Au bas de la Boccola, où la classique italienne finit désormais son plongeon sur Bergame à moins d’un kilomètre de l’arrivée, ce sont les silhouettes de neuf coureurs qui se dessinent. Nul besoin de dossard pour les identifier. Chacun répond aux critères d’exigence d’une épreuve comme le Tour de Lombardie. Tous ou presque figuraient 260 kilomètres plus tôt aux abords du lac de Côme sur la liste des favoris : Philippe Gilbert et Samuel Sanchez (BMC Racing Team), Michael Albasini (Orica-GreenEdge), Fabio Aru (Astana), Rui Costa (Lampre-Merida), Daniel Martin (Garmin-Sharp), Joaquim Rodriguez (Team Katusha), Alejandro Valverde (Movistar Team) et Tim Wellens (Lotto-Belisol). Mais les apparences sont trompeuses. Car si les meilleurs ont bouclé la course en tête, ils se seront terrés le plus longtemps possible.

Nous sommes toujours très partagés quand un monument du calendrier est réinventé. Le tracé d’une classique ne devrait pas être retouché en profondeur – n’est-ce d’ailleurs pas le sens du mot « classique » ? Milan-San Remo serait-elle toujours la même sans le Poggio ? Le Tour des Flandres n’a-t-il pas perdu un peu de son âme depuis la soustraction du Mur de Grammont ? Que serait Paris-Roubaix sans l’arrivée au vélodrome ? Ou un Liège-Bastogne-Liège privé de la Redoute ? Le Tour de Lombardie, qui appartient à ces cinq monuments, n’est plus la course qu’elle était. Pour la redynamiser, ses organisateurs ont gommé l’ancien tracé et dessiné un parcours complètement nouveau. Les nouvelles difficultés s’éloignent les unes des autres. Il y aura 20 kilomètres de transition entre le sommet du Berbenno, l’avant-dernière côte, et le mur de la Boccola, qui mène vers la ville haute de Bergame, ce qui laisse présager un dénouement tardif. Il le sera.

Réduite à un rôle secondaire en début de course, la longue montée de la Madonna del Ghisallo ne verra pas passer devant la chapelle qui culmine en son sommet des champions engagés dans un féroce bras de fer. Elle devra se contenter du passage en tête d’une échappée matinale de onze hommes que sont Mathias Brändle (IAM Cycling), Tiziano Dall’Antonio (Androni Giocattoli), Andrea Fedi (Neri Sottoli-Yellow Fluo), Francesco Gavazzi (Astana), Romain Guillemois (Team Europcar), Angelo Pagani (Bardiani-CSF), Sergio Paulinho (Tinkoff-Saxo), Jan Polanc (Lampre-Merida), Jérémy Roy (FDJ.fr), Miguel-Angel Rubiano (Colombia) et Paul Voss (Team NetApp-Endura). Un groupe qui, avec onze minutes d’avance au mieux, pourra tenir en tête longtemps, très longtemps. Jusqu’au Berbenno pour les plus forts de l’échappée.

Daniel Martin s’en va accrocher un nouveau monument à son palmarès.

Sans plus aucun point de comparaison avec les parcours du passé, les favoris patientent. Comme ils l’avaient fait dimanche dernier à Ponferrada, attendant les tout derniers kilomètres pour mettre le nez dehors, ce qu’avait su mieux que les autres accomplir Michal Kwiatkowski (Omega Pharma-Quick Step). Le Polonais étrenne aujourd’hui son maillot arc-en-ciel, mais le champion du monde va découvrir le syndrome qui, dit-on, accompagne la tunique irisée. Disons plutôt un sortilège. Caché au sein d’un peloton fortement réduit après le franchissement du Berbenno à 26 kilomètres de l’arrivée, Michal Kwiatkowski devra abdiquer à 10 kilomètres du but, subitement à l’arrêt dans le peloton des voitures suiveuses, une main derrière la cuisse droite révélant un problème physique. Une crampe. Et l’arc-en-ciel s’efface.

Devant, Andrea Fedi, Sergio Paulinho et Jan Polanc sont restés les derniers rescapés de l’échappée du matin. Mais lorsque surgissent de l’arrière, dans la côte de Berbenno (5,5 km à 5,3 %), deux coureurs sortis du paquet, Ben Hermans (BMC Racing Team) et Pieter Weening (Orica-GreenEdge), leur aventure s’achève. Les deux attaquants prennent la main tandis que le peloton est secoué par des démarrages infertiles de seconds couteaux. Aucun favori ne se risquera à se lancer dans une attaque tant la distance qui sépare Berbenno de Bergame présente un frein à la prise d’initiative. Ben Hermans et Pieter Weening en feront d’ailleurs la démonstration. Quand la route se rétrécit à 5 kilomètres du but pour se redresser en direction de la ville haute, les deux de tête sont repris. Après 260 kilomètres, cette 108ème édition du Tour de Lombardie se résumera en une course de côte dans le mur partiellement pavé de la Boccola (12 %).

C’est Tim Wellens qui sera à l’origine de la bonne échappée, qu’intègrent au sommet, juste avant la bascule, Albasini, Aru, Costa, Gilbert, Martin, Rodriguez, Sanchez et Valverde. Les meilleurs sont devant, mais impossible de savoir lequel des neuf est le plus à même de s’imposer dans les rues de Bergame. Profitant de sa position en queue de groupe, Daniel Martin attend son moment. Et soudain, à 450 mètres du but, il démarre. Le vainqueur de Liège-Bastogne-Liège 2013 bénéficie aussitôt de l’effet de surprise. Si près de l’arrivée, personne n’a réagi. Et c’est un nouveau monument que s’en va accrocher à son palmarès le champion irlandais de 28 ans. Laissant Alejandro Valverde et Rui Costa se partager les places d’honneur d’un Tour de Lombardie dont le podium final ne saura refléter un scénario insipide.

Classement :

1. Daniel Martin (IRL, Garmin-Sharp) les 260 km en 6h25’33 » (40,5 km/h)
2. Alejandro Valverde (ESP, Movistar Team) à 1 sec.
3. Rui-Alberto Faria Da Costa (POR, Lampre-Merida) m.t.
4. Tim Wellens (BEL, Lotto-Belisol) m.t.
5. Samuel Sanchez (ESP, BMC Racing Team) m.t.
6. Michael Albasini (SUI, Orica-GreenEdge) m.t.
7. Philippe Gilbert (BEL, BMC Racing Team) m.t.
8. Joaquim Rodriguez (ESP, Team Katusha) m.t.
9. Fabio Aru (ITA, Astana) m.t.
10. Rinaldo Nocentini (ITA, Ag2r La Mondiale) à 14 sec.