Frédéric avait démarré progressivement à entrainer de manière structurée à partir de l’obtention du tronc commun du Brevet d’État (passé et obtenu en candidat libre) en 2005. Il se limite à 20 coureurs chaque saison afin de pouvoir vraiment travailler qualitativement. Il avoue avoir la chance depuis le départ d’avoir plus de demandes que de places disponibles. C’est presque un luxe en convient-il.

Plus généralement, ce passionné par l’entrainement depuis ses années junior (47 ans aujourd’hui…), se rappelle ses premières pédales Look, son premier cardio ou son premier capteur de puissance (un Polar, il y a plus de 15 ans). Il est même capable de passer des heures à lire des articles sur l’optimisation du rendement d’une chaine avec tel ou tel lubrifiant !

 

Quel est, en général, la motivation de tes coachés quasiment 3 mois après avoir retrouvé la liberté de rouler en extérieur ?

– Elle est grande et elle est restée intacte durant cette étrange période. Mais quand on paye un entraineur la motivation de départ est forcément élevée. Maintenant on va suivre de près cet « après confinement ». Qui paradoxalement me paraît plus délicat que le confinement lui-même. Les coureurs se préparent depuis 8 mois maintenant sans avoir accroché le moindre dossard. C’est long. L’impact psychologique est une inconnue car encore une fois nous avons traversé une période étrange.

 

Par rapport à une saison classique ponctuée de courses, à quel niveau sont-ils en moyenne ? Et entre eux, existe-t-il de grosses différences entre ceux qui ont « fait le métier » et ceux qui ont été démotivé par le report de la saison ?

– Je me méfie d’un niveau en trompe l’œil à ce stade de la saison. Comme mon ami Alban Lorenzini je constate de très bonnes performances sur 5 ou 20 minutes chez la plupart de mes coureurs (tous très motivés et sérieux durant ces derniers mois). Mais ces tests sont des grands classiques et ne donnent qu’une image partielle. Un bon 5 mn c’est bien mais ce qui est intéressant c’est de constater la capacité à faire des efforts après plusieurs heures. Et ça généralement c’est les courses qui nous l’apportent. La différence cette année c’est qu’à la reprise il faudra être opérationnel immédiatement. La nature des entraînements va donc être différentes sur les 6 semaines à venir. Il va falloir être créatif pour simuler ces courses que nous n’avons pas. Et je me régale à l’avance de cet aspect de mon métier. Être créatif c’est une marque de fabrique que je cultive dans mes séances d’entraînement. Avec des nouveautés on stimule plus l’organisme, on stimule aussi le mental en n’ayant pas l’impression de toujours faire la même chose. C’est le retour que j’ai souvent de mes coureurs : l’impression de découvrir de nouvelles séances chaque semaine. Et donc de s’y atteler avec plaisir ; Même si parfois ça n’est pas vraiment le mot !

 

Comment as-tu perçu le rôle de la FFC dans la crise sanitaire, elle qui a notamment semblé légiférer sur la pratique cycliste ?

– Avant toute chose je trouve que c’était bien de ne pas tomber dans le piège de la surenchère. La FFC aurait pu pousser pour obtenir l’autorisation de faire du vélo. Et je ne suis pas persuadé que c’était la bonne option. Ne nous trompons pas de problématique à notre époque. Le souci ça n’est pas le vélo face au Covid. Le souci c’est le vélo face aux voitures. J’emploi le terme souci et pas guerre. Car face aux automobiles elle est perdue d’avance. Est-ce que durant cette période où l’on a demandé un effort collectif en restant chez soi les Français avaient envie de voir des cyclistes sur la route ? Certainement pas. Et de toutes façons la règle – bien que très floue au départ – était de se cantonner à une sortie d’1 heure à 1 kilomètre de la maison. Dès lors la pratique du vélo devenait très très limitée. Mais je pense que nous avons fait un effort d’image vis à vis de la société. Ma préoccupation est l’insécurité routière pour les 2 roues. Elle a véritablement explosé. Je suis effrayé par le comportement de certains conducteurs. Si nous voulons changer la donne nous devons nous aussi faire des efforts sur le vélo. Griller un feu rouge à 30km/h en passant devant une file de voiture à l’arrêt c’est une forme de provocation. C’est l’assurance d’énerver au moins un conducteur qui se dira : le prochain, je ne le laisse pas passer. Non les 2 roues ne sont pas les rois de la route. Le terrain doit être partagé. Donc dans un sens rester dedans a été un plus en termes d’image et ce n’est pas anodin. D’ailleurs la pratique du vélo explose depuis la sortie du confinement.  Je ne sais pas si ça sera durable mais le vélo est vraiment un grand bénéficiaire de cette période.

Reste qu’aujourd’hui la situation au niveau des courses et des clubs va être tendue. C’est là qu’on attend l’aide de la FFC. C’est bien de dire qu’on peut reprendre les courses mais quand il n’y en a pas comment faire ? Ces situations de crise remettent souvent l’église au centre du village. Sans les clubs et leurs bénévoles le cyclisme en compétition n’existe pas. Aujourd’hui, demain, ils vont avoir besoin d’aide. Je suis en club depuis 30 ans. Organiser une course c’est au mieux rentrer dans ses frais. J’ai vraiment peur que beaucoup d’épreuves amateurs disparaissent.

 

Frédéric Ostian en plein effort sur la grimpée de la Bastille au dessus de GrenobleFrédéric Ostian en plein effort sur la grimpée de la Bastille au dessus de Grenoble | © TVS

 

Est-ce que tu te vois au départ d’une cyclosportive, serré à 200 dans un sas ?

– Oui sans aucun problème. Mais quand je dis ça on peut me rétorquer que je défends mon travail. Depuis le départ je suis un « Corona-positif ». C’est peut-être dans ma nature mais je ne voyais pas le monde enfermé 6 mois. Ce qui se passe aujourd’hui semble me donner raison. Même s’il convient de rester prudent. Mais la vie pour celles et ceux qui ne sont pas à risque doit repartir. Tout en veillant à protéger ceux qui le sont. La faillite de la société dans son ensemble ferait infiniment plus de morts que ce virus. La société doit repartir en acceptant de prendre quelques risques. Je ne dis pas que l’économie est plus importante que la vie. Je dis que sans économie la vie est menacée. Je ne supporte pas cette idée d’un monde qui se couvre en permanence et qui veut du risque zéro à chaque instant. Dans la gestion de ce Covid (pas simple quand on est aux manettes) l’enjeu a quand même été souvent de se couvrir. Bravo aux organisateurs de courses qui se lancent. Il faut un sacré courage et une sacrée volonté. Je serai personnellement au départ ! C’est important que la vie économique reparte et le sport – même si cela peut paraître futile et secondaire – en est un acteur important.

 

Pour ta pratique personnelle, comment as-tu géré les 3 derniers mois, c’est à dire la période de confinement puis les 10 semaines correspondant à la reprise en extérieur ?

– J’ai essayé de faire en sorte que mes voisins ne pensent pas que je sois devenu complètement fou. Car le home trainer posé au milieu du jardin face aux montagnes ça peut paraître étrange. Trêve de plaisanteries j’ai fait comme beaucoup : du vélo statique. J’ai appris un nouveau métier en 1 semaine : coach connecté. Je proposais plusieurs séances par semaine en Zwift/Skype. L’idée était de maintenir au moins une séance intensive par semaine. Pour ne pas repartir de zéro après 2 mois. Mais dans un but d’entretien et pas de développement. Donc en balayant toutes les zones I3/I4/I5/I6. C’est la première fois que j’avais une séance commune à tous mes coureurs chaque semaine. C’était très sympa d’avoir en Skype des élites, des cyclosportifs, des VTTistes. Il y avait une super ambiance de groupe. Pour la reprise dehors on est passé par 1 semaine libre avant de repartir sur un plan structuré. Avec comme problématique première le fait de ne pas avoir de calendrier. Donc de ne pas savoir quoi travailler précisément et pour quelle échéance. Le programme était donc assez large sur les zones de travail. Et en avançant il devient plus spécifique. Et évidement à la sortie sur route nous avons remis en place du volume ; En restant raisonnables et progressifs. Même s’il était important de se laisser aller à ses envies en faisant parfois des grosses sorties. Le gros avantage du vélo c’est que les blessures sont rares (en dehors des chutes). Et qu’un coureur ne prenait pas de risques à aller faire 6 heures en ayant fait du home trainer pendant 2 mois. La course à pied oblige à plus de progressivité.

 

Y avait-il une séance fétiche pour garder la forme ?

– La séance du dimanche qui était celle des intensités. Avec parfois une course collective sur Zwift. Voir « ses » coureurs en baver sur son écran de visio en faisant une séance préparée à l’avance c’est « émouvant ». Oui vraiment il y a eu de l’émotion.

 

Comment vois-tu la saison qui devrait démarrer en Cyclosport en août ?

– Presque comme les autres. Avec des coureurs qui vont être très forts et très motivés. Le niveau global va être élevé car tous ont eu le temps de refaire des grosses sorties en extérieur. Mais il est vrai que nous n’aurons pas 2 mois pour nous mettre en route. Ceux qui sont capables de se faire vraiment mal à l’entrainement seront avantagés. Pour être opérationnels immédiatement. Les défaillances liées au manque de courses seront rares. J’en suis persuadé.

 

L'esprit Cyclosportif sur une épreuve de Sport CommunicationL’esprit Cyclosportif sur une épreuve de Sport Communication | © Sport Communication

 

Et les chez les pros, comment vois-tu le spectacle au bord des routes ?

– Là encore je n’imagine pas de réelle différence. Les pros savent se préparer. Ils sont en stage en groupe et peuvent recréer des intensités de course. Et puis ça n’est pas un début de saison. C’est une seconde partie de saison qui commence en plein dans les beaux jours avec des coureurs regonflés à bloc. Ça va donc partir sur les chapeaux de roues. Et forcément le coureur en fin de contrat aura la pression pour se montrer. Il va donc falloir sacrément se battre pour être dans l’échappée du jour !

 

Penses-tu que le niveau physique des prétendants au classement général du Tour sera le même que lors d’une année « normale » ?

– Oui complètement. Avec comme je le disais un avantage à ceux qui savent pousser loin les efforts à l’entrainement. A ce petit jeu Bernal est juste impressionnant. Même si on peut parfois se demander s’il n’y a pas de l’intox dans ce que l’on peut voir sur Strava et les réseaux sociaux. Mais oui la logique sera respectée. Je pense que le contenu de ce qu’ont fait les pros pendant les 2 mois de confinement ne sera pas capital. Les coureurs qui pouvaient aller dehors ne seront pas avantagés à mon avis. Car nous avons eu un long temps de préparation entre la fin du confinement et le début des courses. En revanche des coureurs reviennent plus vite que d’autres à un très bon niveau. Certains ont besoin de courses pour marcher et d’autres non. La clé c’est vraiment la capacité à se mobiliser à l’entrainement. C’est seulement sur ce point qu’il pourrait y avoir des surprises. Mais aujourd’hui avec le capteur de puissance et l’entraineur qui pousse derrière on sait se préparer.

En tout cas ça sera un cas d’école passionnant pour nous les entraineurs. Il sera riche d’enseignements. Et cela pourrait influer sur les préparations des années à venir. Comme par exemple introduire plus de home trainer.

 

L’absence ou au moins la difficulté de proposer des séjours en montagne (nous connaissons les stages aux Canaries qui sont souvent la base pour les coureurs du général) va-t-elle changer la donne ?

– Je ne pense pas puisque les stages ont déjà repris un peu partout. Et qu’il reste encore 1 gros mois avant le début des courses. Je me répète : le seul coureur qui pourrait être perdant est celui qui n’est pas motivé à l’entraînement. Mais aujourd’hui le niveau du cyclisme est tellement élevé qu’il n’en reste pas beaucoup…

 

 

(Suite à suivre vendredi…)