Pour l’occasion, Jonas Vingegaard (Jumbo-Visma) a de nouveau porté le maillot jaune de son sacre et de ses ennuis. Invité conjointement par les sociétés TEG Entertainment et Amaury Sport Organisation (ASO) pour courir un critérium dans les rues de Singapour, le danois a pu retrouver tous les honneurs que la Ronde de Juillet lui avait accordé. Adulé par une foule au rendez-vous, il fut la star des selfies et autographes, dicta le rythme de la course comme la Jumbo-Visma a maîtrisé le Tour de France, et remporta finalement l’épreuve avec panache, comme il le fit au sommet du Granon. De son côté, Mark Cavendish (Quick – Step Alpha Vinyl) représentait ses 34 bouquets et deux maillots verts en faisant parler sa pointe de vitesse lors des sprints intermédiaires, s’adjugeant finalement le classement par points de la journée.

ASO – Pauline Ballet

A ces deux héros, s’ajoutaient notamment Enric Mas (Movistar), Vincenzo Nibali (Astana) ou encore Simon Geschke (Cofidis), tout de blanc à pois rouge vêtu, comme sur l’avenue des Champs-Elysées le 24 juillet dernier, même si ce privilège ne lui était accordé que par procuration, Jonas Vingegaard ayant également remporté ce classement. De la sorte, le plateau offert au public singapourien avait fière allure pour la première édition du « Tour de France Prudential Singapour Criterium ». Pensée depuis trois ans et reportée par la pandémie de Covid-19, cette épreuve rejoint notamment les Critérium de Saitama (Japon) et de Shanghaï (Chine) dans l’archipel naissant des courses ambassadrices du Tour de France. Organisée depuis 2013, la pionnière japonaise a forgé son succès grâce à son attractivité auprès des célébrités du peloton, en inscrivant notamment les noms de Froome, Valverde ou Cavendish à son jeune palmarès.

Mais quel crédit accorder à ces résultats ? S’agit-il de vraies courses ou d’impeccables parades ?

 

Une occasion en or pour les coureurs

« Je suis un grand fan de F1 ! Je regarde le GP à la télévision mais j’ai déjà aussi piloté dessus avec ma console. C’est la première chose que j’ai faite quand j’ai su que nous allions rouler ici. », confiait Mark Cavendish à nos confrères de L’Equipe en marge de l’évènement de Singapour, à propos du circuit automobile partiellement emprunté par la course. Cet enthousiasme non feint traduit parfaitement l’état d’esprit des coureurs à l’égard de l’opportunité offerte par le « Tour de France Prudential Singapour Criterium ». Largement cantonnés au continent européen durant la saison, les cyclistes présents dans la cité-état insulaire ont sauté sur l’occasion pour élargir leur horizon touristique.

ASO – Pauline Ballet

Voyage tous frais payés, hébergement de grand standing et visites de la ville ont notamment encouragé moultes stars du peloton à partir courir à l’autre bout du monde en plein mois d’octobre. Ainsi, le critérium de Singapour n’était presque qu’un prétexte à un séjour aussi confortable que dépaysant, tout comme le critérium de Saitama, où les coureurs prennent plaisir à découvrir le territoire japonais et la culture nipponne en bénéficiant de conditions similaires.

En outre, si ces courses sont dépourvues de tout point UCI ou de primes de victoires, les coureurs sont payés pour y participer. S’il est impossible de connaître le montant exact des cachets versés par les critériums du Tour de France, celui de Lisieux fournit un indicateur à cet égard en prévoyant un budget avoisinant les 110 000 euros, majoritairement destiné à financer son plateau. A ce propos, le quotidien belge Le Soir évoque au conditionnel des chiffres à quatre 0 pour la saison 2019, soit 50 000 euros pour Julian Alaphilippe. Dès lors, le voyage à l’autre bout du monde réviserait logiquement ces exigences à la hausse.

Une course intense en mode « Tour de France » pour un vainqueur choisi

Si le long voyage n’est pas de tout repos, la course n’est pas non plus une sinécure ! Tout d’abord, il s’agit de s’accommoder au climat local, particulièrement chaud et humide à Singapour. Celui-ci tend d’ailleurs à décourager la population d’utiliser le vélo comme moyen de locomotion, tant les sensations suscitées par l’effort sont incommodantes. Alors, pour les coureurs du Tour de France, il a bien fallu mouiller le maillot !

ASO – Pauline Ballet

Ceux-ci ont d’ailleurs pris très au sérieux leur rôle d’ambassadeur, en offrant à la foule un engagement digne du nom du critérium. En avalant les 57 kilomètres du parcours à une vitesse moyenne de 43 km/h, Vingegaard et consorts n’ont pas fait semblant de pédaler. Et si cette allure n’a rien d’époustouflant, eu égard de la durée de course et de la platitude du parcours, elle reste louable compte-tenu de l’état de forme des coureurs et de l’effectif réduit des équipes (4 coureurs). Et si un coureur asiatique parti en chasse-patate derrière l’échappée triomphante de Mas, Froome, Nibali, Vingegaard et Geschke n’est jamais parvenu à la rattraper, c’est certainement parce qu’il n’en avait pas la possibilité physique. L’effort des protagonistes n’était donc pas feint.

En revanche, le dénouement relevait davantage du théâtre que de la compétition. Les cinq champions définitivement envolés, bien aidés par la passivité du peloton, il leur restait à se distribuer les rôles. Ainsi, lorsque le maillot jaune a contré une timide attaque de Vincenzo Nibali, l’italien ne s’est pas évertué à prendre sa poursuite. De même, Enric Mas a gentiment indiqué à Christopher Froome d’un geste de la main qu’il pouvait aller seul rejoindre le « requin de Messine » pour lui disputer la deuxième marche du podium. Un maillot jaune consacré et deux légendes honorées, la carte postale était parfaite !

Exporter le Tour de France au-delà des frontières du cyclisme

En réalité, ces résultats convenus servent la grande cause de ces critériums : la publicité du Tour de France. En exportant la Grande Boucle dans des contrées où la Petite Reine ne jouit pas encore de lettres de noblesse, les coureurs – ambassadeurs s’investissent dans la mondialisation de leur sport. Particulièrement sensible à la cause, Christopher Froome, premier vainqueur du Tour de France né en Afrique, déclarait à L’Equipe que « Ce genre d’événement est très important pour faire grandir notre sport. Il peut inspirer des jeunes, des gamins de 10 ans qui vont voir la course, ces stars du Tour de France qui pédalent sur leurs routes quotidiennes. Je suis certain que ça peut être le début de quelque chose. ».

Michal Kwiatkowski, Lilian Calmejane et Matéo Trentin au Critérium de Saitama 2019 / ASO - Thomas Maheux

Michal Kwiatkowski, Lilian Calmejane et Matéo Trentin au Critérium de Saitama 2019 / ASO – Thomas Maheux

Toutefois, au Japon, où le critérium de Saitama va bientôt fêter ses dix ans, les effets de ces courses – vitrines peinent encore à se faire ressentir. En effet, les deux stars locales, Fumi Beppu et Yukiya Arashiro n’ont pas encore trouvé de successeurs dans les cohortes du World Tour, alors que le premier a pris sa retraite l’an passé et le second devrait vraisemblablement disputer sa dernière saison professionnelle en 2023.

Du côté de Singapour, seuls quelques hommes évoluent au sein du calendrier asiatique sous le maillot d’une équipe de troisième division, tandis qu’une poignée de Malaisiens multiplient les accessits du côté de la piste. Dès lors, il paraît incertain que le « Tour de France Prudential Singapour Criterium » puissent lancer la dynamique du cyclisme dans la cité-état. La parution prochaine d’une série Netflix dédiée au Tour de France pourrait toutefois y aider… Après tout, le cyclisme marche à Singapour sur les pas de la Formule 1 !