C’est vendredi que s’envolera l’équipe de France pour l’Australie, où se disputeront les Championnats du Monde à Melbourne du mercredi 29 septembre au dimanche 3 octobre. Il y a une semaine, le sélectionneur de l’équipe de France communiquait la liste des sept coureurs retenus pour porter les couleurs nationales de l’autre côté de la planète. Un choix porté à nouveau sur la capacité des élus à se maintenir parmi les meilleurs dans une épreuve aussi exigeante qu’un Championnat du Monde, mais également sur leur esprit offensif, car l’intention est bien de saisir chacune des opportunités qui s’offriront aux Bleus. Laurent Jalabert a appris des dures leçons de l’année passée, repensé sa stratégie, adapté son dialogue. Et c’est un sélectionneur remotivé que nous avons rencontré en marge du Triathlon Audencia-La Baule.

Laurent, fort d’une première année d’expérience, votre deuxième saison en qualité de sélectionneur national a-t-elle été plus facile à mettre en œuvre ?
Ce n’est jamais facile parce que faire une sélection suppose d’en choisir quelques-uns et d’en laisser beaucoup d’autres sur la touche. Ce n’est pas un rôle facile. Les choix que l’on peut faire ne sont pas toujours compris, mais j’essaie de le faire en mon âme et conscience, en fonction des éléments que je juge importants, à savoir le parcours, sa spécificité, l’état de fraîcheur et la forme physique des coureurs que je dois mener. Et puis aussi leurs aptitudes à se fondre dans un esprit d’équipe, ce que j’estime important pour un rendez-vous comme celui-là.

Qu’avez-vous changé dans votre approche de la sélection entre 2009 et 2010 ?
L’année passée, tout s’est fait un peu rapidement parce que je suis arrivé au poste de sélectionneur de l’équipe de France fin mai. Le Tour de France arrivait tout de suite derrière si bien que j’ai eu peu de temps pour réfléchir à la stratégie que je pouvais mettre en place. Mais j’ai essayé de raisonner un petit peu comme j’avais l’habitude de le faire lorsque j’étais compétiteur. J’aimais bien connaître mes objectifs longtemps à l’avance pour planifier une préparation en conséquence. Voilà pourquoi l’année passée j’avais donné une sélection rapidement après le Tour. Ca laissait six semaines aux coureurs retenus pour mettre en place un programme d’entraînement et de compétition cohérent. Ils étaient à un bon niveau, j’ai envie de dire un petit peu comme on est habituellement.

Malheureusement le résultat n’a pas été à la hauteur des espérances ?
Certains attendaient davantage de la sélection tricolore mais je n’ai pas fait de miracle, je suis obligé de le reconnaître. Malgré tout je retire pleine satisfaction de cette première expérience. La semaine à Mendrisio a été très sympa à vivre, avec un super esprit d’équipe. Le résultat m’a certes déçu mais le comportement d’ensemble a été encourageant parce que les garçons présents ont respecté mes consignes mais je me suis peut-être un peu trompé sur la stratégie. Il n’y a toutefois eu aucun désenchantement de ma part, je ne recule pas, au contraire.

Qu’avez-vous donc changé cette saison ?
Cette année ça a été une approche un petit peu différente. L’une de mes qualités c’est que je sais écouter ce qu’on me dit. En début d’année, on m’a rapidement fait savoir au niveau de la direction des équipes que l’on souhait une approche différente, davantage de dialogue, ce que j’ai souhaité faire également. J’ai pris le temps d’aller voir les coureurs sur différentes compétitions à partir de la mi-août, au moment où tous reprennent la compétition après le Tour de France. Lorsqu’ils ont repris pour la plupart au Tour du Limousin et au Grand Prix de Plouay, je me suis efforcé d’être présent, de suivre les résultats et de prendre contact avec les uns et les autres. Ca s’est fait dans un bon esprit. Ma stratégie s’est adaptée au mode de fonctionnement des équipes et des coureurs.

Entrons maintenant dans le vif du sujet, quelle va être la tactique de l’équipe de France cette année : jouer à nouveau sur l’attentisme ou prendre la course en main ?
Prendre la course en main n’est peut-être pas la formule qui convient mais être présents en couse oui. L’année passée, j’ai souhaité que l’on coure comme moi j’avais l’habitude de le faire. Un Championnat du Monde, tu sais qu’il va y avoir un gros coup de pétard dans les 30 derniers kilomètres. Et là, si tu veux avoir des chances d’y être, il faut avoir su garder des forces jusque-là. Or il s’est avéré que quand il y a eu ce coup de pétard à Mendrisio, on n’a pas pu l’accompagner. Ca a été un gros sentiment de frustration pour les coureurs, qui ont eu le sentiment d’avoir fait une course fade. Ils sont passés inaperçus alors qu’ils ont bien respecté la consigne. Et puis ça a été une frustration pour moi aussi parce que j’attendais de la plupart d’entre eux qu’ils soient capables de suivre.

Il y aura donc du changement dans la tactique des Bleus en Australie ?
Fort de cette expérience et au regard de ce qui s’est fait sur toutes les courses de la saison de la part de nos coureurs français, on se rend compte que lorsque l’on obtient les meilleurs résultats dans les grandes courses, c’est quand on a un comportement offensif. Il ne faut donc pas aller contre nature. Je souhaite que l’équipe de France montre un beau visage, qu’elle soit unie dans la course, qu’il y ait une cohésion de groupe et que l’on soit présent aux côtés des nations qui vont bouger. La Belgique, l’Italie et d’autres vont miser davantage sur une course de mouvement. Là il faudra être présent à leurs côtés. Après, nous aurons forcément des garçons qui vont garder des forces pour le final, parce que ça reste une stratégie qu’il faut envisager pour certains.

Notamment en cas d’arrivée au sprint, ce qui revient souvent dans les pronostics. Sur cet aspect vous avez choisi d’accorder votre confiance à Romain Feillu…
Romain Feillu est a priori notre meilleure base pour les sprints, c’est un coureur très malin qui sait s’économiser et qui saura se placer comme il faut s’il doit y avoir un sprint. Je compte beaucoup sur lui dans les derniers kilomètres, mais avant je compte beaucoup sur les autres aussi, pas pour faire de la figuration mais pour peser sur la course. Maintenant ce n’est pas nous qui allons l’emballer, je crois qu’il y a des nations qui ont davantage d’intérêt que nous à durcir la course. Mais si ce n’est pas très dur et que ça arrive au sprint, avec Feillu nous avons un gars en forme et surtout en confiance, qui croit beaucoup en ses chances.

Quel serait le scénario idéal pour l’équipe de France ?
Le scénario idéal ce serait un sprint qui opposerait un peloton dans lequel les sprinteurs auraient disparu ! Et qu’il reste le nôtre (il sourit) ! Mais même si c’est trop dur pour les sprinteurs et que Feillu ne parvenait pas à s’accrocher et à arriver pour la gagne, nous avons quand même des éléments qui sont capables d’être dans un tel final. Sébastien Hinault a encore montré récemment sur le Tour d’Espagne qu’il était capable de faire un sprint après une étape longue et difficile. Il termine 4ème derrière Philippe Gilbert, Tyler Farrar et Filippo Pozzato. Quand on voit le classement, ça pourrait être un podium du Championnat du Monde.

Pensez-vous que le métier de sélectionneur soit une fonction durable ?
Non, je ne crois pas. Je crois que c’est une mission à laquelle il faut accorder beaucoup d’importance, qui demande beaucoup de concentration. C’est stressant. Quand on accepte ce rôle-là, on est directement pris pour cible. C’est devenu un phénomène naturel. C’est une mission qui peut user. Donc quand ça devient usant, ce n’est évidemment pas durable ! Maintenant je ne suis pas encore usé, je ne fais que commencer ! Je sais que ça va durer jusqu’en 2012 et les Jeux Olympiques de Londres, au-delà je ne sais pas. D’ici là la fédé aura peut-être de nouvelles orientations mais pour l’instant je me sens concerné par ce que j’ai à faire jusqu’en 2012.

Vous partez vendredi pour l’Australie, quel va être le programme des Français d’ici au Championnat du Monde le 3 octobre ?
Tous ont une semaine importante à gérer avant de partir. Les deux gars du chrono, Sylvain Chavanel et Nicolas Vogondy, partent ce lundi car ils commenceront plus tôt. Ils auront un travail plus important à faire là-bas. Pour les autres, le gros travail sera fait avant. Je laisse le soin à leur entourage proche, à savoir leurs entraîneurs respectifs que je respecte de par leur statut et le travail qu’ils accomplissent toute l’année, de gérer avec eux cette approche. Je sais ce que fait chacun. Nous partons vendredi mais avec les heures de vol et le décalage horaire, nous arriverons dimanche. Il nous restera alors une semaine. La priorité sera de récupérer et de s’acclimater au décalage horaire avant de faire de gros efforts et d’accumuler de la fatigue. Maintenant tous ont à peu près la même idée : faire une belle sortie le mercredi. J’essaierai de trouver le bon parcours, je serai présent à leurs côtés pour les encadrer et leur prodiguer les conseils utiles, et puis aussi pour gérer l’intendance sur place.

Votre vélo vous accompagnera-t-il ?
Je prends mon vélo, oui, pas pour faire le fanfaron mais parce que j’aime faire du vélo. J’ai la possibilité de le prendre dans mes bagages donc je ne vois pas pourquoi je me l’interdirais !

Propos recueillis à La Baule le 18 septembre 2010.