Une personnalité du cyclisme nous raconte son plus beau souvenir de Tour de France. Une façon de retracer l’Histoire du Tour de France et de ses 101 éditions.

Patrick, à quand remonte votre tout premier souvenir du Tour de France ?
Plus qu’une année – c’était en 1971 – c’est le nom du tout premier coureur que j’ai mémorisé dont je me souviens : Cyrille Guimard. Le deuxième nom qui m’est resté en mémoire, c’est celui de Luis Ocaña. Cette année-là on parlait beaucoup de ces deux coureurs, même si ni l’un ni l’autre n’a gagné le Tour 1971. J’avais 6 ans et un grand frère passionné de Tour de France. Mes parents, eux, n’aimaient pas spécialement le vélo. Nous n’avions pas la chance d’être en vacances dans des coins où passait le Tour. Tantôt je l’écoutais à la radio, tantôt sur une télé en noir et blanc de location !

Vous avez eu l’occasion, dans votre carrière de journaliste, de rencontrer Cyrille Guimard et Luis Ocaña. Qu’avez-vous alors ressenti ?
J’ai été davantage impressionné par Luis Ocaña, qui avait une approche assez rugueuse. Il était très direct, tandis que j’étais un jeune journaliste qui ne comprenait pas encore grand-chose au vélo. Ocaña en imposait beaucoup et j’avais énormément de respect pour lui. Cyrille Guimard de son côté a eu une approche beaucoup plus paternaliste avec moi, accueillante, tendre, pédagogique…

A partir de quand vous êtes-vous intéressé au vélo ?
Vraiment très jeune. Les Tours de notre enfance sont toujours ceux qui nous marquent. Même si j’étais petit, je les suivais parce que j’admirais mon grand frère et que j’ai épousé ses passions. J’ai toujours suivi le Tour avec beaucoup d’assiduité, même si j’ai été beaucoup plus intéressé par les classiques que par le Tour de France. A partir du moment où, adolescent, j’ai eu la chance de voir pour la première fois le Tour de mes yeux, je me suis dit que c’était une fête formidable. C’était dans les Alpes, dans le col du Chinaillon.

Quels sont les trois Tours de France qui vous ont le plus marqué ?
Sur la troisième marche du podium, je placerais mon premier Tour de France comme commentateur d’Eurosport en 1991. Un Tour sans grand intérêt qui révèle Miguel Indurain, déjà estimé trop fort, mais que j’admirais car il s’agissait de mon premier Tour. Il y a eu la défaillance de Greg LeMond dans le Tourmalet, et les larmes de Roger Legeay que nous avions eu au téléphone en direct. Sur la deuxième marche, je mettrais le Tour 1973. Tout le monde avait Merckx en tête, et c’est Ocaña qui gagne en prenant sa revanche de 1971. Cette année-là il domine, mais pas n’importe qui et pas n’importe comment.

Et alors, quel Tour placez-vous en tête ?
Le plus marquant, franchement, je pense que c’est celui que nous sommes en train de vivre aujourd’hui. Je pense vivre un Tour qui va me marquer durablement. Cela fait trop longtemps que j’attends ça, et je pense que nous sommes beaucoup à réagir ainsi en salle de presse. Le cyclisme va mieux depuis plusieurs années, mais nous en avons aujourd’hui la concrétisation. Non pas parce que les Français brillent – ce ne sont pas les seuls coureurs propres – mais parce que les coureurs propres sont en train de gagner, de faire la révolution. Ils sont beaucoup plus nombreux, et surtout ils gagnent, c’est ce qui est important. Il y aura toujours des tricheurs, mais à partir du moment où ils deviennent minoritaires, le sport reprend son sens. Je n’ai aucune preuve mais j’ai confiance. Et retrouver cette confiance, dans mon métier, c’est ce qu’il y a de plus beau.

Pourtant, si l’on évoque la course au maillot jaune, l’ultra domination de Vincenzo Nibali ne nuit-elle pas à cette édition ?
On peut regretter que tant de leaders aient disparu. Froome, Contador, Cavendish aussi… Mais ça participe à la dramaturgie du Tour.  Si René Vietto n’était pas resté en larmes au bord de la route avec une roue en moins passée à son leader, lui qui pouvait gagner le Tour, la course serait moins belle… On pourrait citer d’autres exemples. Ça crée des Tours marquants. Il faut accepter qu’il y ait des coureurs battus à la pédale et d’autres écartés sur chute. Ce n’est pas un sport ordinaire.

Comment, à votre sens, chacun des médias valorise le Tour de France ?
La presse écrite l’a créé, la télé l’a magnifié par l’image. Pas celle des beaux paysages, dont le nombre m’ennuie, mais celle du coureur, qui doit rester plus beau et plus fort que tout. Le talent des coureurs, c’est d’arriver à s’accommoder de la géographie et des contraintes météos. Maintenant, chaque média a son temps. Celui qui pour moi correspond le mieux au cyclisme, c’est la radio. La voix. C’est le sens de l’histoire. C’est elle qui a popularisé le vélo il y a longtemps. Ça reste aujourd’hui un média important. La voix qui raconte reste pour moi le plus romantique. Ensuite, il y a l’image, filmée, figée ou numérisée… Et puis il y a l’écrit : je ne peux pas commencer une journée sur le Tour sans lire le papier de Philippe Bouvet dans L’Equipe. Que retiendra-t-on du Tour 2014 dans un mois ou dans un an ? Les gens de la presse écrite se posent cette question et nous apportent déjà, par leur analyse, des éléments de réponse. C’est la vision de la grandeur de l’exploit que l’on vit au présent.