Stéphane, il y a tout juste an nous discutions de l’élaboration de votre équipe Saur-Sojasun. Un an plus tard, quel bilan tirez-vous ?
Je dirai que nous sommes dans le timing. On a répondu présent dans les gros objectifs que l’on s’était fixé, à savoir Paris-Nice et le Critérium du Dauphiné. On a l’éclosion progressive de Jérôme Coppel, qui je pense sera un grand leader demain, sur ce point je maintiens mon affirmation, même si aujourd’hui on prend un peu de retard sur le tableau de marche. C’est vrai qu’un Grand Tour nous aurait fait beaucoup de bien. Maintenant c’est comme ça, les règles sont ce qu’elles sont, à savoir pas toujours équilibrées, pas toujours très justes pour tout le monde, mais chacun va trouver à redire sur ce point là. Mais je suis vraiment ravi de l’équipe, que ce soit pour l’abnégation dont ils ont fait preuve tout le mois de juillet pour arriver opérationnels dès les premières épreuves d’août. On a vraiment une équipe de guerriers et ça gagne sur les deux fronts, au Tour de l’Ain et au Tour du Portugal. Donc c’est rassurant.

Ce ne devait pas être évident justement de gérer le mois de juillet compte tenu de la frustration engendrée par l’absence au Tour de France ?
La frustration, ou plutôt le blocage, a eu lieu dans la pré-période avant l’annonce de la non-sélection au Tour. Une fois que l’annonce a été faite, je crois que ça a été une libération un peu pour tous. Pas d’esprit de revanche, mais un sentiment d’injustice, mais bon c’est comme ça, je le répète on ne va pas refaire l’Histoire. Le Tour est passé, donc on regarde devant nous. Les garçons se sont libérés également, le staff avec, les sponsors aussi ont su avoir les mots justes pour rassurer les athlètes puisqu’ils ont compris que c’était eux les premiers déçus. Et puis tout le monde a repris ses marques, le même enthousiasme que l’an passé qu’on avait un peu perdu justement parce qu’il y avait ce couperet qui devait tomber fin avril. A partir du moment où ce couperet est tombé ça nous a libéré.

Et sinon, à titre personnel, il y a des coureurs que vous avez sérieusement relancé et qui brillent aujourd’hui, on pense notamment à Jérôme Coppel ou Stéphane Poulhiès, j’imagine que c’est une satisfaction pour vous de les voir briller ?
Vous savez je ne suis pas voyant. Il suffit simplement d’ouvrir les yeux, d’écouter les bonnes personnes. Il y a un expert hors-norme en France qui s’appelle Bernard Bourreau, et moi c’est mon premier indicateur. Il les sent, c’est lui qui les prend aux premières pousses, et aujourd’hui c’est quelqu’un de très peu consulté. Tant mieux pour moi mais c’est le premier personnage qu’il faut mettre en avant par rapport à ça, c’est lui qui les détecte, qui les forme d’une bien belle façon. Faut savoir lui rendre hommage, moi je ne récolte qu’une partie de son travail effectué en amont, un peu gâché par certains entre temps mais c’est la preuve que tout est possible.

Justement, il y a deux semaines c’est un français qui est devenu champion du monde junior. C’est le troisième en huit ans. Est-ce que vous envisagez ou anticipez un rapprochement avec des jeunes comme ça qui en junior sont numéro 1 et qui malheureusement derrière ont du mal à confirmer ?

Et bien moi j’ai envie de crier très fort « Laissez-les tranquille, laissez-les grandir ! ». Ils sont jeunes, Olivier a 16 ans, l’avenir est devant lui, mais il faut lui laisser du temps. Beaucoup se sont déjà jetés sur la proie, plutôt pour se l’accaparer pour ne pas qu’il aille ailleurs au lieu de construire avec lui un vrai plan de carrière. Et c’est peut être ça qu’il faut remettre en question. Aujourd’hui il y a un vrai drame en France, c’est complètement anormal que nous nous retrouvions qu’avec sept éléments aux championnats du monde. Je crois que c’est le haut de la pyramide et l’exemple doit venir du haut. Aujourd’hui il y a une vraie remise en question à avoir. Pour ces jeunes qui brillent, encore une fois, on a eu Arnaud Gérard…(Il marque un temps) je ne pense pas que c’est un mauvais coureur, mais il est passé trop vite chez les professionnels, parce qu’on ne peut pas passer chez les pros sans avoir gagné de course ,c’était son cas. Ensuite Johan Le Bon, il faut laisser du temps. Ce sont des garçons qui sont fragiles, qui sont à la charnière d’une période de vie. Ce ne sont pas des hommes encore, il faut en avoir conscience. Il y a peut être de la précocité ailleurs mais chez nous on doit faire avec la situation du moment, et surtout prendre son temps, construire vraiment des athlètes plutôt que des les exploiter comme des numéros.

Pour 2011, on sait qu’il existe deux stratégies pour essayer de participer au Tour de France. Cette année l’équipe BMC a choisi la stratégie du carnet de chèques pour recruter Cadel Evans, où est-ce que vous vous situez ?
Déjà c’est sûr que l’équipe on l’a. Bon c’est sûr elle n’est pas au firmament de la popularité et de la connaissance du grand public, donc forcément ce n’est pas facile. Quant à la politique du carnet de chèque, je crois que l’on en avait parlé l’an passé, ce n’est pas du tout la politique de Saur-Sojasun ni de la mienne. Mais c’est vrai que le carnet de chèques, effectivement, on peut le sortir pour un coureur qui peut s’intégrer au groupe. J’ai aujourd’hui presque vingt coureurs dans l’équipe et ce qui est important pour moi c’est de savoir si ce coureur là, avec tout son palmarès, il puisse s’exprimer et s’intégrer au groupe de manière à ce qu’on atteigne la pleine dimension de l’équipe. C’est ça qui est primordial pour moi, plutôt que d’acheter une individualité comme on dit. Je n’aime pas le mot acheter d’ailleurs. On va garder notre philosophie et on va se battre pour ça.

On a parlé de Sylvain Chavanel chez Saur-Sojasun, vous confirmez ou c’est plutôt un buzz classique en cette période de transferts ?
Je n’ai jamais parlé à Sylvain Chavanel par rapport aux tractations. Ce qui s’est passé c’est que Philippe Raimbaud, notre directeur développement, s’est porté vers lui suite à sa chute. A priori ça a suffit à certains pour dire que nous étions en contact avec lui. Effectivement on s’est renseigné, mais je crois que ce n’était pas forcément mon choix.

Et un jeune comme Brice Feillu annonce qu’il va quitter Vacansoleil, c’est un profil qui vous intéresserait ?
(Stéphane marque un temps) Brice sort d’une saison blanche, il faut avoir une lecture d’une saison pleine. Il avait fait une excellente entame l’an passé avec une victoire sur le Tour de France. Maintenant à lui de savoir ce qu’il veut : chercher de l’argent ou construire et repartir sur des bons rails. Il est quand même tout jeune professionnel, cette saison doit lui donner un peu de clairvoyance. Maintenant je pense que ce ne sera pas chez nous, non.

Propos recueillis à Belley le 14 août.