John, vous remportiez il y a trois semaines Milan-San Remo. Aujourd’hui, vous remportez votre deuxième monument avec Paris-Roubaix. L’émotion doit être grande.
Émotions, c’est le mot juste. Je ne peux pas y croire pour le moment. Je dois maintenant chercher un endroit où je peux poser ce pavé dans mon appartement. Ce ne sera pas facile car il est lourd. Il faudra trouver une étagère qui soit stable ! Ce doublé Milan-San Remo-Paris-Roubaix signifie tellement pour moi. Les mots me manquent pour le décrire. C’est d’autant plus fort que mes classiques sont terminées. Je vais pouvoir l’apprécier et me reposer. Il me faudra quelques jours pour me rendre compte que je suis le vainqueur de Paris-Roubaix.

Vous êtes le deuxième coureur à réaliser ce doublé après Sean Kelly. Pourquoi est-il si difficile à réaliser ?
Gagner Paris-Roubaix, c’est toujours très difficile. Il faut que les circonstances soient favorables. Je dois dire que je n’ai jamais connu de problème aujourd’hui. C’est la première fois que cela m’arrive sur Paris-Roubaix. Je ne suis pas tombé, je n’ai pas connu de crevaison ni d’ennui mécanique. Sur le vélo tout doit être parfait. Et il faut être préparé mentalement. Entre San Remo et Roubaix, la période est très longue. Nous avons beaucoup travaillé cet hiver. Il faut savoir bien jongler entre la compétition et la récupération. C’est ce qui fait la différence au final. Je dois remercier tout le monde. Pas seulement ceux qui étaient présents sur la route. Mon entraîneur qui a regardé la course, les soigneurs, et le chauffeur. Bref, l’équipe dans son intégralité. Nous y croyions avant la course. Après cinq ans, nous l’avons finalement fait.

Vous avez dit juste après avoir franchi la ligne que la clé a été de ne pas avoir peur d’échouer. Que vous ne vouliez pas connaître la même situation que l’an dernier. Que vouliez-vous dire ?
L’année dernière, j’avais très bien couru. Mais Niki Terpstra s’est échappé. C’est une situation que l’on peut connaître si les autres coureurs savent que tu es rapide. Bien sûr, ils ne veulent pas t’amener sur la ligne d’arrivée pour être battus. Je ferais la même chose. Nous en avons parlé, nous avons réétudié la course de l’an dernier pour voir ce que l’on pouvait faire de mieux. L’équipe était toujours présente. La situation est restée sous contrôle. Si je n’y étais pas allé, le résultat n’aurait pas été meilleur que l’an dernier. À 10 kilomètres de l’arrivée, je me suis dit que c’était tout ou rien. Tout le monde était à la limite. C’est de loin la course la plus difficile de l’année. J’ai senti que j’en avais encore sous la pédale.

Quand vous êtes arrivé sur le vélodrome, vous êtes-vous dit que la victoire était acquise ?
Non, absolument pas. J’ai dû déployer beaucoup d’énergie pour me retrouver dans cette situation où je pouvais me battre pour la victoire. Dans les cinq derniers kilomètres, Greg Van Avermaet et moi étions les seuls à rouler car Zdenek Stybar revenait de l’arrière pour Yves Lampaert. Lui aussi était à la limite. Ce n’était pas facile de nous rejoindre. Je savais que je devais réagir à chaque attaque. C’était la clé. Sur le vélodrome, j’ai sprinté jusqu’à la ligne. Je ne voulais pas fêter la victoire avant pour ne pas prendre de risque. Ce sprint est quelque chose de très spécial. Si on ne l’a pas fait avant, on ne peut pas savoir de quoi il s’agit. Tu essayes d’accélérer, de te lever de ta selle et tu te rends compte que tes jambes ne répondent plus.

On a l’impression que vous vous êtes développé et avez progressé au fur et à mesure que votre équipe grandissait.
La base de l’équipe s’est construite sereinement, année après année. Surtout en comparaison d’autres équipes qui sont propulsées sur le devant d’une année sur l’autre et qui retombent presque aussi vite. C’est l’avantage quand on grandit étape par étape. Quand l’équipe HTC-Highroad s’est arrêtée, beaucoup de gens étaient surpris quand j’ai annoncé que j’allais rejoindre l’équipe Skill-Shimano en 2ème division. Avec le recul, je me rends compte qu’il s’agit de la meilleure décision que j’ai prise. Je suis allé dans une équipe qui venait à peine d’être créée. Nous étions une bande d’amis, capables de nous  sacrifier les uns pour les autres. Nous avons connu quelques succès, mais aussi quelques moments difficiles. Mais nous avons toujours cru en nous. Ce pavé ne m’appartient pas seulement. C’est aussi une récompense pour toute l’équipe.

Alexander Kristoff et vous êtes les deux héros de la campagne des Flandriennes. Cela représente-t-il ce qu’est devenu le cyclisme en 2015 ?
Un héros ? J’ai gagné deux monuments, mais je ne me considère pas de la sorte. Le cyclisme a changé, c’est une certitude. Une nouvelle génération a émergé. Je suis cependant triste que Fabian Cancellara n’était pas présent. Cela aurait été super de pouvoir livrer bataille face à lui. J’espère qu’il reviendra et que nous pourrons courir l’un contre l’autre. C’est un guerrier. Je pense toutefois qu’il reste de jeunes coureurs qui sont en train de prendre de l’expérience. C’est important pour ce genre de courses. L’expérience joue un grand rôle. Personne ne vient ici pour gagner lors de sa première participation. Cela m’a pris cinq ans. Je ne peux pas encore le croire ! Alexander Kristoff et moi possédons des qualités similaires. Nous nous rencontrons souvent. Il ne s’agit pas seulement de Kristoff et moi, d’autres ont joué un grand rôle aujourd’hui. Chaque course est différente. Quand on regarde le peloton aujourd’hui, il y a pas mal de jeunes coureurs. Yves Lampaert en est à sa deuxième année pro. Cela reste impressionnant.

Le premier vainqueur de Paris-Roubaix, Josef Fischer était Allemand. Vous lui succédez aujourd’hui, 119 ans plus tard.
C’est génial de pouvoir ajouter mon nom à la liste des vainqueurs. Je vais maintenant avoir une plaque dans les douches ici. Je pense que c’est la chose la plus géniale à propos de cette victoire aujourd’hui !

Propos recueillis à Roubaix le 12 avril 2015.