Christian, à quand remonte ta première utilisation de suspensions ?
Dave Cullinan, champion du monde de DH à Bromont en 1992, est le premier à avoir utilisé un cadre avec 5 centimètres de débattement à l’arrière et à l’avant. Il est donc le premier à avoir utilisé un tout suspendu. Je ne suis pas sûr que Jimmy Deaton, 2ème cette année-là, avait des suspensions. Moi, je roulais en semi-rigide. Je n’avais de suspension que sur la fourche avant. J’avais une formation de tourneur-fraiseur, je me suis mis de suite à dessiner. Quand j’ai arrêté l’école à 18 ans, je suis monté rouler pour Scrambler Line à Lyon. Je m’occupais des plans des cadres, de la géométrie. Parallèlement, je m’entraînais à mi-temps. Je me suis tout de suite dit qu’il fallait des suspensions.

Avais-tu confectionné des prototypes ?
En 1991, je n’ai pas roulé au Championnat du Monde avec. Mais j’ai fait mon premier vélo tout suspendu avec 120 millimètres à l’arrière et à l’avant. C’est moi qui avais le plus de débattement. Je suis donc tout de suite parti en hydraulique. Je me souviens qu’au Cap d’Ail j’avais une roue pleine Tioga à l’arrière et à l’avant une fourche XC 700 de Marzocchi avec cinq centimètres de débattement. Je les harcelais pour qu’il fasse des fourches avec plus de débattement, de 150, voire 180 millimètres. On montait de centimètre en centimètre, mais je savais qu’il en fallait plus.

Sur quelles évolutions cela a-t-il débouché ?
En 1992, je suis arrivé avec mon prototype avec lequel j’avais gagné la Coupe de France à La Clusaz, un tout suspendu en 140 mm. Je suis le premier à avoir fait une fourche double T en VTT, avant RockShox. Je l’avais fabriquée de mes propres mains. Je les ai toujours d’ailleurs. J’avais déjà 150 mm. Seulement, je n’avais pas autant de sensibilité qu’aujourd’hui. 1992 a été l’année où j’ai beaucoup travaillé sur les innovations qui ne sont arrivées que sept ou huit ans après sur les vélos. Mon tout suspendu n’était pas au top. J’avais quelques problèmes mécaniques, l’hydraulique qui fuyait. Je me rappelle avoir fait un aller-retour dans la nuit entre La Clusaz et Lyon pour ressouder la bombonne sur le top tube pour répartir la pression hydraulique. J’ai beaucoup travaillé là dedans. Depuis, les fourches ont évolué, on a commencé à avoir du matériel.

Quel regard portes-tu sur ces évolutions ?
Aujourd’hui, avec les vélos qui existent actuellement en descente, même en ayant arrêté la compétition depuis dix ans, je roule beaucoup plus vite. Je me fais énormément plaisir avec des vitesses formidables. On peut vraiment y aller ! Ça roule ! À l’époque, c’était l’enfer. On faisait la descente et on mettait une heure et demie ou deux heures à bricoler le vélo. Il fallait démonter les fourches, l’hydraulique, purger, etc. On passait plus de temps sur la mécanique que sur le vélo ! À l’époque il était impensable de faire une reco, de poser le vélo et de le reprendre le lendemain pour aller rouler. Aujourd’hui, c’est du pain bénit. On achète le vélo, ça marche, on va rouler.

Tu étais une égérie potentielle pour la descente. Qu’est-ce qui a fait que la médiatisation de la discipline ne s’est pas faite ?
Dès le départ, le VTT a été catalogué par les gros médias comme du vélo loisir. Je ne parle pas des médias spécialisés qui faisaient le maximum pour nous booster. Je me souviens de quelques articles dans L’Equipe qui nous traitaient comme cela. On a été catalogué comme du vélo de découverte, de randonnée, et pas comme un sport de haut niveau. Il y a eu pas mal d’argent dans le VTT pendant quelques années. Les ventes augmentaient et le nombre de vélos fabriqués aussi. Il y avait du chiffre d’affaires et des moyens de communication importants. Quand on est arrivés dans les années 1997-1998, le marché a commencé à se stabiliser, puis à régresser. Les marques avaient moins de moyens pour communiquer, ne serait-ce qu’au travers des teams et de la communication qui pouvait interpeller les médias non-sportifs.

Lesquelles ?
On se souvient des partenaires que l’on avait à l’époque comme Oncle Ben’s ou La Poste. Ce qui intéressait justement La Poste, c’était ce côté populaire, loisir, évasion découverte, plus que l’aspect compétition. Aujourd’hui, on a la chance que la discipline soit olympique, même si seul le cross-country est aux JO. Les autres disciplines en bénéficient. Dans le cas contraire, notre sport serait relégué au second plan. Si on dit VTT au Français lambda, il n’a pas cette image du XCO, DH, etc. Au contraire, si on dit golf, on voit un club et une balle, si on dit rugby, on voit le ballon ovale. Le principe reste à chaque fois le même. Ce n’est pas le cas pour le vélo, et même pour le VTT.

Ceci peut-il jouer contre le VTT ?
Le nombre de pratiquants ne stagnera pas. Il ne fera qu’augmenter, de par la conjoncture et les gens qui sont de plus en plus stressés : prendre un VTT pour aller rouler dans le moindre petit bois derrière chez soi en oubliant complètement qu’on risque de se faire écraser par les voitures. C’est vraiment une méthode de décompression et de décontraction très intéressante. On trouve des VTT fiables à bas prix pour faire ses premiers tours de roue en prenant du plaisir et en s’évadant. C’est pour cette raison qu’il est accessible à toutes les classes sociales en France et en Europe. Même dans les pays émergents, le VTT se développe. Que ce soit dans les pays d’Asie du sud-est ou dans certains pays africains. Le VTT a encore de beaux jours devant lui.