Julien, deux mois après le rendez-vous olympique, as-tu pu faire la part des choses entre les gens déçus par toi et les gens déçus pour toi ?
Oui bien sûr. C’est vrai que mon abandon aux Jeux Olympiques a été beaucoup commenté. Toutes les personnes qui connaissent le sport de haut niveau ont compris ma décision. Aux gens qui sont extérieurs, qui ne savent pas ce qu’est réellement une préparation olympique, j’essaie d’expliquer gentiment les choses quand ils me le reprochent. Je leur dis qu’il faut prendre en compte tout ce qu’il y a avant et expliquer pourquoi. Mais je comprends que les gens ne comprennent pas comme je sais que ceux qui connaissent le sport de haut niveau ont saisi. C’est ça aussi le sport de haut niveau : on est très vite encensé, mais on se fait très vite descendre quand ça ne va pas.

C’est l’expérience qui parle…
Oui, j’en suis conscient parce que j’ai eu une carrière assez longue. Je fais partie des anciens. J’ai eu quelques déceptions dans ma carrière et je sais comment ça se passe. C’est aussi pour ça que, quand on gagne, qu’on est en haut de l’affiche, il faut être conscient que c’est très éphémère et que ça peut très vite retomber. Il ne faut pas être trop attentif à tout ce qui se dit, prendre ça indirectement, avec du recul. Mes amis sont toujours là et les passionnés de sport ont compris ma décision.

Sur un circuit comme celui des Jeux Olympiques, avec le retard que tu avais au bout d’un tour, c’était vraiment injouable de venir taquiner le podium ou même s’approcher d’un Top 5 ?
Oui, c’était impossible. Et puis j’ai eu une perte de motivation totale. J’étais venu pour une médaille et de voir qu’elle n’était plus jouable… Plus de motivation, ça veut dire plus de force, plus de possibilité de se battre. Parce qu’on ne se bat pas de la même manière quand on joue une médaille que quand on se bat pour une place. Le problème c’est que quand on s’aligne sur une course, on a un objectif dans la tête. Je savais que j’avais les capacités de ramener une médaille, je me battais pour ça. Et à partir du moment où ce n’était plus possible, je n’avais pas la force de me battre pour faire une place. N’en déplaise à Pierre de Coubertin, je n’étais pas venu juste pour participer.

As-tu revu cette course en vidéo ?
Non, j’ai juste vu le sprint final. Parce que je ne comprends pas comment Nino Schurter a pu perdre. Peut-être a-t-il été un peu trop sûr de lui sur ce sprint. C’est tout de même le spécialiste du sprint. Il est imbattable, surtout en arrivant en tête. Peut-être qu’il s’est vu gagner, qu’il a perdu en concentration. Il s’est retrouvé au-dessus de la côte sans s’en rendre compte. Peut-être que c’est dû à la fatigue auss parce qu’apparemment Jaroslav Kulhavy avait mis une grosse attaque dans la montée précédente.

Ce 12 août, c’est la plus grosse déception de ta carrière ?
Oui, clairement. En numéro un. En numéro deux vient le Championnat du Monde 2008 à Val di Sole, avec une grosse défaillance. Mais un Championnat du Monde, il y en a tous les ans, et c’est vrai que je pense que c’était certainement mes derniers Jeux. C’est quatre ans de préparation, des mois et des mois de sacrifices. Donc c’est forcément une grosse désillusion.

Tu nous fais beaucoup penser à un sportif qui a fait un beau retour cette année, Tony Estanguet. Son parcours aux Jeux, ça t’inspire ?
Oui, le personnage aussi m’inspire. Je le rencontre souvent et je l’apprécie beaucoup. Quand on se croise, on échange, on discute. On a un peu la même philosophie de vie. La même approche de notre sport, la même passion. Et c’est vrai que ce qu’il a fait est un exemple pour moi. En termes de longévité, de remise en question. Lui aussi après sa deuxième médaille d’or, on l’a mis sur un piédestal, et à Pékin on l’a mis au fond du trou en disant : « Estanguet est fini », « Estanguet est trop vieux », « Estanguet n’est plus au niveau ». Et quatre ans plus tard il prouve ce qu’il sait faire et c’est super beau !

Si on poursuit la métaphore, on se dit que tu pourrais être à Rio en 2016 ?
Pour l’instant je n’y pense pas parce que, pour le moment, je fais du cross-country par passion. C’est mon moteur, ma source de motivation. Je sais que la motivation est là pour deux ans, mais je ne veux pas m’avancer à dire aujourd’hui que je serai à Rio. Peut-être qu’en 2015 je sentirai de la lassitude et je ne veux pas monter sur un vélo sous la contrainte. Je fais ça parce que j’aime ça, j’ai la chance d’en faire mon métier, mais je n’ai pas l’impression de travailler tous les jours. Voilà pourquoi je ne m’avance pas plus. Par contre, c’est clair, la motivation est là pour les deux prochaines années. J’ai un beau projet qui se profile, une nouvelle aventure et ça va être super motivant.

Pourquoi deux ans ? Pourquoi pas trois ou quatre ?
J’aime mon sport mais je suis un compétiteur-né. Je ne peux pas rouler si je ne suis pas capable de gagner. Dans trois-quatre ans, si je sens que je ne suis pas capable de gagner, je ne pourrai pas continuer. Je ne pourrai jamais préparer les Jeux si je sais que j’y vais pour faire 5ème. Même 2ème. Si j’y vais, c’est que je sens que je peux gagner. Et je sais que j’ai cette capacité pour les deux prochaines années. Mais en 2015, je ne sais pas dans quel état de forme je serai ni dans quel état mental.

Ton passage chez BMC sera automatiquement une remise en question d’un point de vue matériel. Tu rouleras de moins en moins sur le 26 pouces. Si tu avais la possibilité de choisir, tu prendrais plutôt le 27,5 ou le 29 pouces ?
C’est un peu tôt pour faire un choix parce que j’ai beaucoup de tests à faire pendant l’hiver. Je pourrai en dire plus d’ici quelques mois. Ce que je sais, c’est que BMC a un super 29 pouces, vraiment très abouti, avec une belle géométrie. Peut-être qu’il n’est pas nécessaire d’avoir un 27,5 quand on a un 29 pouces bien conçu.

On sait qu’en Suisse, il y a Swisspower qui a développé avec DT Swiss les roues de 650. La transition entre le 26″ et le 29″ pourrait être le 27,5″ ?
Je vois plus l’avenir du 27,5 sur des vélos suspendus ou la cinématique ne permet pas d’utiliser de grandes roues. Par contre je ne sais pas s’il y a un réel gain. Il y a tout de même peu de différences entre des roues de 26″ et de 27,5″. Donc tant qu’à prendre des roues plus grandes, autant prendre des roues vraiment plus grandes !

Propos recueillis à Fréjus le 14 octobre 2012.