Nicolas, diriez-vous que Nino Schurter a perdu la médaille d’or ou gagné la médaille d’argent ?
Sur le moment je commentais en studio à Genève pour la RTS et j’étais désemparé ! Depuis dimanche, j’ai reçu tellement de messages positifs que ça va mieux, d’autant que Nino prend les choses avec philosophie et que j’ai dû me concentrer sur la reprise scolaire car nous avons recommencé d’enseigner le lundi 13 août. Le titre olympique, c’est le graal pour un entraîneur de VTT, et pense que Gérard Brocks (ndlr : l’entraîneur de Julien Absalon) sera d’accord avec moi. Nous l’avons touché sans pouvoir nous l’approprier. C’est frustrant, mais nous devons nous réjouir de cette performance ! Donc Nino a gagné l’argent.

Ne pensez-vous pas que Nino a été un peu trop sûr de lui en lançant son sprint de très loin ?
Clairement non ! A Canberra, il avait battu Julien car il avait réussi à rester sur la ligne idéale celle de l’adhérence, celle nettoyée par les passages successifs des coureurs. Il a pensé à faire la même chose, car sur la gauche, le terrain était plus mou. En fait la ligne idéale était bonne pour tous les passages …sauf le dernier. Mais on est toujours plus malin après la course… A Nove Mesto, Nino bat Kulhavy, mais ça finissait en descente. A Londres c’était différent et Nino avait déjà beaucoup donné.

Justement, ne trouvez-vous pas qu’il a fait beaucoup d’efforts tout au long de la course ? Il a couru comme un vététiste, sans trop calculer, alors qu’il aurait peut-être mieux fallu se préserver ?
Non ! C’était la bonne tactique ! Il fallait faire « exploser » les favoris. On avait peur d’Hermida et de Stander. Mais c’est de Julien que Nino attendait le danger. Suite à la saison de Kulhavy, Nino l’a peut-être un peu sous-estimé. Mais c’est normal car il l’avait dominé toute la saison. Je pense que Nino a couru parfaitement jusqu’à cette maudite dernière petite montée. Je pense surtout qu’il a manqué une ou deux difficultés techniques sur lesquelles il  aurait pu faire la différence comme à Pietermaritzburg.

Quelle était la réaction de Nino Schurter juste après la course ? Il a mis beaucoup de temps pour se relever après son sprint…
Nino m’a téléphoné juste après la course et il était abattu. Mais hier, à Kloten, ça allait beaucoup mieux. Il était souriant et détendu…mais très fatigué !

En ce qui concerne le déroulement de la course, diriez-vous qu’elle a été la plus palpitante épreuve que vous ayez regardée ?
Je pense qu’il s’agit en effet d’une des plus belle course qu’il m’ait été donné de voir avec Canberra 2009. Sans vouloir faire de flatteries, je pense qu’il a manqué Absalon pour que le scénario soit parfait. Mais notre sport a profité de la vitrine olympique et nous sommes fiers d’y avoir contribué.

D’ailleurs, connaît-on les courbes de puissance dégagées par Nino Schurter lors de la course ? Disposez-vous de chiffres comme ça fréquence cardiaque moyenne ?
En course, on n’enregistre rien, jamais. La seule chose que je peux dire, c’est qu’il réussit 8 phases d’une minute à bloc, avec 5 minutes de récupération active entre, avec une moyenne de 700 W.

Troisième à Pékin, deuxième à Londres, 1er à Rio ? Nino pense t-il déjà aux Jeux de 2016 ?
Pour Rio, on a du temps pour en parler. Mais il m’a déjà dit qu’il nous restait 4 ans pour nous préparer. Pourtant, une médaille n’est pas si facile à aller chercher aux Jeux. On l’a vu dans beaucoup de disciplines autre que la nôtre.

Justement, êtes-vous prêts, tous les deux, à repartir ensemble pour une olympiade ?
On n’a pas encore parlé de cela, ni des Mondiaux 2012 non plus… En ce qui me concerne, je verrais bien remettre ça pour 4 ans. J’aimerais surtout faire profiter à de jeunes athlètes  des expériences que nous avons accumulées durant la préparation. En effet, là aussi, ça n’est pas facile d’être au top le jour-J. On l’a vu avec Naef et Vogel. Un entraîneur doit être au moins aussi motivé que « son » athlète. Nino m’a dit un jour : « cette médaille, je crois que tu la veux plus que moi ! »

Au niveau du matériel, Kulhavy qui gagne avec un tout suspendu et en 29″ et qui bat un semi-rigide en 27,5″ qu’est-ce que cela vous évoque ? De même que Julie Bresset qui gagne en 26″ chez les femmes. Vers quelles évolutions de matériel se dirige-t-on ?
Ça montre qu’on parle beaucoup au sujet du matériel…mais qu’il faut surtout savoir pédaler ! Nino a trouvé son vélo, mais Kulhavy a trouvé le sien. Et Julie, elle a gardé celui sur lequel elle se sent bien, malgré tous les tests soi-disant scientifiques qu’on a pu faire. Vogel a aussi trouvé son vélo, mais il n’avait pas les jambes dimanche… Le VTT est un puzzle comportant énormément de pièces, qu’il faut savoir terminer. Il ne peut pas en manquer une.

Les championnats du monde arrivent vite, Nino Schurter va-t-il se remobiliser pour cette échéance ?
Je ne sais pas encore. Pourtant, au vu de sa saison, il reste un des grands favoris pour cet évènement.

Que vous évoque l’abandon de Julien Absalon sur les Jeux Olympiques ?
Lorsque je l’ai vu, avec son sac sur le dos, j’étais vraiment désolé pour lui et pour Gérard Brocks aussi, car l’entraîneur vit avec « son » athlète. Nous, les entraîneurs, nous nous sentons responsables des résultats, aussi quand ils ne sont pas bons. Sans Julien, le VTT cross-country ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui. Le VTT de 2012 est aussi plus propre que ce qu’il était à mon époque. Et c’est grâce à des mecs comme Julien ou comme Frischi (ndlr : Thomas Frischknecht) qui ont prouvé que l’on pouvait gagner au plus haut niveau sans devoir tricher. Je suis content que Julien ait signé chez BMC, un peu égoïstement je l’avoue, car c’est à 15 km de chez moi. J’espère que l’on aura donc l’occasion de se voir et peut-être même de rouler ensemble. En effet mes sentiers d’entraînement passent aussi par là-bas. Par contre, et pour être complètement honnête, je ne voyais pas Julien gagner à Londres car une expérience comme celle qu’il avait vécue à Val d’Isère laisse, à mon avis, plus de traces négatives, au niveau mental, qu’on pourrait le croire…

Le pensez-vous capable de faire une « Tony Estanguet » et de se présenter à Rio pour le titre ?
Capable oui ! Tout est possible. Après, il y a la profondeur de son désir. En tant que père de famille, au bout d’un certain temps, tu vois les choses autrement. Les valeurs auxquelles tu tiens reviennent au premier plan. Sincèrement, je ne crois pas que Julien ait besoin d’une « Estanguet » pour continuer à s’accomplir en tant qu’homme. Ces deux titres olympiques ne vous suffisent-ils pas ? C’est fabuleux et nous sommes admiratifs ! La compétition apporte énormément, mais pour aller à l’essentiel, tu dois passer à autre chose, aux autres, à tes proches afin de les aimer avant qu’il ne soit trop tard…

Propos recueillis le 15 août.