Eric, vous avez rejoint Change Cycling Now, dans quelles circonstances et dans quel but ?
Plusieurs personnes m’ont contacté afin que je participe à la table ronde organisée par Jaimie Fuller à Londres dimanche et lundi. J’ai adhéré à ce groupe du fait de mes connaissances avec plusieurs d’entre elles et au nom de mon amitié avec Greg LeMond. Notre but est de proposer une alternative à la direction actuelle de l’Union Cycliste Internationale, de montrer qu’une équipe se prépare à faire des propositions, que des hommes se préparent à prendre des responsabilités, et surtout manifester notre mécontentement face à la situation actuelle du cyclisme.

Que souhaitez-vous ?
Nous demandons la démission de Pat McQuaid, nous demandons aussi que Hein Verbruggen rende des comptes sur sa présidence. On ne peut plus revivre des histoires telles que celle de Lance Armstrong. Les présidents successifs de l’UCI ont des responsabilités dans cet état de fait. Nous avons mis en place un site Internet (www.changecyclingnow.org) avec une pétition réclamant la démission de Pat McQuaid. D’un autre côté nous voulons montrer que nous avons une politique, une stratégie, et que nous sommes capables de présenter un projet pour l’avenir du cyclisme.

Change Cycling Now a rassemblé des personnalités comme Greg LeMond, Jonathan Vaughters ou Antoine Vayer. Comment se sont passés les premiers échanges ?
Nous avons fait un point sur la lutte antidopage. Chaque intervenant, dans son domaine de compétences, a évoqué ce qu’il pouvait faire. Un scientifique nous a expliqué qu’aujourd’hui on pouvait faire beaucoup plus que ce qu’on faisait jusqu’à présent. Un universitaire a confirmé qu’on pouvait prendre des mesures plus efficaces contre le dopage. Des gens sont aussi intervenus pour expliquer que l’on devait intervenir dans l’entourage des équipes afin d’éviter que des docteurs Ferrari, Fuentes ou Del Moral puissent continuer à travailler avec des coureurs comme ils le faisaient ces dernières années, ce qui a mené à de graves affaires de dopage. Nous ne souhaitons pas nous concentrer que sur le coureur. Il ne faut pas oublier de regarder plus en amont pour voir comment les coureurs ont pu accéder au dopage.

En ce sens, n’a-t-il pas manqué à Londres la voix des coureurs, peut-être encore frileux à l’idée de s’engager auprès d’un tel mouvement ?
Il n’a pas manqué la voix des coureurs, portée à Londres par Gianni Bugno, le président du CPA, l’association internationale des coureurs. A lui maintenant de communiquer auprès des coureurs, de leur dire de rejoindre le mouvement Change Cycling Now s’ils souhaitent une alternative à la direction actuelle de l’UCI. Qu’ils nous fassent part de leurs témoignages, qu’ils s’expriment, qu’ils expliquent ce qu’ils souhaitent, qu’ils n’hésitent pas à exposer les problèmes qu’ils rencontrent. Au CPA de faire passer les bons messages.

Parmi les mesures présentées, il a été évoqué la mise en place d’une cellule d’écoute pour les coureurs désirant se confier…
Nous avons évoqué l’idée de permettre à des coureurs qui auraient un poids sur l’estomac par rapport à des pratiques dopantes de s’exprimer et libérer leur parole. Nous aimerions créer une commission d’écoute qui déboucherait sur une réconciliation générale. Cela permettrait à un maximum de coureurs de poursuivre leur carrière sur des bases propres et saines.

A titre personnel, quels sujets avez-vous soulevés pour changer le cyclisme maintenant ?
Je pense que, depuis trop d’années, on oublie le terrain sportif. Il faut que la future politique de l’UCI soit davantage orientée sur l’aspect sportif que comptable et financier. On voit que le système d’attribution des points UCI crée plus de conflits, de polémiques et d’injustice qu’autre chose. La grille de points du WorldTour, c’est un système bancaire à partir duquel on va faire du business. Et un système qui pervertit le cyclisme, et donc les coureurs. A partir de là on cherche à gagner des points plus qu’à travailler pour lever les bras, faire gagner un leader et, en tant qu’équipier, récolter les fruits de ce travail.

Quelle solution est proposée par Change Cycling Now ?
La solution, c’est de permettre à tout coureur cycliste de pouvoir s’exprimer sur le terrain, de faire carrière, de gagner sa vie honnêtement et correctement. Ça doit être basé sur le mérite et non plus sur des calculs pervers. Les gens qui dirigent le cyclisme actuellement ne savent pas ce que c’est le vélo car ils n’ont jamais été coureurs. Ils ignorent ce que c’est que de souffrir sur un vélo, de se sacrifier pour un leader, de l’abriter du vent pour l’emmener dans de bonnes conditions. Ils ne connaissent pas ce travail d’équipe. Il faut le vivre pour le sentir et le redonner derrière.

Vous avez présidé l’Association Internationale des Groupes Cyclistes Professionnels en 2008 et avez eu des rapports houleux avec l’Union Cycliste Internationale…
En 2008, en plein conflit entre les organisateurs des Grands Tours et l’UCI, la fédération m’a demandé que toutes les équipes boycottent Paris-Nice. J’ai agi pour le bien du cyclisme et refusé le boycott. Puis quand Lance Armstrong a annoncé son retour, j’ai demandé à l’UCI s’il avait passé les analyses obligatoires pour mettre en place son passeport biologique. Ça a dérangé la fédération, qui a ouvert une procédure disciplinaire à mon encontre. Pat McQuaid m’a écrit qu’il ne s’adresserait plus jamais à moi, que je n’étais pas crédible en tant que président de l’AIGCP. Il a remis en cause ma légitimité. Le fait de ne pas avoir boycotté Paris-Nice, le fait de poser des questions, m’ont valu un conseil de discipline. Voilà la réponse de ces gens lorsqu’on pose des questions. Je n’étais pas au garde-à-vous de l’UCI, mais il était hors de question d’exécuter de tels ordres.

A la tête de l’AIGCP, vous avez mesuré les difficultés de faire avancer vos idées avec un certain nombre de personnes, vouloir changer le cyclisme est un pari audacieux ?
Nous avons conscience que la tâche est énorme ! Mais nous faisons appel aux coureurs, aux dirigeants des équipes, aux sponsors et aux organisateurs. A eux de nous dire quel cyclisme ils veulent pour 2013. Ils doivent mener cette réflexion avant que la saison ne reprenne et déterminer avec qui ils veulent travailler. Avec l’équipe dirigeante actuelle ou avec une autre équipe. Tant pis pour ceux qui opteront pour l’équipe actuelle si c’est pour vivre encore des affaires de dopage et des situations conflictuelles en 2013.

Croyez-vous vraiment qu’un tel groupe de pression puisse faire flancher l’UCI ?
Si nous n’y croyions pas, nous ne le ferions pas. Oui, on y croit ! Nous ne sommes pas là pour embêter quiconque. Nous sommes là pour faire les choses concrètement et honnêtement.

Quelles vont être les prochaines échéances ?
Nous attendons de voir si le compteur tourne au niveau de la pétition que nous avons mise en place sur www.changecyclingnow.org. Nous attendons de voir si les organisateurs, les dirigeants d’équipes et les coureurs se rapprochent de nous et nous rejoignent.

En cas de démission de Pat McQuaid, Greg LeMond s’est déjà dit favorable à l’idée de prendre la direction de l’UCI par intérim. Et vous, quel rôle vous verriez-vous jouer dans les mois à venir ?
Je n’ai pas fait de calculs. Je n’ai pas de plan de carrière par rapport à cela. Aujourd’hui je suis concentré à mobiliser un maximum d’acteurs du cyclisme pour faire part aux dirigeants de l’UCI de notre volonté de changer ce sport. Je concentre toute mon énergie à cette mobilisation. Après, on verra bien quel sera mon rôle.

Propos recueillis le 5 décembre 2012.