Le premier dimanche d’avril est un jour saint en Belgique, un jour sacré comme on en célèbre une poignée chaque saison. C’est celui du Tour des Flandres, le monument du cyclisme dans une toute petite région du globe qui vénère le vélo plus que partout ailleurs. Entre la cathédrale de Bruges et la cité de Ninove, ce sont des guerriers que l’on adule sur le bord des routes. Des champions dont les noms sortent tout droit de la mythologie cycliste, tout comme ceux des monts qu’il convient de franchir. Ceux-ci sont au nombre de dix-huit sur les 258 kilomètres. Ils sont tantôt pavés, tantôt asphaltés, toujours courts, étroits et raides. C’est de leur enchaînement sans ménagement que sortira le nom du vainqueur, que tout le monde pressent sous les traits de Fabian Cancellara (Team Leopard-Trek), le tenant du titre et le plus convaincant.

Redoutant une nouvelle démonstration avilissante, le peloton tout entier semble se liguer aujourd’hui contre le champion suisse. Ils ne seront pas nombreux à vouloir collaborer avec lui, mais Cancellara n’aura de toute façon guère besoin de renfort s’il veut à nouveau inscrire son nom au palmarès du Ronde. Tout juste lui faudra-t-il s’y prendre un peu différemment que l’an passé, car ses adversaires sont prévenus et l’attendent au tournant. Et dans l’attente des premiers mouvements des favoris, la course est déjà très animée. Cinq coureurs s’enfuient après 55 kilomètres pour former l’échappée matinale : Mitchell Docker (Skil-Shimano), Roger Hammond (Garmin-Cervélo), Jeremy Hunt (Team Sky), Sébastien Turgot (Team Europcar) et Stefan Van Dijck (Veranda’s Willems-Accent). Ces cinq-là posséderont jusqu’à huit minutes d’avance avant d’être rejoints et déposés par les premiers outsiders à l’abord des premiers monts sérieux.

Les choses sérieuses se précisent en effet dans le Paterberg, où Sylvain Chavanel (Quick Step) et Simon Clarke (Astana) secouent le peloton pour se porter en tête de course, où ils ne demeurent plus que tous les deux à l’avant après l’escalade du redoutable Koppenberg. En prenant les choses en main si loin de l’arrivée, Sylvain Chavanel travaille pour Tom Boonen. Il aurait bien mieux à espérer de pareille entreprise que de jouer avec les nerfs des favoris, mais encore faudrait-il un jour que ses dirigeants lui fassent entièrement confiance. A moins que le Châtelleraudais ne trouve un avantage dans cette position de coéquipier de luxe. Toujours est-il que le numéro qu’il réalise en tête de course, qui n’est pas sans rappeler celui accompli il y a deux ans déjà, fait progressivement du coureur français un favori à la victoire finale dans ce Ronde.

Tom Boonen provoque Fabian Cancellara mais inverse le rapport de force.

A 49 kilomètres de l’arrivée, on entre dans le Molenberg, le mont d’où étaient sortis l’an passé Fabian Cancellara et Tom Boonen. La sélection sera moins phénoménale cette fois-ci. En revanche, le Molenberg permet à Sylvain Chavanel, toujours échappé, de s’isoler en tête de course et d’entamer seul les 50 derniers kilomètres, bientôt doté d’une minute d’avance sur un peloton en tête duquel personne ne semble vouloir réagir. Personne sauf celui qui justement devrait se contenter de pareille situation : Tom Boonen. Surestimant ses forces, le Belge démarre sur le secteur pavé de Haaghoek à 42 kilomètres du but. Il provoque lui-même Fabian Cancellara mais ne fait qu’inverser le rapport de force. Car le Suisse n’attendait que cela. Tout de suite, Cancellara relaie son effort et insiste jusqu’à faire céder tout le monde, Boonen y compris. C’est un bide monumental pour le Belge, qui voit filer Cancellara à la poursuite de Chavanel.

Le rouleur suisse est entré de plein fouet dans sa course. Il va lui falloir dix petits kilomètres pour boucher la minute de retard sur Sylvain Chavanel, qui voit revenir sur lui un homme serein qui ne lui jettera pas un regard et ne lui réclamera pas le moindre relai jusqu’au pied du Mur de Grammont, que les deux coureurs abordent en tête. Le dénouement semble alors écrit à l’avance et l’on s’attend à revivre la course de 2010, avec Chavanel dans le rôle de Boonen. Mais c’est aller un peu vite en besogne car le peloton s’est bien organisé derrière le duo de tête et il s’apprête à boucher le trou sur les pavés disjoints du Muur. Dans les pourcentages les plus raides du mont pavé le plus mythique, Fabian Cancellara persiste mais Sylvain Chavanel ne lui concède rien. Et Philippe Gilbert (Omega Pharma-Lotto), Alessandro Ballan (BMC Racing Team) et Björn Leukemans (Vacansoleil-DCM) effectuent même la jonction ! Devant la chapelle de Grammont, à 15 kilomètres du but, c’est une nouvelle course qui commence. La certitude que Cancellara n’est pas aussi fort est acquise. Alors Philippe Gilbert cherche à exploiter la faille. C’est lui qui démarre dans le Bosberg, le dernier mont pavé. Mais son assaut ne mène nulle part. Pire : six nouveaux coureurs renforcent le groupe de tête à 8 kilomètres de l’arrivée.

Ce sont donc douze coureurs qui approchent de Ninove avec la possibilité de remporter le Tour des Flandres : Ballan, Boonen, Cancellara, Chavanel, Flecha, Gilbert, Hincapie, Langeveld, Leukemans, Nuyens, Scheirlinckx et Thomas. Mais ce sont encore Fabian Cancellara et Sylvain Chavanel qui vont sortir du lot à 3 kilomètres du but, flanqués cette fois de Nick Nuyens (Saxo Bank-SunGard), le coureur recruté cet hiver par Bjarne Riis en remplacement de… Cancellara. Et le choix a été judicieux. 2ème du Tour des Flandres en 2008, vainqueur d’A Travers la Flandre il y a dix jours, Nick Nuyens va bondir dans les derniers hectomètres pour remporter le sprint à trois qui clôt un palpitant Tour des Flandres, indécis jusqu’au bout. Sylvain Chavanel, qui tente de s’infiltrer dans un trou de souris mais doit à deux reprises couper son effort, s’incline mais termine 2ème après une brillante course. Fabian Cancellara, seul contre tous, prend la 3ème position.

Classement :

1. Nick Nuyens (BEL, Saxo Bank-SunGard) les 258 km en 6h00’42 »
2. Sylvain Chavanel (FRA, Quick Step) m.t.
3. Fabian Cancellara (SUI, Team Leopard-Trek) m.t.
4. Tom Boonen (BEL, Quick Step) à 2 sec.
5. Sebastian Langeveld (PBS, Rabobank) à 8 sec.
6. George Hincapie (USA, BMC Racing Team) m.t.
7. Björn Leukemans (BEL, Vacansoleil-DCM) m.t.
8. Staf Scheirlinckx (BEL, Veranda’s Willems-Accent) m.t.
9. Philippe Gilbert (BEL, Omega Pharma-Lotto) m.t.
10. Geraint Thomas (GBR, Team Sky) m.t.