L’entretien a démarré sans temps mort. Oprah Winfrey, la célébrissime animatrice américaine de CBS à laquelle Lance Armstrong avait décidé de se confesser, est allée droit au but. « Vous êtes-vous dopé ? – Oui. » « Avez-vous utilisé de l’EPO, des transfusions sanguines ? – Oui. » « Avez-vous utilisé ces produits sur vos sept Tours de France victorieux ? – Oui. » Le ton a été donné d’emblée dans ce qui restera assurément l’interview la plus regardée dans le monde cette année. Lundi, Lance Armstrong a reçu l’équipe d’Oprah dans un hôtel d’Austin pour l’enregistrement de sa première réaction publique aux affaires qui l’ont rattrapé durant l’automne. Un entretien-vérité de deux heures et demie que la direction de CBS a décidé, dans le but d’en jeter le moins, de diffuser en deux parties. La première cette nuit, la seconde la nuit prochaine.

Il était donc question d’aveux, et à ce titre Lance Armstrong a fini par prendre ses responsabilités après des années de mensonge. Les mots, les vrais, sont enfin sortis de sa bouche. « Pourquoi maintenant ? Je dirais que c’est sans doute trop tard, trop tard pour la plupart des gens, et c’est ma faute, a-t-il répondu. J’ai considéré cette situation comme un gros mensonge que j’ai répété plusieurs fois. Aujourd’hui l’histoire est devenue trop mauvaise, trop toxique. Le sport en paie maintenant le prix et je suis désolé pour ça. » Des excuses, l’Américain en a formulées quelques-unes. Mais pas de repentance. « Je ne pensais pas que je trichais. Je faisais partie d’une génération et je ne me sentais pas mal à l’époque. Je n’ai rien fait pour changer les choses, et je suis juste désolé de n’avoir rien fait pour ça. »

Bercé dans la culture du dopage qui gangrénait le cyclisme dans les années 90, Lance Armstrong, dont les tempes grisonnantes font davantage ressortir son regard bleu acier, a dévoilé posément quelques-uns de ses secrets. « Mon cocktail, a-t-il dit, c’était seulement de l’EPO, pas beaucoup, des transfusions sanguines et de la testostérone. J’ai commencé par de la cortisone au début de ma carrière, puis la génération EPO a commencé au milieu des années 90. » Usant de la troisième personne pour évoquer les sujets les plus difficiles, l’Américain déchu de ses sept titres de vainqueur du Tour de France (1999 à 2005) justifiait auprès des instances la prise de certains produits, comme la testostérone, par la perte d’un testicule après son cancer.

Face à Oprah Winfrey, Lance Armstrong a contesté l’idée que lui et son équipe aient pu mettre en place le système de dopage le plus sophistiqué du monde (« c’était professionnel mais assez conservateur et sans prise de risque »). Il a admis certains faits – le contrôle positif du Tour de France 1999 couvert par un certificat médical antidaté, l’EPO stocké dans le coffre réfrigéré d’une moto –, en a contesté d’autres – le contrôle positif du Tour de Suisse 2001, les tentatives de corruption de l’UCI. En outre, Lance Armstrong s’est interdit de dénoncer qui que ce soit et a démenti les accusations selon lesquelles il aurait poussé au dopage ses anciens coéquipiers. « C’était la compétition, nous étions tous de grandes personnes, nous avons fait des choix. Certains dans l’équipe ont décidé de ne pas se doper. Je ne veux accuser personne. Je veux seulement reconnaître mes erreurs. »

Lui, dit-il, s’est arrêté après sa dernière victoire dans le Tour de France en 2005. Il assure que son retour à la compétition en 2009 et 2010 s’est fait sans dopage… mais qu’il a entraîné sa perte. « Nous ne serions pas assis ici si je n’avais pas fait mon comeback en 2009, a estimé l’Américain. Je pensais que l’histoire pouvait continuer pendant longtemps… Mais nous voilà assis ici parce qu’une enquête fédérale a été ouverte il y a deux ans. Tous les gens impliqués dans cette histoire ont été appelés. J’ai été cité à comparaître, destitué. Il y avait un homme avec une arme à feu et une insigne : les conséquences sont graves. » Sans dénoncer les personnes qui lui ont permis d’en arriver là et les méthodes utilisées pour contourner les contrôles, le Texan a précisé qu’il lui aurait été impossible de gagner sept Tours de France sans produits.

A 41 ans, Lance Armstrong a donc livré cette nuit une partie de son lourd secret. Certainement pas de quoi se racheter une conduite après des années d’arrogance, mais de quoi pouvoir enfin se regarder en face dans un miroir. Et tâcher, s’il le peut, de réparer une partie de ce qu’il a pu briser et des rêves qu’il a volés aux fans de vélo. « J’aime le cyclisme, conclut-il en première partie d’entretien. Je l’aime vraiment. Les gens diront que j’ai manqué de respect envers ce sport, au Tour de France, au maillot jaune… Je l’ai fait. J’ai dérogé aux règles, peu importe ce qu’on peut dire de cette génération. C’était mon choix. Maintenant ce n’est certainement pas à moi de dire : ‘hé les gars, on va nettoyer le cyclisme’. Je n’ai aucune crédibilité s’il s’agit de réconcilier le vélo. Mais si j’y suis invité, je serai le premier à la porte. »