Steve, une nouvelle fois, vous voilà médaillé d’argent au Championnat de France de cyclo-cross. Comment avez-vous vécu cette course ?
Je me doutais que Francis Mourey allait faire le forcing dans les deux premiers tours. Le circuit était piégeur, et il ne valait mieux pas se retrouver à quinze devant à mi-course. Mais pour la petite histoire, j’ai cassé ma chaîne deux jours plus tôt en reconnaissant le parcours. J’avais une chaîne neuve sur mon vélo, avec une cassette certainement un peu usée. Quand on est passé dans les trois premières bosses, ça craquait énormément. Je n’avais pas forcé autant à l’échauffement qu’en course, donc je ne m’en étais pas rendu compte. Je suis donc passé au poste pour changer de vélo mais quand on roule aussi vite d’entrée de jeu, Francis a tout de suite pris 15 secondes d’avance. Dans mon esprit, c’était foutu. Surtout que Francis est quelqu’un qui est très propre dans ses trajectoires, avec son matériel. Il ne lui arrive jamais trop de pépins donc pour moi c’était cuit au bout d’un tour et demi.

Mais il y a eu cette crevaison qui a tout relancé ?
Quand il a crevé, ça m’a regonflé le moral. Je me suis dit que c’était peut-être mon jour, qu’il fallait que j’y croie. Mais Francis Mourey connaissait ma tactique, il savait bien que je n’avais qu’une solution pour le battre, c’était d’arriver avec lui au sprint. Or au sprint, il avait un 50 dents, tout simplement. Avec mon 46×13, je me suis retrouvé les jambes autour du cou à 75 mètres de la ligne. Je n’ai rien pu faire, je me suis rassis et j’ai regardé…

Saviez-vous que Francis Mourey emmenait un tel développement ?
Je n’ai pas fait attention à son développement mais je savais qu’il emmenait gros. Je ne pouvais pas rivaliser à ce niveau-là. Emmener un plateau de 48 ou 50 dents est réservé au numéro un mondial. Un plateau de 50, Francis est le seul au monde à pouvoir l’emmener en cross. Il est une force de la nature.

Vous sembliez pourtant être sûr de votre fait à l’approche du sprint, des détails ne trompaient pas…
Voilà deux semaines que je disais que la course allait être gelée et que ça se jouerait au sprint. Ca n’a pas loupé ! J’étais persuadé que ça allait finir comme ça. J’essaie de faire un maximum de sprints sur la route. Je sais que Francis est rapide mais je pense être aussi rapide que lui. J’attendais qu’il lance le sprint à 150 mètres pour déboîter à 80 mètres mais j’avais les jambes autour du cou, je n’ai rien pu faire. Dans la tête, j’étais prêt pour un sprint, j’avais tout à gagner et rien à perdre. C’était l’homme à battre. Et s’il avait été battu, les questions auraient été pourquoi Mourey a fait deux et non comment Chainel a gagné.

Nourrissez-vous des regrets ?
S’il a réussi à emmener un 50, c’est qu’il est le plus fort, tout simplement. Je lui tire mon chapeau. A sa place, j’aurais énormément de mal à gérer la pression. Même dans la peau d’un outsider, j’ai beaucoup de mal à gérer le stress. Maintenant je suis un peu dégoûté parce que ça fait deux fois de suite que je fais deux au sprint. Les années passent, j’ai 26 ans, il ne faudrait pas que j’attende trop longtemps avant d’être champion de France ! Et puis je vois les jeunes qui montent aussi, des gars comme Boulo, Jouffroy, Jaurégui… A un moment donné, ils vont vouloir mettre les vieux dehors. J’aimerais vraiment un jour décrocher ce titre de champion de France. J’espère que ce sera l’année prochaine à Lanarvily, au terme d’une belle course contre Francis.

Vous sentez-vous capable un jour de vaincre Francis Mourey ?
Vous savez, sur un Championnat du Monde, il y en a trois au-dessus de lui. Je pense que Nys, Albert et Stybar sont au-dessus du lot. Mais sur une course d’un jour comme on l’a vu à Liévin, tout est possible. Pour moi, il n’y a pas photo, Mourey est plus fort que Chainel, mais tout peut arriver. Alors Francis peut très bien devenir champion du monde et moi devenir champion de France. Je mets tous les atouts de mon côté, je m’entraîne dur. J’ai fait cette année une petite campagne belge entre Noël et le Jour de l’An, tout seul avec ma femme et un mécano. Ca a failli marcher.

La domination de Francis Mourey ne vous décourage pas ?
Non, je vais travailler et demander à avoir un programme de courses un peu adapté. C’est vrai que cette année, j’enchaîne mon programme sur route directement après le Mondial de cyclo-cross. Peut-être que contrairement à Francis Mourey à la Française des Jeux, je suis moins considéré comme un crossman dans mon équipe. A mon grand regret parce que j’aime vraiment cette discipline. L’année prochaine, je vais gérer ma saison de cyclo-cross en fonction de ma saison de route. Et puis j’irai à Lanarvily en espérant être à 100 % pour taquiner Mourey et pourquoi pas le battre. C’est vraiment l’homme à abattre. Et je ne suis pas le seul à le vouloir, même si j’ai un grand respect pour lui, il a gagné quatorze manches d’affilée du Challenge National. C’est quelqu’un que j’admire, un ami, mais le jour du championnat on ne se fait pas de cadeaux car on court pour des marques différentes. Finalement à Liévin, la logique a été respectée, s’il doit y en avoir une dans le sport.

Propos recueillis à Liévin le 10 janvier 2010.