Frédéric, comment voyez-vous l’avenir du cyclisme français ?
Je suis plutôt optimiste pour le cyclisme français car je sais que depuis l’affaire Festina on a, en règle générale, bien travaillé en France et je pense que l’on va très bientôt récolter les résultats de notre travail. Ce dernier n’a pas encore payé car depuis 1998, il y a eu l’arrivée du « cancer Armstrong » qui a touché certaines personnes mais qui ne s’est pas complètement généralisé et heureusement. Pendant ce temps-là, d’autres au lieu de recourir aux dérives que l’on connaît ont décidé de continuer à travailler « normalement » et je crois que nous en faisons partie. Je suis vraiment confiant quant à l’avenir du cyclisme français car nous avons trouvé les bons modèles méthodologiques à appliquer avec les jeunes et nous les maîtrisons relativement bien vu les résultats des jeunes depuis quelques années. Mais aujourd’hui ce qu’il nous reste à faire c’est de réussir à les amener au plus haut niveau. Cela prendra encore un peu de temps mais vu le talent de nos jeunes nous avons toutes les chances d’y parvenir. Surtout avec un cyclisme qui va mieux. Pour moi l’avenir du cyclisme français sera bon tout simplement parce que l’on a plus rien à envier aux autres nations du top niveau mondial.

Finalement, pour vous l’affaire Festina a donc été un mal pour bien ?
En quelque sorte oui, car elle nous a permis de prendre beaucoup d’avance sur certains autres pays. À l’époque nous avions décidé de tout recommencer à zéro et apparemment ça a marché. Je l’ai vu à la FDJ : je suis arrivé en 2000 dans l’équipe et j’observe bien tout le chemin qui a été parcouru depuis ce temps-là. Certes, ces progrès ne se voient pas encore très bien de l’extérieur puisqu’ils ont été noyés par tout ce qui a été dévoilé dans l’affaire Armstrong. Oui, j’ai envie de dire que nous avons pris de l’avance sur certains et que dès l’année prochaine, le cyclisme français devrait vraiment sortir la tête de l’eau. Logiquement.

Que doivent faire les jeunes coureurs pour réussir ?
Le premier conseil que je leur donne, c’est tout simplement de s’encadrer d’un entraîneur. Le cyclisme a longtemps vécu sans l’aide d’entraîneur mais depuis dix ans cela change dans le bon sens. Je pense que dans n’importe quel sport, à n’importe quel niveau, la progression passe systématiquement par un entraîneur. Le contraire me paraît impossible. Depuis quelques années, les jeunes coureurs français ont compris qu’un suivi d’entraînement était indispensable. Par exemple, aujourd’hui tous les coureurs ou presque qui passent professionnels travaillent avec un entraîneur alors qu’avant ce n’était pas toujours le cas. De ce côté-là le modèle français est à féliciter.

Quels conseils pouvez-vous leur donner pour que leur progression soit bonne et linéaire ? 
Il y a deux solutions pour que le sportif évolue au fur et à mesure des années : soit il doit penser à changer d’entraîneur pour pouvoir passer un nouveau cap, soit il faut que l’entraîneur arrive à innover d’année en année. J’entends par là que chaque entraîneur doit être capable de diversifier l’entraînement de son coureur. Ceci est assez difficile je l’avoue. Je peux affirmer que si l’entraîneur n’est pas créatif, à un moment où à autre son coureur va stagner. Il faut donc qu’il arrive à limiter cette stagnation. Surtout qu’à partir de 20-21 ans, une grande partie du potentiel physique est déjà développé. Pour prendre un exemple, nos deux sprinteurs à la FDJ ne vont pas gagner en puissance-max dans les années qui arrivent car leur potentiel explosif est déjà au maximum. Il faut qu’ils réussissent à garder un haut niveau de puissance-max tout en réussissant à progresser dans d’autres domaines, comme en stratégie de gestion d’effort. Les jeunes : pour progresser, entourez-vous des bonnes personnes et soyez innovant et créatif dans votre entraînement.

Tout le travail d’un cycliste s’effectue avant ses 21 ans ?
Effectivement, si pendant les années « pré-21 ans » le cycliste n’a pas travaillé en qualité, sa progression va être compliquée. Jusqu’en Cadets, il faut s’amuser techniquement, il faut faire découvrir au jeune une multitude d’activités cycliques sans vraiment se spécialiser. Ensuite, arrivé aux années Juniors il n’est plus l’heure de s’amuser car les deux années de cette catégorie font partie des cinq années fondamentales (17-21 ans) pour former un bon cycliste. C’est durant cette tranche d’âge qu’il faudra faire progresser au maximum le potentiel physique du coureur sans oublier son potentiel mental. Ce dernier, trop souvent oublié, est primordial pour effectuer de bonnes performances. C’est donc aux clubs que revient la tâche de réussir à faire progresser leurs coureurs doués d’année en année durant cette période-là.

Comment réussir à effectuer « cette bonne progression » ?
Il faut, dès le plus jeune âge, découvrir ou chercher les points forts des coureurs. Ensuite, après avoir trouvé ceux-ci, il faut les tirer vers le haut au maximum tout en minimisant les points faibles. Si cette dernière méthode n’est pas faite, on empêche le jeune coureur de progresser. Et tout cela, c’est au club de le prendre en charge.

La France manque de rouleurs, que pouvez-vous dire aux jeunes pour qu’ils progressent dans ce domaine ?
Si j’ai un message à faire passer aux jeunes aujourd’hui, c’est celui-là : il faut absolument qu’ils travaillent leurs qualités de rouleurs à l’entraînement car de nos jours elles sont devenues très importantes. Aujourd’hui, il faut que l’on arrive à remettre cette culture des rouleurs en place. Que l’on soit sprinteur, grimpeur ou autre, le coureur doit intrinsèquement par rapport à lui rehausser ses qualités de rouleurs. Un bon coureur cycliste est un coureur qui doit savoir rouler vite, mais surtout seul. Ces qualités-là, ajoutées à l’explosivité, sont primordiales sur le vélo. Ce sont les fondamentaux du cyclisme. Alors un petit conseil : ne pas faire toutes les sorties en groupe, car celles-ci ne permettent pas vraiment le développement des qualités de rouleurs. Il faut savoir rouler seul dans toutes les conditions et pouvoir se maintenir dans des intensités soutenues le plus longtemps possible. Il faut aussi beaucoup bosser sur le home-trainer.

Nous sommes en pleine période de reprise hivernale… Quelle méthode d’entraînement préconisez-vous, durant cette période ?
Pendant la période novembre-décembre, il faut individualiser la préparation en fonction du modèle de fonctionnement de chaque coureur. Avant cette période, il faut recenser toutes les activités qu’aiment faire les coureurs pour ensuite les placer dans leur programme d’entraînement. Il faut faire ceci dans le but de lui induire le moins de contraintes possibles par rapport au vélo. S’il n’y a pas vraiment de changement durant cette période, le coureur n’arrivera sûrement pas à faire le travail demandé en janvier-février, vu qu’il aura déjà subi trop de contraintes sur le vélo. Mais le plaisir à cette période est primordial, car le coureur va subir de nombreuses contraintes par la suite. Moi, durant cette période, je programme des séances biquotidiennes et quotidiennes à mes coureurs avec un jour de repos par semaine, en essayant de jouer plus sur l’aspect qualitatif que sur l’aspect quantitatif. Cette période sert aussi à athlétiser le coureur pour faire en sorte que début janvier on puisse greffer sur son programme de nombreuses intensités de travail. Ce travail d’athlétisation est important, sinon le travail à réaliser en début d’année ne pourra pas être fait correctement car le coureur ne sera pas assez costaud pour effectuer ces exercices.

Propos recueillis par Alexis Rose le 15 novembre.