Le Roi Philippe de Belgique tient-il une conquête ? Sans mener la moindre guerre, il semblerait effectivement qu’il soit sur le point de mettre le sport cycliste sous le joug de son royaume. C’est d’ailleurs la quatrième année consécutive que sa patrie tient solidement la tête du classement mondial. Mais cette saison, cette primauté pourrait se tinter d’un éclat inédit, jusqu’à en faire resplendir la couronne ! Quelques chiffres illustrent la perfection du joyau qui se dessine. La Belgique du cyclisme en 2022, c’est tout simplement 48 victoires professionnelles, dont la moitié en World Tour, six bouquets sur le Tour, deux sur le Giro et déjà un sur la Vuelta, sans oublier une poignée de classiques et un monument (Liège-Bastogne-Liège).

Le roi Philippe de Belgique est lui-même un amateur de bicyclette / Palais Royal de Belgique

Le roi Philippe de Belgique est lui-même un amateur de bicyclette / Palais Royal de Belgique

Et le meilleur est peut-être encore à venir ! Remco Evenepoel est actuellement imbattable sur les routes espagnoles et Wout Van Aert s’érige comme le grandissime favori des championnats du monde. Que demander de plus ? Ah si, des équipes performantes ! La Belgique en possède quatre au plus haut niveau. Des jeunes talents ! Cian Uijtdebroeks vient juste de remporter le Tour de l’Avenir, du haut de ses 19 ans. Et des sprinteurs de renom ! Jasper Philipsen a dominé les deux derniers sprints du Tour de France. Alors on prend nos jumelles, et on contemple ce panorama royal !

Evenepoel et Van Aert, les nouveaux cannibales du cyclisme

Comment évoquer le cyclisme belge sans parler d’eux ? Têtes d’affiche de la sélection de Belgique aux mondiaux 2021 et 2022, les deux jeunes hommes incarnent personnellement le renouveau de leurs pays. Si l’un est un puncheur-sprinteur et l’autre un puncheur-grimpeur, les deux hommes se rejoignent par leur audace et leur goût pour le panache. Effectivement, rester dans les roues jusqu’aux 200 derniers mètres, ce n’est pas pour eux. Vraiment pas non. L’un comme l’autre se sont fait connaître du grand public par leurs folles épopées en tête de course, jusqu’à vaincre ou s’écrouler.

Devenus leaders de grosses cylindrées (Jumbo-Visma pour Van Aert et Quick-Step Alpha-Vinyl pour Evenepoel), ils ont dû modérer leurs pulsions mais laissent encore transparaître leur réel tempérament. D’ailleurs, qu’il s’agisse du raid solitaire de Remco Evenepoel lors de sa victoire sur la Doyenne ou de la phénoménale attaque de Wout Van Aert dans la côte de Cap Blanc Nez sur la Grande Boucle, tous deux ont été auteurs de grands moments de spectacle cette saison !

Wout Van Aert vainqueur à Calais / Crédits : ASO

 

Et ce n’est pas fini. Loin de là. Tandis qu’à 27 ans Wout Van Aert entre dans l’âge d’or des classicmen, son jeune compatriote mate déjà les grands d’Espagne, à seulement 22 ans. Dans les saisons à venir, leur quarantaine de bouquets respectifs devrait être multipliée, bien aidée par leur phénoménale polyvalence. Contre-la-montre, classiques flandriennes ou ardennaises, sprints massifs ou enchaînements montagneux, à deux, ils sont capables de tout gagner, si bien qu’on peine à leur trouver des points faibles. Objectivement, seule la haute montagne résistera toujours à Wout Van Aert lorsque Remco Evenepoel sera éternellement contraint par sa modeste pointe de vitesse. Mais c’est tout. Avec de tels cannibales, les records de Merckx ont du souci à se faire.

La Belgique, nouvelle terre de sprinteurs

Et pourtant, la Belgique du cyclisme ne saurait se résumer à ses deux stars, qui ne représentent pas la moitié de cette victoire cette année (21 pour 48). Au plat-pays, on sait aussi sprinter. Ou plutôt, à nouveau. Cela faisait quelques temps, depuis les grandes heures de Tom Boonen, que Flandriens comme Wallons n’avaient pas joui de sprinteurs de premier plan. Et voilà que les figures de Tim Merlier et Jasper Philipsen émergent successivement. Vainqueurs de six étapes de Grands Tours ces deux dernières saisons, un prestigieux bouquet sur les Champs-Elysées pour Philipsen, les deux coureurs du Team Alpecin-Fenix sont grimpés au sommet de la hiérarchie des « grosses cuisses », aux côtés de Sam Bennett (BORA-Hansgrohe) ou Fabio Jakobsen (Quick-Step Alpha Vinyl). Et si Tim Merlier frôle désormais la trentaine, l’âge ingrat des sprinteurs, Jasper Philipsen, 24 ans, a encore le temps d’accumuler les succès.

Jasper Philipsen, vainqueur de la 2ème étape du Tour de Belgique 2022. Crédit : twittr @ltbittar

Mais qu’il se dépêche tout de même ! Car Arnaud De Lie arrive. Pur produit de la formation Lotto-Soudal, le natif de Libramont n’a que 20 ans mais il joue déjà des coudes avec les meilleurs. Aligné sur des semi-classiques par sa formation, il a déjà empoché neuf victoires cette saison et impressionne les observateurs. Avec lui, comme avec Wout Van Aert ou Jasper Philipsen, le sprint belge a encore de beaux jours devant lui…

Quatre équipes au sommet du cyclisme, l’autre symbole de prestige de la Belgique

En outre, le rayonnement d’un pays ne passe pas seulement par ses coureurs. Il se propage aussi par l’intermédiaire de ses équipes. Et ces dernières constituent naturellement de significatifs viviers de coureurs locaux. Dès lors, les formations nationales constituent également un facteur clé de la santé d’une fédération.

Or, sur ce second aspect, la Belgique est aussi bien lotie que sur le premier. Effectivement, forte de partenaires fidèles au sport cycliste, tant sa visibilité y est considérable outre-Ardennes, le « plat pays » joui de quatre équipes au plus haut niveau mondial : Quick-Step Alpha Vinyl, Lotto-Soudal, Intermarché Wanty-Gobert et Alpecin-Fenix. Si les deux premières sont des figures historiques du panorama du Pro Tour, les secondes ont émergé progressivement au cours des dix dernières années, portées par une vague d’investissement en matière de bicyclette. Et tout le monde y trouve son intérêt. Lorsque coureurs et staffs croquent à pleines dents dans leur sport, Quick-Step, Soudal, Alpecin, Deceuninck (partenaire de Quick-Step de 2019 à 2021 et associé à Alpecin l’année prochaine) ou encore la loterie nationale gagnent les cœurs des téléspectateurs.

La Quick-Step Alpha Vinyl a fait de son sens du collectif une marque de fabrique

La Quick-Step Alpha Vinyl a fait de son sens du collectif une marque de fabrique

Ainsi, la Belgique devient omniprésente sur les routes du World Tour. Avec trois équipes membres et une équipe automatiquement qualifiée sur chacune de ses épreuves (Alpecin-Fenix), nos voisins nordiques emportent systématiquement des cohortes considérables et solides de ressortissants nationaux. Et voilà le « plat pays » fier d’une dizaine de bouquets sur les trois Grands Tours cette saison, par l’intermédiaire de cinq coureurs différents (De Bondt, De Gendt, Van Aert, Philipsen et Evenepoel) dont quatre membres d’équipes belges. Et la probable relégation de Lotto-Soudal n’y changera rien puisque l’équipe d’Arnaud De Lie bénéficiera toujours d’un accès privilégié au gratin du calendrier. L’omniprésence belge est donc partie pour durer.

La Belgique, premier incubateur de pépites du cyclisme

Enfin, et surtout, le vivier de pépite belges assure au cyclisme national de beaux jours à venir. Si Remco Evenepoel (22 ans) ou Arnaud De Lie (20 ans) ne sont déjà pas bien vieux, les Espoirs Cian Uijtdebroeks (19 ans), Lennert Van Eetvelt (21 ans) et Alec Segaert (19 ans) s’apprêtent déjà à leur faire de l’ombre. Le premier vient tout juste de survoler le Tour de l’Avenir face à une concurrence considérablement plus âgée que lui. Le second s’est classé second du Tour d’Alsace et du Giro U23. Quant au dernier, il a été couronné champion d’Europe Espoirs de contre-la-montre en juillet, en s’offrant une marge de près d’une minute sur son dauphin.

Cian Uijtdebroeks a remporté le Tour de l'Avenir cet été / Tour de l'Avenir

Cian Uijtdebroeks a remporté le Tour de l’Avenir cet été / Tour de l’Avenir

Segaert et Eetvelt devraient assurément accrocher quelques lignes de prestige à leur palmarès professionnel et ne manqueront pas de rejoindre l’avant-garde belge sur les plus grandes courses de la saison. Cian Uijtdebroeks, lui, subit déjà la comparaison avec Remco Evenepoel, parfois élogieuse mais souvent lourde à porter. Garçon extrêmement humble et sympathique, comme relaté par Colin Bourgeat à l’issue d’une interview dans l’émission Bistrot Vélo, le coureur de la BORA-Hansgrohe apparaît également comme un phénomène de précocité. Rival de Romain Grégoire chez les Juniors, il semble s’en être détaché à l’échelon supérieur, illustrant la fulgurance de sa progression. Bénéficiant d’un cadre bienveillant et sans impératif de résultats au sein d’une formation de pointe, il dispose de toutes les clés pour réussir.

L’inimitié que nourrit Remco Evenepoel à son égard pourrait vite se cristalliser si les deux hommes en venaient à se disputer le gain d’un Grand Tour. Ce jour-là, l’hégémonie belge sera alors incontestable.