Jean, après avoir connu les débuts du VTT en France, tu t’es souvent envolé pour les Etats-Unis. Quelles ont été tes premières impressions sur le monde du VTT outre-Atlantique ?
J’étais très branché US depuis des années. J’avais déjà des contacts professionnels avec eux. J’y suis allé pour rencontrer des gens. J’avais un pote américain que j’avais croisé en France qui roulait assez fort. Donc mon premier voyage était hors business. Je voulais voir les circuits avant qu’ils ne soient fermés et aller frapper à toutes les portes. J’étais allé voir Gary Fisher ou Bontrager dans son premier atelier, simplement pour discuter, pour croiser des gars qui partaient sur une sortie et rouler avec eux. En revanche pour mon deuxième voyage, j’y suis allé pour parler business. J’ai même failli rester là-bas pour y travailler.

Pourquoi ?
J’aimais bien la Californie. Je parlais anglais et je n’avais pas d’attache en France. J’ai eu ce projet, je suis resté trois semaines là-bas, mais les personnes avec qui j’étais en contact n’étaient pas assez fiables pour que je puisse basculer. Je suis resté en France sans regret. Ma vision des Etats-Unis, c’était ce côté business et surtout le matériel qu’on pouvait y trouver. Tout est venu de là à la base, puis c’est arrivé en Grande-Bretagne et au Japon. En France, il a fallu attendre un peu. Le matériel correct était soit mal distribué, soit trop cher. Il y avait par exemple Mécacycles ou Ferraroli. Les produits étaient bons, mais les marques ont eu du mal à évoluer ou passer la deuxième. Dans le pire des cas, ils se sont même fait bouffer dès que les importations des produits Muddyfox ou Cannondale sont arrivées. Ils n’étaient déjà plus dans la course.

Tu as fait partie de la marque Emery. Raconte-nous l’histoire de cette marque.
C’est une boite qui a aujourd’hui disparu. La marque était spécialisée dans les produits de ski et était l’une des pionnières en snowboard. Un responsable commercial m’a rappelé pour mettre en place ce qu’il n’avait pas été possible de faire chez Look. L’objectif c’était de faire une gamme plutôt milieu ou haut de gamme. On m’a filé les clés, un bout du bâtiment. On m’a dit « dans six à huit mois, on lance une marque. » J’ai engagé les monteurs, créé le design et j’ai fait le tour du monde ! La première année, j’ai dû faire 220 heures d’avion ! J’étais à Taiwan, au Japon, bref partout où il fallait. L’aventure a duré cinq ans. Emery faisait beaucoup de premières montes en snowboard pour Rossignol qui a pris des parts dans la société. Le vélo n’était plus la priorité et ils ont arrêté.

As-tu été marqué par un pilote en particulier durant ces années-là ?
Il y en a deux. Le premier aux Etats-Unis, c’est John Tomac. En France, c’est Jacques Devi. Pour des raisons similaires. Ce sont les deux seuls pilotes dont les spectateurs se demandaient s’ils étaient passés, sans savoir qui était le premier. Ce sont les deux premiers pilotes de VTT performants en montée et en descente. Je m’étais toujours dit quand Jacques a arrêté que les pilotes derrière étaient plus longs. Ou en tout cas qu’ils étaient moins complets. C’est une notion importante pour moi, que l’on a perdu un temps, et que l’on retrouve un peu avec l’enduro. Les pilotes doivent être complets, et les parcours doivent favoriser ces coureurs-là. Je reconnais la grande valeur sportive de gens comme Julien Absalon. Ils se sont adaptés à des parcours qui me font personnellement moins vibrer, même s’ils sont au top physiquement. Après tout aujourd’hui l’enduro qu’est-ce que c’est ? Avec des vélos plus performants et plus de technique, ce n’est ni plus ni moins que l’esprit du VTT, se balader n’importe où, monter et descendre. C’est ce qu’il y a de plus ludique. Cette évolution me paraît saine .

Selon toi, quels constructeurs se sont avérés être les plus visionnaires ?
Au départ, il était clair que c’étaient les Américains, même si certains Européens l’étaient aussi. Si l’on prend Mécacycles et Ferraroli, même s’ils n’ont pas été à la hauteur de ce qu’ils avaient pu poser, ils avaient quand même utilisé leurs moyens et accompli certaines choses. Mais ceux qui étaient visionnaires et commerçants, ce sont les Américains. Que ce soit les Gary Fisher et les Tom Ritchey. Et ce même si aujourd’hui il y a un mélange de vérités et de légendes. Ils ont mis en forme ce qui existait avant. Ils sont allés jusqu’à pouvoir l’industrialiser. Il y a ensuite eu une période où il ne s’est pas passé grand-chose, où chaque constructeur faisait des vélos corrects. Au départ, il fallait savoir faire des vélos qui tiennent. Par la suite, l’enjeu a été de faire des vélos qui soient performants avec les moyens de l’époque. Même si les Américains ont perdu la main au niveau sportif, les nouveautés sont principalement venues de là bas. C’étaient d’abord les freins à disques, puis ça a été le 29″. Les Européens ont des difficultés à mettre en forme les idées qui traînent dans l’atmosphère depuis belle lurette, voire qui viennent au départ d’Europe.

On a souvent dit que les Championnats du Monde de Métabief ont été une date majeure dans l’histoire du VTT…
Majeure, je ne sais pas. Mais c’est vrai que l’organisation et les médias ont passé un cap. Un peu comme quand le Roc a dépassé les plusieurs centaines de participants ou le premier Championnat du Monde officieux à Villard-de-Lans. C’est une étape importante pour les médias oui.

Penses-tu que le VTT puisse un jour concurrencer la route dans les grands médias ?
C’est une erreur que tous les sports « mineurs » font. Ce ne sont pas des sports faciles à couvrir médiatiquement. Cela coûte cher. Ce ne sont pas des sports qui drainent une masse de pratiquants. Il y a certaines épreuves qui sont hors cadre comme le Tour de France, devenu un spectacle populaire dans le bon sens du terme. Il faut organiser les compétitions de manière professionnelle. Mais si on regarde au bord des circuits, qui trouve-t-on ? Les copains des pratiquants, la famille, et les aficionados. Quand les Coupes du Monde ont commencé et que l’on a fait des short track, on s’est dit que la télé allait venir. Mais le sport perd de ses racines et de son intérêt. Le VTT doit les garder et s’est rendu à l’évidence qu’il ne pouvait pas attirer les gros médias. Mais c’est tout de même lié à la taille du sport. La France est un pays de vélo sportif, mais pas d’une pratique massive. Le pays du vélo, c’est l’Allemagne ou les Pays-Bas. Il faut essayer d’organiser le pré dans lequel on est en essayant d’être le plus pro et efficace possible.

Aujourd’hui, quelle est ton activité dans le VTT ?
Je travaille comme indépendant depuis une quinzaine d’années. Au départ, j’étais prestataire de services pour la partie technique, design et suivi de production. C’est le boulot que je faisais avant comme salarié. Mais j’avais soit des gens qui avaient des idées, mais qui ne payaient pas, soit des gens qui avaient de l’argent, mais qui avaient une vision éloignée de la réalité. Je me suis alors concentré sur l’aspect commercial, même si je distribue les cadres Seven. En revanche, je n’ai plus d’activité liée au design.