Dimanche dernier, aux Etats-Unis, s’est disputée la première édition de la Maryland Cycling Classic entre les villes de Sparks et Baltimore dans l’Etat éponyme. Attribuant 200 points UCI au vainqueur, soit deux fois plus qu’un bouquet sur la Vuelta, cette toute nouvelle épreuve a profité du contexte de la course aux points pour attirer quatre équipes World Tour outre-Atlantique (Trek – Segafredo, Team BikeExchange – Jayco, Israel Premier Tech et EF Education EasyPost). De quoi lui donner un peu d’intérêt, même si les résultats ont largement été occultés par les médias européens. Alors donnons-les ici.
Quasiment trois ans jour pour jour après son triomphe sur la Bretagne Classic, Sep Vanmarcke (Israel Premier Tech) a renoué avec la victoire, vainqueur d’un sprint à quatre disputé face au canadien Nickolas Zukowsky (Human Power Health), à l’américain Nelson Powless (EF Education First) et au letton Toms Skujins (Trek – Segafredo). Au-delà de la joie naturellement procurée au classicman belge et à son staff, ce succès apporte également une bouffée d’oxygène bienvenue à sa formation, à l’aube d’un automne rendu anxiogène par la course au maintien.
Largement critiqué par les managers et les sélectionneurs, le système d’ascension / rétrogradation mis en place par l’UCI aura donc eu le mérite de redonner de l’intérêt aux derniers mois de la saison, et à toutes les courses autrefois occultées par l’enchaînement Vuelta – Mondiaux – Lombardie. En octobre, le Tour du Langkawi, en Malaisie, réservé aux équipes continentales asiatiques jusqu’à la crise sanitaire, bénéficiera de la présence inouïe de sept des vingt meilleures équipes du monde. La quête des points UCI serait donc un formidable moteur d’attention pour toutes les courses éloignées du Vieux Continent. Et si les Etats-Unis en profitaient pour esquisser le retour du cyclisme sur leurs terres ?
Richmond, le paroxysme avant la chute
En 2015, lorsque Peter Sagan glana ses premiers liserés arc-en-ciel (qu’il renouvela deux fois ensuite), il le fit en plein cœur de la Virgine. En ce faisant, il accorda une remarquable publicité à Specialized, son équipementier historique. Et surtout, il offrit au public américain une formidable démonstration de son caractère de showman, comme on les aime outre-Atlantique. Si l’on ne peut comparer l’ambiance locale avec le chaudron de Louvain, le dernier kilomètre méritait toutefois la qualification « d’effervescent ». Comme sur les Champs-Elysées lors de la fameuse soirée d’été, les trottoirs s’étaient couverts de foule, formant un interminable ruban coloré dans les rues de Richmond, capitale de l’Etat. Hautes en couleurs, les stripes célébraient les stars.
Dès l’atterrissage des coureurs sur les terres du Nouveau Monde, une douce folie s’esquissait déjà. Au quotidien l’Equipe, Arnaud Démare confiait « avoir vu des camping-cars qui s’installaient huit jours avant la course ! », 50 étoiles dans les yeux. Même en période de troubles pour « le boss », l’effet Lance Armstrong marchait à plein. « Le sport lui-même, mais aussi toute l’industrie du cycle ont bénéficié de sa popularité. Armstrong n’était pas simplement un sportif connu, il était aussi un Américain connu. » assurait le président de USA Cycling. C’est lui, notamment, qui a fait grandir Trek, et permis à quelques courses locales de se développer.
Lorsque Peter Sagan fut sacré à Richmond, le Tour de Californie recevait chaque printemps le gratin du cyclisme mondial. En août, le Tour de l’Utah révélait Michael Woods et Tao Geoghegan Hart. Quelques semaines plus tard, le Tour du Colorado accordait ses lauriers à Rohan Dennis. L’une après l’autre, toutes ces épreuves ont mis la clé sous la porte. Aujourd’hui, il ne reste plus rien. Juste la Maryland Classic.
VTT et CX, les nouveaux dadas des Etats-Unis
Les mondiaux de Richmond auraient dû consacrer la démocratisation du cyclisme sur route aux Etats-Unis. Ils ont en fait concordé avec son enterrement. Marqué par l’hégémonie de l’US Postal au cœur des années 2000, le Tour de France ne reçoit désormais plus qu’une petite cohorte d’américains (4 en 2021, 7 en 2022). Au classement UCI, le pays est tombé au 13e rang mondial, bien loin du top 15 avec lequel il fleurtait il y a 20 ans. L’interminable feuilleton Armstrong n’a certainement aidé la discipline à bénéficier d’une image positive auprès des populations américaines. Mais le manque d’intérêt dont elle fut victime résulte surtout d’une inadéquation culturelle. « Si on considère le vélo dans la perspective du spectacle sportif, il reste très loin derrière les sports de balle » rappelait à ce propos le président de la fédération américaine en 2015. Et le goût du show n’a visiblement pas résisté aux mornes étapes de plaine…
Les Etats-Unis se prennent de passion pour le cyclo-cross
Alors le cyclisme se réinvente sur les terres américaines. Si la route n’a pas séduit, d’autres disciplines, plus courtes, plus intenses, plus spectaculaires ont de meilleures chances d’y percer. Puisque l’on a évoqué les mondiaux de Richmond un peu plus tôt, restons dans le thème arc-en-ciel. Le passage du bitume aux sous-bois a entraîné sa réapparition cet hiver à Fayetteville. Si les athlètes locaux ont figuré aux abonnés absents dès le terme du premier tour, forcés à suivre le sacre de Tom Pidcock sur les écrans géants, l’évènement célébrait le développement fulgurant du cyclo-cross aux Etats-Unis. Exclu de la Coupe du Monde jusqu’en 2014, le pays a surfé sur l’engouement croissant suscité par ce sport pour multiplier ses apparitions au calendrier. En moins de dix ans, trois manches 100% américaines ont ainsi pullulé.
Les Etats-Unis percent en VTT
Du côté de VTT, une semblable analyse peut être dressée. Incorporée au calendrier depuis 2019, la manche de Snowhoe, station d’altitude située en Virigine Occidentale, semble se diriger vers le statut d’incontournable de la saison. En outre, cette implantation du VTT circus aux Etats-Unis s’accompagne de l’ascension d’artistes locaux. Encore inconnus du Grand Public, Bjorn Riley et Riley Amos ont chacun escaladé un podium de la Coupe du Monde Espoirs cette année. Chez les femmes, Madigan Munro a également montré le bout de son nez en fin de saison, dans la même catégorie. Mais ces graines de champions permettront-elles au cyclisme américain de mûrir son fleurissement ?
La Maryland Classic, exception ou rebond ?
Sur la route, la Maryland Cycling Classic pourrait donc donner un regain d’intérêt au cyclisme auprès public américain. D’ailleurs, le refrain du jour a fait écho au succès de Richmond. Le Baltimore Sun, journal local, parle ainsi d’une « grosse affaire » pour la cité située au nord-est de Washington. Contrairement aux courses organisées au Moyen-Orient, la ligne droite d’arrivée dégageait encore une furieuse ferveur, destinée à accompagner les coureurs dans leur dernier effort. Symbole que la passion a beau être enfouie, elle subsiste toujours. Donnez aux américains un évènement digne de ce nom et ils le célèbreront comme il se doit !
Placé une semaine avant les Grands Prix Cyclistes de Québec et Montréal, la classique américaine a en outre su trouver sa place dans le calendrier, évitant aux athlètes européens de longs (et polluants) allers-retours en avion. En ce faisant, il tente de construire un véritable calendrier nord-américain de fin d’été, lors d’une période bientôt désertée des championnats du monde (prévus à la mi-aout l’an prochain). C’est une vraie piste… à laquelle on peut encore rester sceptique.
Pour décoller, un sport a besoin de héros locaux. Or, le douloureux exode vers l’Europe forçant chaque Espoir à tout sacrifier sur l’autel du cyclisme agit comme un réel frein à cette démocratisation, et entretient le cercle vicieux. Pour donner envie aux jeunes de faire du vélo, il faut des courses. Mais pour faire des courses, il faut des coureurs. Telle est la trappe dans laquelle les Etats-Unis restent encore piégés…