S’il n’avait pas fait que des partisans, présenté en amont beaucoup trop accessible, le circuit des Championnats du Monde de Richmond a su déjouer la critique pour s’imposer tout le week-end comme un somptueux terrain d’expression et sacrer des filles et des garçons de gros calibre. Certes, on trouvera toujours un détracteur pour dénoncer le manque de côtes sur ce circuit urbain dessiné dans les rues de la capitale de la Virginie. Mais la concentration redoutable de Libby Hill (400 mètres à 8 %), de la 23ème rue (400 mètres à 12 %) et de Governor Street (600 mètres à 7 %) dans les 4 derniers kilomètres aura donné lieu à des Mondiaux fascinants. Quand bien même il aura fallu ronger son frein jusque dans le tour final – mais il n’en fut guère autrement sur les derniers circuits des Championnats du Monde.

Il était donc écrit que rien ne serait décidé avant que le peloton ne se présente une dernière fois au pied du triptyque à 4 kilomètres de l’arrivée. Et de fait tous ceux qui s’étaient découverts prématurément avaient gaspillé inutilement leur énergie. On ne parle pas de l’échappée matinale formée avant même l’entrée dans Richmond et les quinze boucles de 16,2 kilomètres, respectant une tradition qui consiste aux nations défavorisées de bénéficier d’une certaine exposition, ce dont auront profité cette année Carlos Alzate (Colombia),  Conor Dunne (Irlande), Andriy Khripta (Ukraine), Ben King (Etats-Unis), Sung-Baek Park (Corée), Jesse Sergent (Nouvelle-Zélande), Ivan Stevic (Serbie) et Sergei Tvetcov (Roumanie).

On ne parle pas non plus de Guillaume Boivin (Canada), Jarlinson Pantano (Colombie), Taylor Phinney (Etats-Unis) et Kanstanstin Siutsou (Biélorussie), qui leur avaient emboîté le pas une fois le peloton regroupé à l’entame des cinq derniers tours. Mais qui déposaient les armes eux aussi à 36 kilomètres de l’arrivée, juste avant que le peloton ne franchisse les bosses du final une antépénultième fois.

Avant d’attaquer les deux boucles finales, le cap des 200 bornes déjà bien entamé, le moment était venu de tâcher de faire bouger les lignes. Et c’est ce qu’entreprit Ian Stannard (Grande-Bretagne) en accélérant sur le raidard pavé de la rectiligne 23ème rue, pour entraîner avec lui Andrey Amador (Costa Rica), Tom Boonen (Belgique), Michel Kwiatkowski (Pologne), Bauke Mollema (Pays-Bas), Daniel Moreno (Espagne) et Elia Viviani (Italie). Le coup, à 35 kilomètres du but, était jouable. Les sept de tête tentaient de l’exploiter mais ils s’exposaient à une réaction rapide de l’équipe d’Allemagne, qui parvenait avec le renfort de quelques autres à boucher le trou dans Libby Hill et les bosses suivantes pour reformer devant un peloton compact sur l’interminable bout droit de Monument Avenue à 15 kilomètres de l’arrivée.

Il n’y avait donc rien à faire avant les 4 derniers kilomètres explosifs dont les lacets pavés de Libby Hill ouvraient les festivités. Le Tchèque Zdenek Stybar s’y lançait bille en tête, marqué à la culotte par l’Allemand John Degenkolb et le Belge Philippe Gilbert, mais le peloton serpentait dans leurs roues et devant le monument aux soldats et marins confédérés, qui marquait la sortie du Libby Hill Park, la sélection n’était toujours pas faite. Déjà les sprinteurs qui étaient passés se recensaient en se projetant vers le dénouement au sprint qu’on leur avait promis. A tort sur ce circuit imprévisible (qui aura été jusqu’à démentir les prévisions alarmistes des météorologues américains, pluie et bourrasques, en faisant trôner un franc soleil).

Car 700 mètres plus loin se dressaient à nouveau les pavés de la 23ème rue. Et Peter Sagan qui avait relevé la présence de sprinteurs plus rapides que lui en tête du peloton n’avait d’autre alternative que d’anticiper le sprint. Il jouait son va-tout sur les 400 mètres ardus sur lesquels Greg Van Avermaet (Belgique) et Edvald Boasson-Hagen (Norvège) ne parvenaient pas à coller directement au train du Slovaque. En virant à gauche au sommet, sur East Broad Street, la ligne d’arrivée était là, tout au bout. Mais il fallait encore basculer sur la 18ème pour se payer la montée asphaltée de Governor Street. Un baroud de 2500 mètres.

Peter Sagan, qui avait fait le trou, ne se relevait plus. Il insistait dans les positions aérodynamiques les plus audacieuses pour accroître l’écart en descente et le défendre à corps perdu dans le final ascendant où un peloton d’une grosse vingtaine de cadors semblait fondre sur lui. Mais dans le dernier bout droit sur East Broad Street, Peter Sagan tenait bon, à coups répétés de regards par-dessus son épaule, pour finir par se relever quelques mètres avant la ligne qu’il franchirait en champion du monde. Sous le regard impuissant de Michael Matthews (Australie) et Ramunas Navardauskas (Lituanie), médaillés d’argent et de bronze.

Et voilà comment les Mondiaux de Richmond ont couronné cet après-midi un champion de caractère que l’on se délecte déjà de retrouver dans le maillot arc-en-ciel. Coureur charismatique à la rock star attitude, Peter Sagan incarne depuis toujours un cyclisme fun et décomplexé. Un talent brut qui saura sans nul doute faire honneur, durant un peu plus d’un an jusqu’aux Championnats du Monde de Doha le 16 octobre 2016, au mythique maillot arc-en-ciel. La grande classe !

Classement :

1. Peter Sagan (SVQ, Slovaquie) les 261,4 km en 6h14’37 » (41,9 km/h)
2. Michael Matthews (AUS, Australie) à 3 sec.
3. Ramunas Navardauskas (LIT, Lituanie) m.t.
4. Alexander Kristoff (NOR, Norvège) m.t.
5. Alejandro Valverde (ESP, Espagne) m.t.
6. Simon Gerrans (AUS, Australie) m.t.
7. Tony Gallopin (FRA, France) m.t.
8. Michal Kwiatkowski (POL, Pologne) m.t.
9. Rui Costa (POR, Portugal) m.t.
10. Philippe Gilbert (BEL, Belgique) m.t.