Peter, vous retrouvez la victoire sur le Tour pour la première fois depuis Albi en 2013 et endossez le maillot jaune au terme d’un final haletant…
Dans le final, j’ai fait de mon mieux, mais je pensais me battre pour la 3ème place, pas pour la victoire. Je ne pensais pas avoir gagné car je pensais que deux coureurs étaient encore à l’avant. D’où ma surprise. Roman Kreuziger a fait une dernière montée incroyable. Je dois le remercier. Je suis ravi d’endosser le maillot jaune pour la première fois de ma carrière. Personne dans le peloton n’a pris ses responsabilités. C’était une arrivée trop difficile pour Mark Cavendish et son équipe n’avait aucun intérêt à rouler. Les 50 derniers kilomètres ont été un peu fous.

Ressentiez-vous de la pression sur cette arrivée où vous étiez attendus ?
Une victoire n’est jamais facile, même si certaines peuvent paraître comme telles. C’est la première fois que je prends le maillot jaune en cinq ans. Cela montre bien que ce n’est pas facile. Il faut avoir à la fois de la chance et la condition. J’ai fait énormément de sacrifices pour le Tour. En début de saison je me suis entraîné pour les classiques, puis après ma coupure, j’ai repris par le VTT puis sur route au Tour de Californie. Le Tour de Suisse a été très difficile, autant physiquement que moralement en raison des conditions climatiques. Prendre du plaisir sur le vélo, c’est le meilleur moyen de supporter les sacrifices que l’on fait toute l’année.

Avez-vous changé depuis, votre première victoire sur le Tour il y a quatre ans ?
Je ne sais pas. Si je termine 2ème aujourd’hui, la question ne se pose plus. Je veux dire par là que je prends ce que la vie me donne. Je ne peux rien y changer. Je crois au destin. Mes deux premières années chez les pros ont été les plus stressantes. Depuis, c’est seulement du plaisir. En revanche, la course était différente lors de mon premier Tour de France. Je dois rester calme, car les journées sont très nerveuses dans le peloton. C’est comme si les coureurs ne se souciaient pas de leur vie.

Que voulez-vous dire ?
J’ai l’impression que tout le monde se fiche de tout, comme si certains coureurs avaient perdu la tête ! Il y a des chutes stupides. Même si la route est mouillée, certains coureurs ne freinent pas. Dans ce cas-là, les chutes sont inévitables. Quand je suis arrivé dans le peloton, il y avait plus de respect. Quand un coureur faisait une bêtise de ce genre, il était réprimandé. Les choses étaient un peu différentes quand je suis passé pro. Les choses se sont empirées à ce niveau. Tout le monde veut rester placé à l’avant et on peut se retrouver avec six ou sept trains à l’avant à 50 kilomètres de l’arrivée. Personne ne porte d’attention à ce qu’il se passe. C’est comme si certains ne savaient pas rouler à vélo. Aujourd’hui je suis en jaune. Demain je ne sais pas si je serai encore là.

Votre coéquipier Alberto Contador figure d’ailleurs parmi les principales victimes de ces chutes liées à la tension.
Alberto a joué de malchance, comme hier. Quand il est tombé, j’étais à ses côtés. Tony Martin a pris un ralentisseur trop rapidement. Il est tombé du côté d’Alberto, pas du mien. Autrement, c’est moi qui tombais. C’est la malchance. Aujourd’hui, c’est Alberto, demain ça peut être quelqu’un d’autre. Il perd 48 secondes, ce n’est pas énorme. Il est très fort, nous ne sommes qu’au départ et je suis sûr qu’il pourra lutter pour le maillot jaune. J’espère aussi qu’Alberto récupérera vite de ses blessures.

L’an dernier, vous vous disiez trop surveillés pour pouvoir gagner. Depuis vous avez remporté un titre mondial, un monument et avez endossé le maillot jaune. Avez-vous changé votre approche de la course ?
Je ne pense pas. J’ai toujours été là, je ne suis jamais tombé bas. Je suis ravi de ce que j’ai réalisé en l’espace d’un an. C’est sur les grands rendez-vous que l’on comprend l’importance de l’expérience.

Maintenant que vous avez le maillot jaune, jusqu’à quand pensez-vous pouvoir le conserver ?
Je m’en fiche. Si je perds le maillot jaune, j’ai le maillot vert et si je perds le maillot vert, j’aurai toujours le maillot arc-en-ciel ! Je vais prendre les choses au jour le jour. L’important pour moi reste d’arriver à Paris.

Propos recueillis à Cherboug le 3 juillet 2016.