Emmanuel, la période des vœux se termine demain mais les vôtres semblent déjà tous exaucés. Que peut-on encore souhaiter à l’équipe Bretagne-Séché Environnement ?
Nous avons obtenu notre invitation au Tour de France mais vous savez, c’est comme quand un coureur passe professionnel. Le but premier c’est d’y passer, mais la finalité c’est d’y rester. Maintenant que nous avons un pied dans le Tour, le but du jeu sera d’y rester et de s’y affirmer. Ce n’est pas la compétition la plus facile mais nous avons des valeurs sûres. Au Tour, chaque participant a le droit de penser à gagner une étape. Le général, c’est autre chose. Nous n’irons pas sur le Tour pour ça. Mais gagner une étape, c’est jouable. Je l’ai vécu par le passé avec des coureurs qui avaient peut-être moins de charisme que ceux que j’ai aujourd’hui.

Amaury Sport Organisation a choisi de communiquer sa sélection au lancement de la saison. C’est un poids en moins ?
Nous sommes libérés d’une certaine pression, et on peut remercier ASO pour son intelligence. Pour le respect du sportif, c’est très bien de le savoir de bonne heure. De notre côté, sachant que nous allons disputer le Tour, nous allons pouvoir organiser chaque période entre la compétition, les charges de travail et le repos. Ça nous permettra d’aborder le Tour de France au mieux. Ça m’arrange d’autant plus que mon effectif, avec seize coureurs seulement, tourne régulièrement. Je n’ai pas tellement le loisir de m’écarter des sentiers battus. Dès à présent, je dois concentrer mes coureurs sur le Tour.

Cette sélection pour le Tour a été réalisée sur le papier plutôt que sur le terrain. Le recrutement cet hiver a-t-il été réalisé en ce sens ?
J’ai effectué tout le recrutement moi-même, je l’assumerai toute l’année. L’arrivée des frères Feillu au détriment de certaines têtes bretonnes assurait la promotion de l’équipe Bretagne-Séché. Leur venue y est pour beaucoup dans la consolidation de notre effectif. Maintenant, ce ne sont pas forcément eux qui s’illustreront sur le Tour de France, sachant en plus qu’ils ne sont pas sélectionnés d’office. Je compte d’autres valeurs sûres. J’ai hâte de voir certains de mes garçons sur le Tour, dont le talent mérite d’être connu.

Avez-vous déjà une idée des neuf coureurs que vous retiendrez ?
A ce jour, tout le monde a le droit d’y penser. Aucune place n’est réservée. Maintenant, la sélection des tout jeunes, ceux qui sont pros depuis un ou deux ans, serait une surprise, mais ils ont néanmoins le loisir d’y penser. Je l’ai fait auparavant. Brice Feillu, alors néo-pro, avait gagné avec moi l’étape d’Arcalis en 2009. Ceux qui composeront l’équipe du Tour devront avoir de la maturité et de bonnes capacités en montagne pour penser aller jusqu’à Paris. Fin mars, je serai en mesure d’annoncer entre cinq et six coureurs.

Qu’attendez-vous des frères Feillu ?
Que Romain retrouve la voie de la victoire. Il n’a pas gagné une trentaine de courses chez les professionnels par hasard. Il sort de deux années de disette à cause de pépins physiques. Je souhaite qu’il retrouve la gagne et qu’il montre l’exemple à tous les jeunes, je pense notamment à Erwann Corbel, qui a de réelles qualités de sprinteur mais qui a péché par sa jeunesse en abordant trop le cyclisme professionnel la fleur au fusil. Il a pris de bonnes claques, à lui de s’exprimer en travaillant d’abord pour Romain, avant d’envisager un inversement des rôles. Quant à Brice, il a lui aussi besoin de se relancer. Il est peut-être pour beaucoup dans la sélection de l’équipe pour le Tour de France, mais la sienne est loin d’être acquise, et il le sait. Il devra aller la chercher à la force des mollets.

Vous étiez à ses côtés le jour où il s’est imposé en Andorre. Etes-vous déçu de la suite de son parcours ?
Déçu, non. Avec du recul, je crois surtout que gagner une étape du Tour de France lorsqu’on est néo-professionnel, ce n’est pas le bon cheminement. Il aurait été mieux qu’il gagne au bout de trois ou quatre ans, une fois acquise la maturité qui doit aller avec tout l’engouement que crée une victoire d’étape sur le Tour de France. Brice ne l’a pas fait exprès mais le problème a été pris à l’envers ! Il a pris du plomb dans la tête. Sa carrière a failli s’arrêter fin 2013, et comme c’est un garçon intelligent, je pense qu’il va vite se retrouver. Je le considère aujourd’hui comme un néo-pro.

On a parlé du Tour mais il n’y a pas que ça, comment voyez-vous le reste de la saison ?
Nous avons préparé le début de saison avec l’espoir de gagner au plus vite. On sait très bien que la dynamique d’un groupe se fait sur une victoire rapide. Gagner assez tôt va créer de l’émulation. Ça avait été le cas il y a deux ans, un peu moins l’an passé où nous avons collectionné les 2èmes places. Pour gagner des courses, il ne faut pas avoir peur de perdre. J’espère que des garçons comme Armindo Fonseca, Jean-Marc Bideau ou Florian Guillou vont vraiment se valoriser à leur juste valeur. Nous revenons du Tour de San Luis, une épreuve très difficile mais très bien organisée. Nous avons découvert Eduardo Sepulveda, 6ème du général. Il est tout neuf dans le vélo, sait grimper et aller vite contre la montre. Il manque encore un peu de maturité mais il a les qualités requises pour devenir un bon coureur au classement général des courses par étapes.

Votre rôle évolue dans l’équipe puisque vous venez d’être promu manager…
J’ai pensé que j’étais l’homme de la situation et j’y crois. J’ai la jeunesse, je connais le milieu, et je me sens capable d’assumer ce rôle aujourd’hui. Je ne suis pas lassé de la direction sportive, c’est aussi cela qui me fait vibrer pour le cyclisme, mais je me sens capable d’aller démarcher des partenaires. L’équipe en a besoin même si la région Bretagne et le groupe Séché Environnement sont encore partenaires jusque fin 2015. J’ai déjà des idées, il n’y a plus qu’à concrétiser. J’ai de l’ambition, j’ai envie de faire monter cette équipe au plus haut niveau. J’aspire à la continuation avec Bretagne et Séché Environnement mais aussi l’apport d’éventuels autres partenaires. La porte est ouverte.

Avez-vous un modèle de manager ?
J’ai plusieurs exemples. Chacun a ses valeurs. J’ai un grand respect pour Vincent Lavenu, qui est parti petit et a grandi pour avoir aujourd’hui l’une des plus belles équipes WorldTour. Le charisme de Marc Madiot me plaît aussi beaucoup. Maintenant, je veux être Emmanuel Hubert et m’exprimer en tant que patron.

Quelle est votre ambition à terme ?
Maintenant que nous allons goûter au Tour de France, je souhaite que tous les ans nous nous rendions indispensables. Ça ne doit pas être juste un épisode. J’aime travailler dans la continuité. J’ai toujours cru en ce projet de l’équipe Bretagne-Séché Environnement, bien que j’aie été sollicité de nombreuses fois par d’autres équipes. Peut-être que c’est le petit poucet, mais j’y crois.

Propos recueillis à Rennes le 30 janvier 2014.