel s’est imposé avec une magnifique victoire au terme d’un raid solitaire de 50 km sous un temps exécrable. Mais dans les 2 cas, il y a eu beaucoup de « cartouches grillées », pour de belles victoires certes mais celles-ci apportent-elles une véritable plus-value à leur bilan de l’année ?

Ces efforts-là n’ont-ils pas coûté à Van der Poel quelques watts qui auraient été bien utiles sur la dernière ligne droite du Tour des Flandres ?

Ces efforts-là n’ont-ils pas empêché Van Aert de s’imposer avec davantage que 4 mm sur Pidcock au terme de l’Amstel Gold Race. Une victoire reste une victoire mais il est facile d’imaginer que le coureur belge aurait préféré gagner avec une marge plus confortable, lui qui est pourtant l’un des sprinteurs les plus rapides du monde. En sprint massif.

Parallèlement, et presque à l’inverse en observant Julian Alaphilippe dans sa gestion des saisons, nous constatons qu’il cible davantage ses objectifs. Il n’a probablement pas le moteur de Van Aert ou de Van der Poel, mais au printemps sa période de grande forme a duré le temps de… 4 jours et 2 courses (Flèche Wallonne et Liège Bastogne Liège). Sur les courses précédentes, il était présent sur ses qualités naturelles mais a calé à un moment ou un autre.

 

nullPrimoz Roglic, vainqueur en montagne à Orcières Merlette sur le Tour 2020 | © Deceuninck Quick Step


Et comment ne pas penser à Primoz Roglic, qui arrive en forme assez facilement mais finit souvent par coincer en fin de Grand Tour. La Grande Boucle 2020 doit peut-être encore hanter ses nuits ainsi que celles de son entourage. Au point qu’il ne va plus courir jusqu’au Tour du France. Du jamais vu pour un des principaux favoris à ce stade de la saison. Pour autant, le sérieux dans la préparation du coureur slovène ne fait aucun doute et il est fort possible que son pari fonctionne, lui qui devrait utiliser les 1ères étapes du Tour de France pour reprendre le rythme, sachant qu’il lui faudra ensuite enchainer avec les Jeux Olympiques dans le rôle de l’un des favoris.

 

Par Olivier Dulaurent