Pascal, nous avons vécu cet hiver une situation délicate dans le peloton français après la disparition d’une équipe, Sojasun. Comment jugez-vous cette situation ?
Ce n’est pas facile mais pas totalement noir. Certes, il n’y a pas eu de création d’équipe après le retrait de Sojasun mais nous avons un certain nombre de formations qui sont déjà en place et sont très bien structurées. Nous avons également la chance de voir Europcar accéder au WorldTour, ce qui n’est pas anodin car cela élargit l’effectif. Bien sûr, un sponsor qui disparaît, ce sont une cinquantaine d’emplois qui disparaissent. C’est délicat mais c’est la résultante d’un WorldTour qui, il y a une dizaine d’années, a permis à une trentaine de coureurs de passer professionnels chaque année. Or aujourd’hui le niveau sportif grandit et on s’aperçoit que tout le monde n’avait peut-être pas sa place dans le peloton pro. Un nivellement se fait. Ceux qui ont du potentiel restent chez les pros, mais malheureusement tous n’auront pas trouvé d’emploi. A nous, en tant que syndicat, d’œuvrer pour qu’ils retrouvent un emploi ou se reconvertissent correctement. Nous travaillons sur ces aspects que sont la reconversion et la formation. Vingt-cinq coureurs français suivent actuellement une formation.

Concrètement, comment se manifestent auprès de l’Union Nationale des Cyclistes Professionnels ces coureurs à la recherche d’une équipe ?
Quand on arrive au mois de septembre, nous avons une quarantaine de coureurs au téléphone. A la fois ceux dont le contrat s’achève et qui recherchent une équipe et ceux qui sont sous contrat mais souhaitent suivre une formation. Notre convention collective leur donne droit à un certain nombre d’heures de formation. A nous de travailler avec ceux qui nous appellent pour essayer de trouver les meilleures solutions à leurs problématiques.

En matière de formation, sur quels domaines les orientez-vous ?
Nous n’orientons personne. Nous nous sommes attachés les services de la société MGS reconversion de Maud Mongellas, une ancienne athlète. Elle rencontre les coureurs par le biais d’un entretien privé dans lequel il est demandé au coureur de ne rien cacher de sa situation. Ou bien le coureur sait ce qu’il veut faire, à partir de quoi nous allons travailler avec lui pour l’amener vers la formation qui lui convient le mieux, ou bien il ne le sait pas, ce pourquoi il réalise un bilan de compétences.

Une carrière sportive reste précaire et peut s’arrêter à tout moment. Avez-vous l’occasion de faire passer ce message auprès notamment des plus jeunes ?
C’est une information qu’on leur communique au moment où nous les rencontrons à leur entrée chez les professionnels. Mais nous avons affaire à une population jeune dont la sensibilité n’est pas de penser à sa reconversion. Quand on commence son emploi, on ne pense pas forcément au jour de sa retraite… Le message n’est donc pas facile à faire passer. Ils ne s’impliquent pas suffisamment, je le vois bien, les priorités pour un coureur étant sa santé, son entraînement et sa compétitivité. Sans oublier sa famille. Être coureur, c’est un métier de passion. A partir de là ça laisse très peu de place au reste.

Comment parvenez-vous à dégager du budget pour permettre aux coureurs d’assurer leur reconversion ?
Le cyclisme a été le premier sport professionnel à mettre en place une convention collective digne de ce nom. Aujourd’hui les coureurs pros bénéficient grâce à cela d’une mutuelle, de la défense de leurs droits ou de formations en vue de leur reconversion. Chaque employeur, comme toute entreprise française, cotise. Nous bénéficions ainsi du CIF, du FONGECIF et des AGEFOS. Le budget de l’UNCP, c’est avant tout l’argent des coureurs. Il sert évidemment à leur reconversion. Nous pouvons également utiliser en ce sens la caisse de secours, alimentée par les amendes des coureurs sur les épreuves françaises, et qui peut servir d’aide après un accident du travail etc. Nous ne manquons donc pas de moyens. Jamais nous n’avons refusé de la formation à un athlète qui nous le demandait.

En matière de recettes, pourriez-vous prétendre à un pourcentage sur les droits télévisés ?
C’est un grand débat, en effet. Hors Tour de France, les équipes professionnelles françaises, les partenaires locaux et les organisateurs de courses n’équivalent même pas au budget du Racing Club de Lens… Voilà l’économie du cyclisme français aujourd’hui. Le Tour de France et Paris-Roubaix génèrent des droits télés, pas les autres courses. Les organisateurs doivent payer pour avoir une ouverture de fenêtre sur une chaîne de télévision. Certes, la production du vélo coûte énormément d’argent entre les avions relais, les motos, le personnel, les moyens techniques… Sur le calendrier d’ASO, hors Tour de France, beaucoup d’épreuves perdent de l’argent. Je ne me bats pas forcément pour les droits télés mais davantage pour que les coureurs bénéficient d’une vraie rente journalière sur le Tour. Il n’est pas rare de voir un coureur finir le Tour de France avec moins de 1000 euros de prime.

Brian Cookson a été élu président de l’Union Cycliste Internationale en septembre dernier, c’est un bon point ?
Bien sûr. De Pat McQuaid, nous n’en pouvions plus ! Le changement réclamé de manière unanime ne pouvait passer que par là. Nous n’avions aucun dialogue avec Pat McQuaid. Les dés étaient pipés du début à la fin, les coureurs n’avaient aucun droit de siéger à quelque débat que ce soit. Les coureurs n’avaient plus confiance en l’UCI, c’est lourd comme propos. Aujourd’hui Brian Cookson est à l’essai, nous verrons. Ses propos sont valorisants et attrayants, mais place aux actes maintenant. Après diverses réunions, j’ai tendance à penser que ça va dans le bon sens. Nous avons eu une réunion avec une délégation de quatre coureurs français, Jérôme Pineau, Warren Barguil, Bryan Coquard et Amaël Moinard. Nous avons fait passer un certain nombre de messages et nous avons senti que nous allions dans le même sens.

Une grande réforme du cyclisme est annoncée à compter de 2015, comment l’anticipez-vous ?
Il y a encore du travail, ce n’est qu’à l’état de projet. Une réforme telle que celle-là est importante, il ne faut pas se tromper. Seize équipes appartiendraient à la Classe 1A, ça me paraît bien. Les équipes de Classe 1B auront le même pouvoir en termes d’athlètes. Elles seraient composées de vingt-deux coureurs dans l’équipe première et huit dans la réserve. C’est bien. Ça permettrait à des jeunes de pouvoir progresser normalement. Dans certaines grandes équipes, de jeunes coureurs ne voient pas leur manager de l’année, ce n’est pas sérieux. Certains coureurs ne se côtoient jamais sur une année, ce n’est pas normal. Un calendrier plus cohérent sera important aussi, sans superposition de courses WorldTour comme c’est actuellement le cas. Le public, qui veut un feuilleton sur la durée, ne s’y retrouve plus. 120 jours de course en WorldTour, ce n’est pas possible. Nous allons revenir à 80 jours, certaines épreuves vont être réduites, c’est une vraie révolution. Enfin on retrouvera un classement unique pour les coureurs et c’est fabuleux. Il n’y a que dans le vélo qu’on voit un Thomas Voeckler vainqueur d’étape sur le Tour de France ne pas être classé.

A la réélection de David Lappartient à la présidence de la Fédération Française de Cyclisme il y a un an, il était question de la création d’une équipe multidisciplinaire chapeautée par la fédé, qu’en pensez-vous ?
Ce projet est un copier-coller de ce qui a pu se faire avec Sky en Angleterre. Ce n’est pas forcément un mauvais projet quand on en voit les résultats. Maintenant, il faut essayer de retransmettre cela au niveau français. Le vélodrome de Saint-Quentin-en-Yvelines va être inauguré fin janvier. Un certain nombre de choses vont être mises en place sur le site. L’idée d’une équipe supplémentaire n’est pas mauvaise. Je suis en outre très attaché au maillot de l’équipe de France, qu’on ne met pas suffisamment en valeur. Lorsque vous êtes coureur professionnel et que vous êtes sélectionné aux Championnats du Monde, il doit y avoir une vraie légitimité. Ça doit être une vraie valeur ajoutée. Aujourd’hui ça ne l’est pas. Rendez-vous compte, des coureurs refusent une sélection nationale pour aller à la chasse ! On doit valoriser ce maillot des Bleus.