Daniel, vous avez été chargé par l’Union Cycliste Internationale de mettre sur pied, avec l’aide de l’Agence Mondiale Antidopage, la commission « Vérité et Réconciliation ». En quoi cela consiste ?
Lorsque l’UCI avait mis en place sa propre commission indépendante, l’AMA avait gentiment refusé de collaborer, estimant qu’un processus « Vérité et Réconciliation » serait plus adapté. Aujourd’hui l’idée serait effectivement de faire travailler les instances ensemble, et dans ce cas-là ma mission avec Arthur Lopes est d’essayer de mettre les gens autour d’une table pour trouver une solution, et pour l’instant on n’y est pas vraiment arrivé…

Comment va s’organiser cette commission ?
Ce n’est pas à moi d’en décider, ceci appartiendra à l’UCI et à l’AMA de mettre en œuvre le principe de fonctionnement de cette commission : de définir qui en sera membre, quel en sera le cahier des charges, quelle sera la période d’investigation, quelles seront les conditions etc. Est-ce que les sportifs qui accepteront de s’exprimer devant cette commission pourront bénéficier, comme le prévoit le Code Mondial Antidopage, d’une réduction de peine ? Est-ce que l’on appliquera purement et simplement le Code Mondial Antidopage, ou est-ce que d’autres règles s’y ajouteront ? Ce sont des sujets à mettre sur la table.

Selon vous, cette mission permettra-t-elle au cyclisme de repartir enfin du bon pied et de faire un peu le nettoyage au sein même de ses acteurs ?
Oui, je pense ! Il y a longtemps que je milite pour un tel processus. Selon moi, cette commission va permettre d’évacuer le passé et notamment celui de la fin des années 90 et du début des années 2000, l’ère Armstrong en définitive. Je pense qu’entretemps il y a eu beaucoup de progrès de faits, avec notamment l’introduction du passeport biologique qui a permis d’assainir la situation. Mais tout n’est pas encore parfait, loin s’en faut. Il faut une fois pour toute purger, de telle sorte à ce que le cyclisme n’ait pas toujours cette image qui lui colle à la peau d’un sport dans lequel le dopage est roi.

En quoi le cyclisme a-t-il évolué depuis le début des années 2000 ?
L’évolution majeure a quand même été l’introduction, au niveau de l’UCI, du passeport biologique. Avec lui beaucoup de choses ont évolué. Ceci ne veut toujours pas dire que tout est clean, mais à mon avis la proportion de coureurs qui trichent, et la profondeur de ce dopage, a fortement reculé. Un autre élément important a vu le jour, c’est qu’à partir du début des années 2000, l’EPO a été décelable dans les contrôles. Ce n’est peut-être qu’un élément mais il a son importance. C’est vrai que beaucoup de coureurs ont su détourner ce phénomène avec l’injection de micro-doses. Je le répète, ce sont de vrais progrès, mais il faut continuer. Le passeport biologique est encore perfectible. Il ne faut pas non plus perdre de vue que les contrôles antidopage classiques doivent continuer à être réalisés. Il faut également continuer à les faire progresser. Aujourd’hui on a des doutes sur l’utilisation d’une substance qui pourrait éventuellement être utilisée, l’Aicar, et pour laquelle on est dans la même situation que pour l’EPO dans les années 90, à savoir qu’elle n’est pas encore décelable dans les contrôles.

Le cas de Lance Armstrong évoque le problème des contrôles antidopage puisqu’il n’a jamais été contrôlé positif. La prise en charge de ces contrôles par un groupe indépendant pourrait-elle rendre les contrôles encore plus efficaces ?
Evidemment, intellectuellement c’est séduisant de parler d’un groupe indépendant. Peut-être que cette solution pourrait être bonne, je ne sais pas trop. Armstrong n’a en effet jamais été pris positif, que ce soit par des contrôles diligentés par l’UCI, des contrôles réalisés au laboratoire de Châtenay-Malabry ou des contrôles faits dans des laboratoires étrangers. Le problème n’est pas là, mais Armstrong utilisait de manière scientifique son dopage, avec comme règles de passer au travers des mailles du filet. Toutes les organisations ont échoué dans la détection de la positivité d’Armstrong. Finalement il ne tombe que sur des déclarations et sur des aveux, et non pas sur la démonstration matérielle de sa positivité.

Fréderic Grappe estimait que l’affaire Festina avait permis aux équipes françaises de prendre de l’avance sur les autres nations dans la lutte antidopage. Qu’en pensez-vous ?
L’affaire Festina a certainement permis de prendre conscience. Je rappelle aussi qu’en France, on n’avait pas attendu l’affaire Festina pour installer le suivi longitudinal contrôlé, qui est quand même le précurseur du passeport biologique. En effet, ce suivi avait été décidé même s’il n’avait pas été encore mis en place avant l’affaire Festina. C’est vrai que cette affaire a été un choc terrible, surtout en France, et par conséquent le cyclisme français a plus rapidement que les autres pris le chemin de la voie la plus propre. Même si là aussi je n’affirme pas tout à fait que tout est propre, car évidemment je n’ai absolument pas les moyens de le démontrer.

Comment jugez-vous la lutte antidopage dans les autres sports ?
Aujourd’hui, les autres sports parlent peu de la lutte antidopage, c’est une manière de ne pas être trop confronté à ces problèmes. Le cyclisme, s’il a encore des progrès à faire, s’il a été condamnable à bien des égards, a au moins très clairement pris le problème à bras le corps. C’est aujourd’hui le seul sport qui impose de manière aussi large le passeport biologique, et de manière aussi organisée. Dans les autres sports, on en est encore simplement à des contrôles urinaires, et seulement de temps en temps… Ils ont des progrès considérables à faire ! C’est pour cela que je trouve parfois certaines instances très dures avec le cyclisme, le condamnant systématiquement. Si les autres sports se contentent de cette situation c’est leur problème. Le cyclisme, lui, a fait un choix différent qui est celui de lutter contre le dopage, et tant mieux !

Tout au long de votre carrière, vous avez occupé des postes importants dans le monde du cyclisme. Que vous ont-ils apporté ?
Quand on a la passion du cyclisme, c’est galvanisant d’être à son contact. Ensuite, essayer de faire progresser une discipline est intéressant. Je note qu’assez rapidement l’image du cyclisme a été ternie, notamment par toutes ces questions de dopage. Je me suis toujours positionné de manière extrêmement ferme sur ces questions-là et j’ai essayé de trouver des solutions que d’autres ont ainsi poursuivi puis amélioré. Ceci étant, c’est dommage quand on regarde une compétition sportive quelle qu’elle soit d’avoir toujours un petit doute sur la vérité de la performance des athlètes.

Vous avez été président de la FFC de 1993 à 2001. Que pensez-vous de son évolution depuis votre départ ?
Je trouve que le travail qui est fait actuellement va dans le bon sens. Le travail de fond pour continuer à développer la pratique, devenue de plus en plus large, est bien effectué. Je me souviens qu’à la fin des années 80, quand j’étais au comité directeur de la FFC, on passait pour d’aimables rigolos quand on parlait de VTT ou de BMX. Aujourd’hui ces disciplines ont trouvé pleinement leur place à la FFC. C’est très bien. Même si l’épreuve emblématique en cyclisme reste le Tour de France, il y a une place pour toutes les disciplines à la FCC !

Que pensez-vous des propositions faites par David Lappartient concernant sa volonté d’un retour des équipes nationales sur le Tour de France ?
Ces propositions-là, j’avais également eu l’occasion de les faire lorsque j’étais à la même fonction que lui, et j’avais obtenu exactement le même accueil que lui : un rejet de toutes les parties prenantes du cyclisme. Cela étant, je reste persuadé que c’est une voie sur laquelle il faut travailler et sur laquelle il faut réfléchir. On voit bien comment ça se passe aujourd’hui dans tous les autres sports, où il y a un engouement extraordinaire autour des équipes nationales. Au-delà de l’aspect simplement populaire, sur un plan économique, cette idée pourrait avoir un intérêt. Vous savez, lancer des idées comme ça c’est dur. Parfois, elles sont rejetées au début, et au fur et à mesure les choses font leur chemin et on peut les remettre sur le tapis. Par exemple, lorsque j’avais proposé une réforme des statuts en 2000 à l’assemblée générale, elle avait été refusée, et quelques années plus tard elle a été acceptée. Souvent sur des sujets de fond comme ça, il faut permettre aux choses d’évoluer à leur allure. Mais je vois dans ces propositions un parallèle par rapport aux élections à la FFC qui auront lieu, pour l’assemblée générale, samedi selon un nouveau mode de fonctionnement.

Et que pensez-vous de la création d’une équipe professionnelle multidisciplinaire sous la houlette de la FFC ?
Je ne peux que soutenir à 100 % cette idée, car elle va dans le bon sens vu qu’il s’agit de prendre le destin en main pour créer des structures qui soient vraiment solides et bien encadrées.

Avec toutes vos occupations, avez-vous le temps de suivre un peu les courses tout au long de l’année ?
Non, je ne suis que très peu de courses. De temps à autres il m’arrive de voir certaines épreuves à la télévision, et notamment le Tour de France, même si je n’en vois souvent pas grand-chose du fait que pendant le mois de juillet je continue à être extrêmement actif sur le plan professionnel. Je me contente souvent du résumé le soir.

Quelles sont vos attentes pour cette année 2013 ?
J’espère que le cyclisme va enfin pouvoir sortir de cette idée qu’il est uniquement baigné par le dopage. C’est autre chose quand même ! Aujourd’hui le cyclisme a beaucoup progressé mais doit toujours continuer à s’améliorer. C’est dans cette voie-là qu’il doit continuer, en se garantissant d’une éthique irréprochable. C’est la voie dans laquelle il s’est engagé. Il faut donc qu’il aille au bout de cette démarche, et je fais confiance aux instances pour y arriver. Je pense qu’il y aura également de nouveaux dirigeants qui pourront continuer à afficher cette voie et, j’espère, avec plein de succès !

Propos recueillis par Alexis Rose le 18 février 2013.