Il y a un an tout juste, Wouter Weylandt hissait les bras au ciel à l’issue de la troisième étape du Giro. C’était un jour aussi ensoleillé que celui-ci et un beau sourire éclairait alors le visage du jeune coureur belge. Comme elles nous semblent loin, déjà, ces images d’un garçon au bonheur communicatif, un type bien, amoureux de son sport, consciencieux dans son labeur. Un lieutenant précieux pour ses leaders, qu’on avait parfois vu saisir sa propre chance, comme ce 10 mai 2010 vers Middelburg, quand il avait réglé au sprint les vingt-cinq coureurs qui l’accompagnaient au sein d’une bordure lancée sur les polders néerlandais. Wouter Weylandt avait 26 ans, un brillant avenir devant lui, et tout un peloton pour amis. Il se sacrifiait pour la réussite des autres, et c’est dans ces fonctions qu’il s’épanouissait le plus au bénéfice de ses leaders.

Wouter Weylandt est mort hier, sur une route de Ligurie. La fatalité a frappé la course rose, qu’un voile noir obscurcit aujourd’hui. Comment pareil drame a-t-il pu arriver ? Les divers témoignages restent encore imprécis sur les circonstances de l’accident. Il restait 25 kilomètres. Le peloton était lancé à toute allure dans la descente du Passo del Bocco. Peut-être le coureur belge a-t-il commis une faute. On dit qu’il se serait retourné, se rapprochant d’un muret sans le voir venir. On dit que sa pédale aurait ripé sur le parapet, provoquant une chute terrible de laquelle il ne se relèverait pas. On dit qu’il serait mort sur le coup, la base du crâne brisée à un endroit où le casque ne pouvait pas le protéger. Un accident dramatique, sur une route technique mais pas foncièrement dangereuse, qui a plongé le monde du cyclisme dans un profond émoi. Wouter Weylandt s’est tué dans l’exercice de sa passion. Il allait être papa en septembre.

Aujourd’hui, le Tour d’Italie porte le deuil. La famille du coureur belge est arrivée hier soir dans la péninsule italienne. Ce matin, c’est le petit monde du vélo qui partage avec elle le chagrin de la perte de l’un de ses enfants. Voilà le peloton orphelin de son dossard 108. Un peloton abattu, désorienté, inconsolable. Au départ de Gênes, du Quarto dei Mille précisément, les concurrents choqués sont sans voix. Le silence s’impose de lui-même. Hier soir, l’organisation du Giro a proposé aux coureurs de choisir eux-mêmes la manière dont ils voulaient rendre un dernier hommage à leur partenaire. D’un accord unanime, la quatrième étape sera neutralisée. Les 206 coureurs accompliront les 216 kilomètres jusqu’à Livourne dans son intégralité mais la course est suspendue. L’heure est au recueillement. La minute de silence va durer six heures.

Un premier hommage rendu solennellement sur la ligne de départ, il faut repartir, et c’est dur, tellement dur. Le visage fermé, dans un silence douloureux, la caravane endeuillée s’élance en convoi solidaire. Les cœurs sont tristes et ils le seront tout au long de cette interminable journée. A un peu plus de 35 de moyenne, les équipes se partagent à tour de rôle le soin de mener le peloton. Toutes se porteront à l’avant à un moment ou l’autre de la journée. Les tifosi s’associent à la peine du peloton. L’Italie toute entière a été touchée par le drame, et l’on voit fleurir un peu partout sur la route des messages de soutien et de reconnaissance envers le courage de ces hommes aux brassards noirs. Car il en faut du courage pour remonter en selle et tâcher, dès demain, de se reconcentrer sur la compétition. A l’approche de Livourne, les Garmin-Cervélo du Maillot Rose David Millar prennent le dernier relais, puis s’écartent au profit des Leopard-Trek.

A 4 kilomètres de l’arrivée, Brice Feillu, Dominic Klemme, Thomas Rohregger, Tom Stamsnijder, Bruno Pires, Davide Vigano, Fabian Wegmann et Oliver Zaugg se rassemblent côte à côte une dizaine de mètres devant le peloton silencieux et respectueux. Aux Leopard-Trek se joint Tyler Farrar (Garmin-Cervélo), voisin et ami proche de Wouter Weylandt à Gand. Un Farrar en pleurs, incapable de masquer son émotion. A quoi bon. Les larmes doivent couler, inutile de les retenir. Et les neuf coureurs profondément émus concluent l’étape les uns à côté des autres, chacun une main posée sur l’épaule de son compagnon. Il y a un an à Middelburg, Wouter Weylandt riait aux éclats. C’était si beau à voir. Aujourd’hui, c’est cette image de lui que l’on souhaiterait garder à tout jamais dans nos cœurs et nos mémoires. Ciao Wouter.