Nicolas, qu’est-ce que cela fait de conduire une Jaguar en qualité de directeur sportif ?
Ca va, ce n’est pas désagréable ! C’est moins difficile que le vélo. C’est en tout cas différent. Je vous en dirai sans doute un peu plus après mes premières semaines de course. C’est en tout cas un petit peu de pression, comme pour tout nouveau directeur sportif, mais ça me plaît. Il y a beaucoup de travail.

Comment s’est présentée cette opportunité ?
Un peu comme j’ai démarré le vélo. Par des opportunités, par mon envie personnelle, par mon caractère peut-être. Je suis passé pro sans jamais avoir rêvé de passer pro. Et de la même manière je suis passé directeur sportif sans y avoir songé avant. J’ai eu une belle proposition du Team Sky avant le Tour d’Espagne. Ca m’a fait réfléchir à beaucoup de choses. Sky est une belle structure et j’y voyais un nouveau challenge. Les problèmes de santé que j’ai connus en 2009 m’ont fait changer la façon de voir le métier de coureur cycliste, qui est très dur. Je l’ai fait pendant presque dix ans et j’en suis fier. J’ai pensé qu’il n’était pas sûr que se représente un jour la possibilité d’intégrer une grosse structure comme ça. J’ai pesé le pour et le contre, j’en avais vraiment envie et je ne regrette pas.

C’est d’autant plus paradoxal qu’il n’y a plus de coureur français dans l’effectif ?
C’est vrai, et c’est pourquoi il m’a fallu bien réfléchir avant de prendre la décision. Je me suis dit que j’allais être le seul Français du groupe, que je n’allais surtout plus être coureur. Quand on est coureur, on arrive toujours à se comprendre. Là, en tant que directeur sportif, surtout chez les Anglais, il faut être très droit, faire les choses correctement. Il me fallait vraiment bien apprendre l’anglais, savoir communiquer. C’était un gros challenge, et je me suis dit qu’il fallait essayer. Ce n’est pas facile mais c’est une source de motivation.

La première année du Team Sky a été très contradictoire entre les effets d’annonce et la réalité du terrain, comment l’avez-vous vécue ?
L’équipe est arrivée en 2010 avec ses ambitions. En tant que coureurs, on l’a ressenti en lisant les articles mais de l’intérieur nous n’avions pas ce sentiment. Pour travailler avec l’encadrement aujourd’hui, je sais qu’ils veulent faire le maximum par rapport aux coureurs. Ils n’ont pas d’histoire sur la route, seulement de l’expérience sur la piste. Des erreurs ont été commises la première année, comme dans toutes les nouvelles équipes. Ils se sont construits avec ça. Nous sommes donc revenus cette année à du basique tout en conservant nos capacités à faire des choses précises. Tous les moyens sont mis autour des coureurs et je pense que c’est une bonne façon de travailler.

Quelles sont les différences entre l’intersaison 2009/2010 et l’intersaison 2010/2011 ?
Une âme s’est créée. C’était une équipe toute nouvelle il y a un an. Les coureurs se connaissaient mais ils venaient de tous horizons et n’avaient jamais roulé pour une même équipe. En plus, avec une structure anglo-saxonne qui voulait apprendre sur le terrain du cyclisme, la mayonnaise a mis un peu de temps à prendre. Mais cet hiver, quand nous nous sommes retrouvés, il y a eu des accolades, des sourires. Tout le monde s’est mélangé. Désormais tout le monde se connaît, il y a un bon groupe.

Y a-t-il plus d’humilité ?
Je ne suis pas trop d’accord avec ce terme. Il y a sans doute eu un défaut de communication l’an passé, qui a fait passer le message que nous avions des ambitions qui n’étaient pas les nôtres. Ca a pu nous faire passer pour des orgueilleux mais ce n’est pas du tout la mentalité de l’équipe ni de Dave Brailsford. Derrière le côté classe de l’équipe, nous sommes là pour apprendre et nous avons beaucoup d’humilité. Après il ne faut pas se leurrer, toutes les équipes veulent gagner mais elles ne le disent pas. Sky est arrivé en déclarant vouloir gagner le Tour dans les cinq années à venir. Certains l’ont pris pour un péché d’orgueil mais c’était simplement une ambition.

Comment percevez-vous le fait que les coureurs français aient du mal à s’expatrier ?
On voit toujours des coureurs français se diriger vers des équipes anglo-saxonnes ou espagnoles. C’est vrai qu’ils ne sont pas nombreux mais on en compte toujours une petite dizaine. Pourtant du point de vue de l’emploi, il est très important pour les coureurs de s’épanouir, de regarder ce qui se fait ailleurs. Peut-être est-ce un problème culturel. Les Français préfèrent sans doute rester en France. Tout est en train de se mondialiser donc je pense que pour durer dans le métier, multiplier les expériences, il faut être capable d’aller travailler un peu à l’étranger. Christophe Le Mével et Amaël Moinard ont sauté le pas cette année, donc ça bouge un peu.

Comment se passe le débat sur le port des oreillettes vu d’Angleterre ?
L’équipe partage l’avis de la majeure partie des équipes. Elle voit les oreillettes très utiles pour la course et la sécurité. Les équipes vont mener leur combat. Moi j’apprends. En tant que coureur j’aimais ne pas utiliser l’oreillette car ça permettait aux coureurs intelligents qui étudient le road-book de marcher. J’étais équipier, il fallait que je sache tous les jours comment ça se passait. Il me fallait être autonome si la radio ne passait plus. Maintenant, même sans oreillettes, les courses sont devenues formatées à cause des sponsors et de la multiplicité des sprints et points chauds. De temps en temps, peut-être verra-t-on des choses qui ne se passaient plus avec les oreillettes se produire. En tant que directeur sportif, je constate que c’est quand même important d’avoir une oreillette pour renseigner les coureurs sur le parcours. Mais je suis encore à la frontière entre les deux.

Le travail antérieur et postérieur à la course sera plus important pour un directeur sportif tandis que pendant la course il va devenir plus passif ?
C’est ça. Les gars savent maintenant qu’il va falloir se replonger dans les bouquins, observer en course comment sont les copains, comment s’organisent les autres équipes. Ca va être sympa à voir, il va y avoir plus de communication entre les coureurs. Mais je ne suis pas sûr que ça change le gros de la course. Un mec qui part au départ et qui gagne, c’est rare aujourd’hui.

Propos recueillis à Coustellet le 9 février 2011.