Dominique Bergin, vous avez reçu de l’Institut National de la Propriété Industrielle le trophée de l’entreprise la plus innovante de ces 20 dernières années, de quoi êtes-vous le plus fier en 20 années ?
Dominique Bergin : C’est avant tout la reconnaissance de la politique engagée avec Thierry Fournier visant à tout miser sur la production et l’innovation lors de la reprise de la société il y a quatorze ans. Lorsque nous avons repris Look en 1998 avec Thierry et les cadres dirigeants, l’entreprise était alors en difficulté et comptait 70 salariés. Look est toujours une entreprise indépendante à capitaux français, dont le siège social est basé à Nevers, et qui compte près de 500 salariés dont 200 sur le site de Nevers. Nous avons souhaité maîtriser nos outils de production pour mieux innover et étions à l’époque à contre-courant des transferts de production en Asie. C’est donc une belle récompense pour l’ensemble de l’entreprise de pouvoir proposer des produits différenciant, qualitatifs, avec de réelles innovations.

Ce n’est pas la première fois que vous recevez un tel prix…
Dominique Bergin : Plus de 200 brevets ont été déposés lors de ces dix dernières années. Nous avons obtenu à deux reprises le Trophée de la PME la plus innovante de France mais aussi des élections de vélo de l’année, des trophées de design avec le vélo de route 695, la Keo Blade, première pédale à lame carbone, et tout dernièrement notre nouveau VTT 920 récompensé par un Eurobike Award et le prix de l’Observeur du design. Le lancement actuel de la première pédale à capteur de puissance, la Keo Power, est aussi une grande fierté. C’est avant tout une formidable aventure humaine à laquelle je souhaite associer l’ensemble des salariés du groupe, la famille Look, car on peut vraiment parler d’un esprit Look. C’est une entreprise de passionnés.

Que pensez-vous des slogans « produisons français, consommons français » qui refleurissent actuellement ?
Thierry Fournier : La totalité des pédales et la grande majorité des vélos et des composants Look répondent aux critères « made in France ». Nous n’en faisons cependant pas un slogan primordial car pour nous, une fabrication non asiatique doit se traduire avant tout par des avantages de qualité et de souplesse de fabrication qui profitent aux consommateurs ainsi qu’au réseau. Notre slogan interne depuis quinze ans est que seule la maîtrise de la fabrication permet la poursuite réelle de l’innovation, celle des techniques et des procédés de fabrication. Nous ne pouvons donc qu’être d’accord avec l’idée que seule une maîtrise d’une fabrication française peut redynamiser notre industrie et maintenir sa capacité à innover. On doit cependant y associer des pays géographiquement voisins comme l’Europe de l’Est ou le Maghreb pour permettre de faire face à la compétition mondiale et éviter que le label France ne se traduise par « hors de prix ».

Aujourd’hui, vous atteignez un chiffre d’affaires de 43 millions d’euros, sous quel délai pensez-vous toucher les 50 millions d’euros ?
Thierry Fournier : Nous avons quadruplé notre chiffre d’affaires sur ces quatorze dernières années avec notamment une progression de 18 % sur la dernière année fiscale. Notre objectif est d’atteindre les 50 millions à horizon 2014. Cependant, notre objectif n’est nullement la progression à tout prix du CA. Ce serait assez facile d’exploser les compteurs en descendant en gamme. Look se pilote avec plusieurs compteurs : la cohérence de la marque, la trésorerie et la marge. Nous souhaitons rester sur un positionnement haut de gamme avec des produits de qualité et innovants. Tous ces éléments sont indispensables à la poursuite harmonieuse du développement de notre entreprise qui est totalement indépendante.

Combien d’emplois induits sont générés par Look en France à travers les sous-traitants que vous sollicitez ?
Thierry Fournier : La quasi-totalité de nos sous-traitants pédales sont effectivement français mais il est difficile de dire le nombre d’emplois que cela peut représenter.

A propos d’innovation, pensez-vous que la Keo Power puisse être la prochaine nominée chez Look ?
Thierry Fournier : Cette pédale ordinateur qui a demandé de longs et passionnants développements est une prouesse technologique et mérite sans aucun doute de recevoir des prix, du moins nous en sommes persuadés.

Croyez-vous qu’elle puisse être l’outil qui va démocratiser la capture et l’analyse de puissance ?
Thierry Fournier : Pour l’instant cette pédale est d’un usage plus simple que la plupart de nos concurrents. Son prix la réserve cependant encore aux passionnés et à tous ceux qui ont besoin de données précises pour suivre leur entraînement et mesurer leurs performances en compétition. Nous travaillons déjà à en faire baisser le coût pour permettre à un plus grand nombre de profiter de ce merveilleux outil. Sa complexité ne rend cependant pas cette tâche très facile.

Look équipe plusieurs équipes nationales. On sent qu’être le fournisseur de l’équipe nationale de Chine, là où sont fabriqués la plupart des vélos, est une fierté particulière. Pourquoi et comment se porte Look sur le marché chinois et plus largement sur les pays émergents ?
Thierry Fournier : Le marché chinois n’est pas facile et nous sommes plus présents sur les nombreux vélodromes que dans les magasins de détail. Etre fournisseur des équipes chinoises avec des vélos fabriqués à Nevers est évidemment une fierté pour nous tous. Nous exportons plus de 75 % de notre CA. Les marchés émergents, notamment le Brésil, l’Asie du Sud-Est et l’Indonésie sont en forte progression.

A l’aube d’une année olympique, où vous aurez une forte présence sur piste, en route, triathlon, voire VTT, à combien fixez-vous l’objectif de médailles ?
Dominique Bergin : Les équipes de Chine, France, Canada mais aussi des pistards polonais, allemands, russes, grecs, espagnols et même les Vénézuéliens, qui se sont distingués aux Jeux Panaméricains, seront aux JO en Look en vitesse individuelle et keirin. La vitesse par équipes, vitesse individuelle, omnium, keirin sont des disciplines où nous pouvons compter sur des médailles avec les équipes de France, Chine et Canada, sans compter les Allemands dont certains utiliseront les vélos Look à titre individuel. On peut estimer un potentiel de cinq à neuf médailles. Nous serons également représentés en route et triathlon mais il est difficile de prédire quelque médaille que ce soit. Ce ne seront que de bonnes nouvelles que nous accueillerons avec joie !

Vous avez repris la distribution de Sunn, où en est la marque ?
Thierry Fournier : Nous avons souhaité participer à la mutation de Sunn et à l’aventure de cette belle marque. Nos produits sont très complémentaires, même dans le VTT.

Peut-on imaginer que Look absorbe Sunn et en fasse son étendard dans le VTT ?
Thierry Fournier : Même si le rapprochement des deux entreprises devait dépasser notre accord de commercialisation, chacune continuerait sans aucun doute à développer ses produits, même dans le VTT avec sa propre personnalité. Mais nous n’en sommes pas là.

Le 695 ou le 920 en VTT sont des exemples d’intégration de plus en plus étendue, quelle est la prochaine étape ?
Thierry Fournier : Bonne question. La règle pour Look est de n’intégrer une famille de composants que si nous apportons une réelle valeur ajoutée. Tige de selle E-Post, pédalier Z, potence C-Stem, nos intégrations ont jusqu’à présent toujours amélioré très sensiblement les vélos dans lesquels elles étaient intégrées. Nous comptons bien poursuivre dans cette voie. Si nous trouvions un concept de roue original, fiable et performant, nous pourrions donc envisager cette nouvelle étape. Mais ce n’est pas facile.

Look se lance dans le sportswear, comment se passent les premiers pas dans cet univers ?
Dominique Bergin : Nous ne nous lançons pas dans le sportswear. L’idée est de redonner à Look la position de marque globale qu’elle avait dans les années 80 en commençant par éditer une ligne de vêtements destinés à la montagne et à la ville. Notre positionnement est résolument haut de gamme et technique comme nous le faisons dans le cycle. Nous mettons en avant le savoir-faire français en utilisant la laine d’Arpin, autrefois utilisée par les guides de haute montagne, et fabriquée près de Bourg-Saint-Maurice ainsi que du duvet d’oie élevée dans le sud-ouest. La collection est très bien accueillie par la presse comme par les clients et les nombreux fans de la marque. Nous avons ouvert une première boutique à Paris, quatre autres sont en cours d’ouverture à Gstaad, Crans-Montana, Courchevel et Megève. Un Site e-commerce look-collection.com est également en ligne.

N’avez-vous pas peur de trop vous diversifier alors que l’environnement économique incite à la prudence ?
Dominique Bergin : Le contexte économique incite bien entendu à la prudence. La diversification de Look a commencé il y a quelques années avec la reprise de Free-Jump spécialisée dans les sports équestre et équipements du cavalier, en 2009. Nous avions décidé d’élargir notre activité aux vêtements de ski avant que la crise ne démarre et nous poursuivons notre croissance dans l’univers que nous maîtrisons : Sport & Technologie.

Propos recueillis le 23 décembre 2011.