Franck, vous exercez le métier d’entraîneur depuis quatorze ans. Quel a été votre parcours avant de rejoindre l’équipe Bretagne-Séché Environnement ?
J’ai réalisé un Masters 2 Entrainement sportif à Bordeaux puis suis parti à Montréal, au Canada, travailler dans un centre de haute performance qui proposait des services en entraînement à des athlètes de haut niveau comme à des personnes lambdas. J’ai ensuite travaillé pour l’équipe nationale des Seychelles, la Martinique, les Juniors du Centre Mondial du Cyclisme, l’EC Montmarault-Montluçon en DN1. J’ai également vécu deux ans en Chine. Avant d’intégrer l’équipe Bretagne-Schuller en 2009.

L’équipe Fortuneo-Vital Concept, dans sa version 2016, a bouclé vendredi dernier son tout premier stage près de Rennes. Quelle en a été votre finalité ?
L’objectif, c’était de faire connaissance avec les nouveaux coureurs, de voir comment ils fonctionnent en matière d’entraînement, de savoir s’ils sont suivis ou s’ils ont besoin d’être conseillés. Mais aussi de leur présenter comment je fonctionne pour savoir s’il est envisageable que nous travaillions ensemble. Ce n’est qu’à partir de là qu’on peut établir une relation. J’entraîne une dizaine de coureurs, car au-delà ça devient compliqué. Je suis notamment Anthony Delaplace, Brice Feillu, Jean-Marc Bideau, Armindo Fonseca, Florian Vachon, Maxime Cam… Et je vais avoir une étroite collaboration avec de nouveaux venus comme Boris Vallée et Steven Tronet.

Les autres bénéficient d’un entraîneur extérieur à la structure. Sont-ils tenus à vous livrer un retour sur le travail qu’ils effectuent ?
Non, je n’ai pas de retours. Je pourrais en réclamer mais il est difficile de venir se greffer à ce que fait le coureur avec son entraîneur personnel. S’il fait pleinement confiance à son entraîneur, il faut qu’il aille au bout des choses. Pour comparer, quand on est malade, mieux vaut se tenir à ce que votre médecin vous prescrit plutôt que de faire un mix de deux prescriptions. Je m’assure que le coureur est bien pris en charge par un entraîneur et que ce qu’il fait est cohérent. A partir de là, je n’interviens plus.

Avant d’entamer les choses sérieuses au deuxième stage de l’équipe en décembre, ce premier rassemblement était avant tout destiné à intégrer les sept nouveaux coureurs ?
En effet, quand des coureurs arrivent dans une nouvelle structure, la première des choses est de leur permettre de faire connaissance avec leur nouvel environnement. Les coureurs qu’ils ont pu côtoyer dans le peloton et qui deviennent leurs coéquipiers, mais aussi le staff. Il s’agit en outre pour eux de savoir comment fonctionne l’équipe, de prendre connaissance du règlement intérieur, du fonctionnement administratif. Et pour nous de connaître les objectifs de chacun, les courses que souhaitent réaliser les coureurs, afin de constituer le programme de course. Du côté du staff, nous discutons déjà des choses que nous pourrions améliorer pour la saison prochaine.

Après la coupure, le mois de novembre a été consacré à la reprise progressive d’une activité. En quoi a-t-elle consisté ?
Jusqu’à ce premier stage, les activités n’étaient pas proprement liées au vélo de route. Tout en incorporant d’autres disciplines, nous devons maintenir durant l’hiver une certaine qualité athlétique : l’endurance, la force, l’explosivité, les intensités hautes… Il faut prendre en compte que nous sommes tôt dans la saison et que psychologiquement on ne peut pas imposer un entraînement trop cadré et structuré. D’où des activités ludiques qui permettent aux coureurs de sortir de leur contexte habituel. Ça va être du VTT, de la course à pied, de la musculation, et même des sports de duel comme le tennis, le badminton, le squash ou le soccer. Ce sont des efforts très brefs, d’intensité, qu’il est bon d’incorporer de manière très ponctuelle.

La démultiplication d’activités extra-cyclistes durant l’hiver, c’est une nécessité psychologique plus que physique ?
Physiquement, si une saison est bien gérée, on pourrait très bien faire du vélo toute l’année et ne jamais couper. Mais sur le plan psychologique, à la fin d’une saison, le coureur est relativement fatigué de devoir prendre son vélo pour rouler sur des parcours qui sont toujours les mêmes. Le fait de délaisser totalement le vélo pour partir faire d’autres activités dans un autre endroit est bénéfique pour la tête. Tous n’en éprouvent pas le besoin mais en novembre il convient vraiment de se tourner vers d’autres activités sportives, sachant qu’on pourra très bien par ce biais maintenir les qualités du coureur.

Et à la mi-décembre, la préparation hivernale se cantonnera alors uniquement à l’activité vélo…
Petit à petit, nous allons en effet laisser ces activités annexes pour ne se concentrer que sur les activités cyclistes. Du VTT et du cyclo-cross pour travailler la force, et de plus en plus de route, qui ne s’est jusqu’alors essentiellement concentrée que sur de l’endurance afin de maintenir les qualités de vélocité. Nous allons même pouvoir placer quelques compétitions, le but étant de travailler un peu plus intensément sur le vélo.

D’une année l’autre, un ou plusieurs néo-pros rejoignent l’équipe. De quelle manière travaillez-vous dès l’hiver pour leur faciliter la transition entre les rangs amateurs et professionnels ?
Les rassemblements hivernaux nous permettent d’intégrer très rapidement ces jeunes coureurs, comme Franck Bonnamour cette année, aux plus anciens. En tant qu’entraîneur, je dois m’assurer que les néo-pros ont les bonnes manières de fonctionner, que leur entraînement est correct. La période hivernale est très importante. On ne veut pas que les jeunes coureurs se laissent déborder par certaines choses et on s’assure qu’ils pourront bien mener leur travail hivernal.

Plusieurs coureurs de Bretagne-Séché Environnement ont dû mettre un terme à leur saison sur blessure. Cela nécessite-t-il une attention à part au moment de la remise en route ?
Nous profitons effectivement des stage pour réintégrer tous ceux qui ont eu une fin de saison un peu chaotique avec ces blessures. Nous faisons ainsi intervenir des coureurs de retour de blessure comme Anthony Delaplace, qui s’est fracturé le bassin en septembre, et Brice Feillu, qui a souffert d’une micro lésion du cartilage entre la rotule et le fémur. Nous nous assurons que tout va bien et que la charge de travail assez importante qui va intervenir début décembre va leur convenir.

Concrètement, comment définissez-vous avec chaque coureur son programme d’entraînement ?
La première chose à faire est d’établir un programme de course et de le modifier en fonction de ce qu’il a pu faire les années passées si ça n’avait pas trop réussi. Nous cherchons à réaliser un programme cohérent par rapport aux objectifs du coureur, en dégageant des temps de récupération, des temps d’entraînement et des temps de compétition. Une fois tous ces points déterminés, on peut constituer les différentes charges de travail. Le coureur prend alors connaissance de ce qu’il va devoir faire. Il sait à l’avance qu’il va avoir des semaines hyper importantes avec des charges conséquentes à réaliser. Et comme il se devra de les réaliser, il lui appartient de prendre ses dispositions afin de ne pas le faire dans n’importe quelles conditions.

Une fois la saison entamée, à quel rythme intervenez-vous ?
J’interviens de manière hebdomadaire. Chaque semaine, j’envoie au coureur son plan d’entraînement, en fonction des charges de travail et des différentes qualités à développer que nous avons définies au préalable. Je l’appelle au moins une fois pour lui expliquer oralement les exercices. Tous les coureurs fonctionnent aujourd’hui avec un capteur de puissance. Ils me font ainsi un retour de puissance que je vais pouvoir analyser, ce qui va me permettre de savoir ce qu’ils font à l’entraînement. J’ai aussi un regard sur ce qu’ils font en compétition de manière à pouvoir le retranscrire à l’entraînement. Par un suivi régulier des données, il m’est possible de régler les lacunes que j’observe.

La fonction d’entraîneur au sein d’une équipe pro est devenue incontournable en l’espace de quelques années et tout va de plus en plus vite dans votre univers. Quels domaines nouveaux explorez-vous actuellement ?
Depuis cinq ans, tout va très vite en effet dans le domaine de l’entraînement. Les anglo-saxons dominent le cyclisme mondial avec des concepts que nous n’avions pas du tout envisagé il y a quinze ou vingt ans et les jeunes coureurs sont demandeurs. Ça nécessite de se tenir au courant de ce que fait telle ou telle équipe, de sans cesse se remettre en question, pour ne pas être dépassé. On se doit d’être à l’écoute de tout ce qui peut se faire. Actuellement, je travaille en particulier sur la VFC, la variabilité de la fréquence cardiaque, pour laquelle nous avons constitué un logiciel. Je suis persuadé que c’est quelque chose que nous devrions mettre en place et qui peut fonctionner. Quand un coureur te dit qu’il n’est pas en mesure de faire un exercice parce que trop fatigué, il est déjà presque trop tard. La VFC doit permettre de guider le coureur dans ses charges d’entraînement.

L’ère de l’entraînement aux sensations est-elle définitivement révolue ?
Il est devenu rare aujourd’hui de rencontrer un coureur professionnel n’ayant jamais été suivi par un entraîneur. Un coureur peut arriver à très bien se connaître sans entraîneur et ainsi fonctionner seul, mais aujourd’hui, pour mettre toutes les chances de son côté, il devient inévitable de faire recours aux services d’un entraîneur. Ce n’est pas pendant ses moments de récupération que le coureur va aller faire des recheches pour améliorer son entraînement. Le coureur doit se concentrer sur sa tâche et déléguer ces choses là à un entraîneur. Malgré tout il appartient au coureur de faire des retours et donner son point de vue, mais seul il ne pourra pas tout prendre en charge.

Propos recueillis à Bruz le 25 novembre 2015.