Il fallait bien corser un circuit sans le moindre intérêt, et c’est sans doute pourquoi la pluie et des températures frisquettes se sont incrustées aujourd’hui sur la 100ème édition du Championnat de France. Il pleut des cordes dans le Nord, où l’on rebaptisera facilement le site d’accueil de l’événement Saint-Amand-sous-les-Eaux. Ça tombera sans discontinuer, donnant à cette version du championnat une atmosphère automnale, mais apportant aussi un peu de piquant et d’incertitude quant à une course promise d’avance aux sprinteurs. Ce n’est pas une tare. Nos finisseurs n’ont que trop rarement l’occasion de s’affronter pour un maillot distinctif tel que le maillot bleu-blanc-rouge. Et à une époque où ils n’ont plus de complexes à frotter aux stars mondiales du sprint, celui qui héritera de l’étoffe tricolore ne tombera pas… de la dernière pluie.

Le circuit nordiste est plat comme le dos de la main. Pluvieux mais pas venteux. Ça limite les stratégies contraires à celle de l’équipe FDJ-BigMat, la grande favorite du jour, dont l’effectif est le plus imposant au départ et surtout le plus à même de lancer sur un plateau l’un ou l’autre de ses sprinteurs. Le groupe des frères Madiot n’a que l’embarras du choix. Nacer Bouhanni et Arnaud Démare ont autant de chances l’un comme l’autre de vaincre un peloton tout entier au sprint. Et si les autres formations disposent toutes d’éléments capables de venir s’immiscer dans la course au titre dans l’hypothèse d’une arrivée massive, elles ont tout autant intérêt à miser sur d’autres schémas tactiques. Elles le tenteront, sans grande réussite il faut bien l’avouer, chaque attaquant se heurtant au contrôle méticuleux des coureurs marqués du trèfle à quatre feuilles, qui se relaieront sur les quatorze tours de circuit pour décourager les attaquants.

Des attaquants, il y en a pourtant. On en compte six dans le troisième tour (Bessy, Casar, Cumont, Gautier, Malacarne et Riblon), revus deux boucles plus loin. Si ça n’a pas marché de la sorte, peut-être faut-il davantage sortir en nombre ? C’est ce que tente une vingtaine de coureurs avant la mi-course. Mais là encore la FDJ-BigMat est en surnombre et condamne la bonne progression du groupe de tête. Oublions cette option, qu’en serait-il d’une échappée solitaire ? Vous n’y pensez pas ! Kevin Reza (Team Europcar) s’y essaie loin de l’arrivée, ce qui lui permet de gagner jusqu’à trois minutes sur le peloton, mais il ne résistera pas beaucoup plus de temps en tête de course et se rangera à 80 kilomètres de l’arrivée. Il ne reste alors plus qu’une seule alternative, gagnante chez les dames et les amateurs : attaquer dans les deux derniers tours.

Douche froide pour Arnaud Démare, il est sauté par Nacer Bouhanni à 5 mètres du titre.

A ce stade de la course, 32 kilomètres de l’arrivée précisément, il n’y a que des costauds pour oser un tel pari et défier un peloton qui ne perd jamais de vue les nombreux attaquants à se casser les dents. Des costauds et des types qui ont du tempérament, ce qui va souvent de pair, incarnés ici par Sylvain Chavanel (Omega Pharma-Quick Step). Le champion de France en titre démarre dans l’avant-dernier tour, rejoint par Laurent Pichon (Bretagne-Schuller) et Jérémy Roy (FDJ-BigMat), son dauphin jeudi sur le contre-la-montre des Championnats de France ! Il y a là une jolie triplette… mais sur les routes détrempées la malchance s’en mêle. Laurent Pichon glisse, Jérémy Roy avec. Sylvain Chavanel passe mais, seul dès lors pour résister à ses poursuivants, il ne tiendra plus longtemps. La FDJ-BigMat a enclenché et le tenant du titre est happé à 16 kilomètres du but. C’en est fini. Le train est en route, les sprinteurs sur le point de se replacer.

Impeccable toute la journée, l’équipe FDJ-BigMat prépare un sprint de toute beauté pour l’un de ses deux sprinteurs. Arnaud Démare semble être celui pour lequel on court. Dans la dernière ligne droite, c’est en sa faveur que s’écartent tour à tour les étages de la fusée FDJ. Quand le champion du monde Espoirs se dresse puissamment sur les pédales, suivi comme son ombre par son souffre-douleur Arnaud Petit (Cofidis), le maillot bleu-blanc-rouge semble lui être destiné. Mais Nacer Bouhanni ne s’est pas retiré du jeu. Après s’être écarté au profit de Démare, il se replace dans la roue de Petit et profite de son aspiration pour le déboîter. Revenu à la hauteur de son coéquipier, sorti peut-être un tout petit peu trop tôt, il vient le sauter à 5 mètres de la ligne pour empocher le titre de champion de France. Au grand désarroi d’Arnaud Démare.

Les deux sprinteurs de la FDJ-BigMat ne se seront donc pas fait de cadeau. Ils signent à Saint-Amand-les-Eaux le même doublé que celui réalisé quatre jours plus tôt sur Halle-Ingooigem. Adrien Petit complète quant à lui ce podium savoureux, où un garçon de 21 ans précède deux jeunes hommes de 20 et 21 ans ! Tous trois de sacrées promesses. Arrivé chez les pros l’an dernier, Nacer Bouhanni enfile le maillot tricolore. Sprinteur de tempérament victorieux pour la cinquième fois cette saison, celui qui a débuté le vélo à 6 ans en complément d’une activité de boxeur inculquée par son père n’a pas fini de cogner. Il triomphe d’un Championnat de France maîtrisé à la perfection par son équipe FDJ-BigMat. Et malgré la singularité de cette course, on ne peut que souhaiter un nouveau Championnat de France à l’attention des sprinteurs dans les cinq années à venir. Où une revanche entre les héros du jour serait des plus savoureuses.

Classement :

1. Nacer Bouhanni (FDJ-BigMat) les 256,2 km en 5h42’43 » (44,9 km/h)
2. Arnaud Démare (FDJ-BigMat) m.t.
3. Adrien Petit (Cofidis) m.t.
4. Denis Flahaut (Roubaix Lille Métropole) m.t.
5. Sébastien Turgot (Team Europcarv
6. Jimmy Casper (Ag2r La Mondiale) m.t.
7. Fabien Bacquet (Auber 93) m.t.
8. Romain Feillu (Vacansoleil-DCM) m.t.
9. Julien Simon (Saur-Sojasun) m.t.
10. Maxime Le Montagner (Véranda Rideau-U) m.t.