A force de s’être placés au dessus des autres, Contador et Schleck en oublieraient presque le reste du monde. Dans le bas-monde, dont ils ne font désormais plus partie, les appétits s’aiguisent chez les prétendants au fur et à mesure que les deux antagonistes se toisent. La lumière jaunie qui illumine ces deux astres, pourrait se déposer sur un troisième homme, certes moins glamour et moins prolixe, mais qui patiente gentiment dans l’ombre des deux stars, avec la sagesse d’un coureur qui a déjà gagné deux grandes courses de 3 semaines. On avait quitté le taiseux russe au pied du Colisée, la rage aux lèvres, le poing victorieux après avoir triomphé de la concurrence italienne, représentée par Danilo Di Luca. Après s’être affalé dans le dernier kilomètre du contre-la-montre, il avait explosé devant le public et les photographes, à qui il révélait une nature impulsive jusque-là inconnue. Menchov était tombé dans le piège que lui avait tendu le pavé détrempé de la cité éternelle, avec la même maladresse que ce jour de juillet 2008, où il s’était retrouvé les quatre fers en l’air après avoir lancé les hostilités dans les pentes du Prato Nevoso. A Ax-3 Domaines, Denis Menchov n’a pas tiré à blanc, mais avec un silencieux. Quatorze secondes, pour le gain du Tour de France, ça ne représente rien ou pas grand chose. Mais le geste en dit plus long que le bonus grappillé. Menchov croit en son étoile et il n’est jamais aussi dangereux que lorsqu’il a les dents longues. « Si Contador me parait difficile battable, je peux reprendre du temps à Schleck dans le contre-la-montre. » assène-t-il. Une assurance qui tranche avec le mutisme dans lequel il s’était enfermé à double tour depuis un an, comme pour mieux se protéger des éclaboussures de l’affaire HumanPlasma. Le Russe brillait alors par son absence dans les classements. Son insurrection d’Ax-3 Domaines pourrait être le dernier avatar de la fin de son hibernation. Isolés sur leur nuage, Schleck et Contador n’en ont cure. Dans la montée finale, ils ont laissé le Russe jouer dans leur cour sans pour autant s’en méfier. A écouter le directeur sportif Adri Van Houwelingen, c’est pourtant bien la première marche du podium qu’on vise chez Rabobank. »Si Contador et Schleck continuent à prendre des risques comme aujourd’hui [hier], il faut qu’on en profite et qu’on passe à l’attaque ». Les deux belligérants sont prévenus. Si leur partie de poker menteur dure trop longtemps, Menchov pourrait placer ses pions dans leur dos. Avant de les mettre en joue avec une arme chargée cette fois-ci.

Laurent Galinon