C’était de la folie furieuse. Une image foudroyante qui demandait un temps d’adaptation aux méninges pour se conformer à ce qu’étaient en train de leur envoyer les pupilles. Chris Froome (Team Sky), en jaune, fendait la foule massée dans le dernier kilomètre du Mont Ventoux. Mais on avait beau se frotter les yeux, se claquer les joues : il n’avait plus de vélo ! Chris Froome courait. Oui ! L’Anglais était lancé au pas de course au milieu d’une foule considérable. Et, aussi insensé que cela puisse paraître, il n’avait plus de vélo. L’incident qui venait de se produire avait échappé aux caméras du direct, et le monde entier assistait sans plus rien y comprendre à une scène surréaliste. A un événement encore plus invraisemblable que la descente acrobatique de Peyresourde dont nous avait gratifié le Maillot Jaune samedi ou que le coup de vent qu’il a eu le don d’exploiter avec audace hier en vue de Montpellier.

Le vent. C’était encore l’objet de bien des attentions aujourd’hui alors que, depuis la place montpelliéraine de la Comédie, le Tour s’en allait jouer une autre dramaturgie sur les flancs du Mont Ventoux (178 km). Sur les flancs seulement car le sommet balayé par un puissant mistral était devenu inhospitalier. Des rafales supérieures à 100 km/h et des températures ressenties négatives avaient dès hier soir rappelé les organisateurs à la raison. On ne grimperait pas jusqu’à l’Observatoire. Au lieu de quoi la course ferait étape, pour la première fois, au Chalet Reynard, 6 kilomètres plus bas, ce qui laissait tout de même 9,6 kilomètres à 9,3 % aux cadors pour livrer bataille. Le vent stopperait donc la course à la sortie de la forêt et priverait le Tour de la beauté lunaire qui s’offre aux yeux en s’élevant au-dessus du Chalet Reynard. Dès lors, il avait rabattu à de plus basses altitudes le nombreux public qui, depuis une semaine déjà, avait pris ses quartiers dans la caillasse. Pour venir engorger la forêt domaniale…

Même sur un demi-Ventoux, la course entrait ici dans une nouvelle dimension. Et avant même de grimper à l’abri des sapins et d’une haie fournie de spectateurs, le peloton s’était délesté de nombreux éléments dans les plaines venteuses. Mais au pied du Ventoux, tous les favoris étaient là. Et Chris Froome pouvait encore compter sur deux solides hommes de main (Wout Poels et Sergio Henao) pour assurer sa protection rapprochée. Il allait en avoir besoin, passé le virage de Saint-Estève qui offrait furtivement une vue sur l’Observatoire, pour annihiler deux timides accélérations d’Alejandro Valverde (Movistar Team), qui en annonçaient autant de la part de Nairo Quintana (Movistar Team). Mais le Colombien, maillot fermé jusqu’en haut, n’affichait rien de transcendant et il était vite ramené dans la file des leaders du classement général, qui s’acheminait sans coup férir vers les derniers kilomètres.

Chris Froome lancé à grandes foulées derrière le clan des distancés…

Chris Froome semblait s’en accomoder, lui qui avait lâché quelques longueurs à chacune des réactions de ses équipiers. Mais l’image était trompeuse car à 3,5 kilomètres de la ligne, c’est lui qui passait à l’action. Ce n’était pas la moulinette de 2013, mais c’était suffisamment efficace pour que seuls Richie Porte (BMC Racing Team) et Bauke Mollema (Trek-Segafredo) soient en mesure de suivre le mouvement. Quand Nairo Quintana, qui avait tenté d’y adhérer, avait renoncé sur une seconde accélération du Britannique. Le trio ainsi formé progressait roue dans roue en direction du Chalet Reynard, Porte et Mollema manifestant plus d’intérêt dans l’immédiat pour une place sur le podium que pour la lutte pour le maillot jaune. Que Chris Froome allait quoi qu’il arrive conserver en ajoutant quelques dizaines de secondes à son avantage. Quoi qu’il arrive… Même le plus surréaliste des faits de course !

On était donc en approche du dernier kilomètre. L’endroit où le public en surnombre formait un goulet d’étranglement de plus en plus étroit. Jusqu’à faire soudain piler la moto image ! Richie Porte s’y encastrait, suivi de Froome, Mollema par-dessus. Dans ce brutal coup de frein, une seconde moto était venue écraser le Pinarello du Maillot Jaune qui, sans véhicule d’assistance et, dans un vent de panique, se mettait à se lancer à grandes foulées derrière le clan des distancés (Aru, Bardet, Meintjes, Quintana, Rodriguez, Van Garderen, Valverde, Yates). Emporté par la foule dans sa course folle, Chris Froome acceptait bientôt le vélo de l’assistance neutre mais, sans pédales compatibles, il y renonçait à 400 mètres du but pour enfin être rejoint par le véhicule de son directeur sportif, récupérer un mulet, et finir son invraisemblable ascension vers le Chalet Reynard avec 1’40 » de retard sur l’ensemble de ses adversaires.

Ensemble ou presque car des trois victimes collatérales d’un public en surabondance, Bauke Mollema avait été le seul à parvenir à repartir devant le groupe Quintana. Pour conserver 19 secondes sur la ligne. Un avantage dont allaient finalement bénéficier Chris Froome et Richie Porte après de longues tergiversations. Car pendant une heure, les commissaires se seront arraché les cheveux pour savoir comment sortir de ce cauchemar avec le plus de tact.

Si les pertes (comme les gains) resteront minimes en conséqence, c’est au fond presque à une histoire belge qu’il aura encore été donné d’assister. A l’image du duel livré au bout du compte par Thomas De Gendt (Lotto-Soudal) et Serge Pauwels (Dimension Data), derniers rescapés d’une échappée matinale partie dès la sortie de Montpellier avec Chavanel et Coquard (Direct Energie), Lemoine et Navarro (Cofidis), Lindeman et Vanmarcke (LottoNL), Clement (IAM Cycling), Greipel (Lotto), Keisse (Etixx), Sörensen (Fortuneo) et Teklehaimanot (Dimension Data). Les treize de tête, qui auront compté jusqu’à 18’45 », seront parvenus pour la gagne au pied du Géant. Et quand De Gendt, Navarro et Pauwels auront fait l’ascension devant, le sprint devant le refuge d’arrivée aura couronné Thomas De Gendt, quatre ans après sa victoire d’étape sur un autre sommet mythique, le Stelvio, dans le Tour d’Italie.

Demain vendredi, le premier contre-la-montre individuel attendra les coureurs sur 37,5 kilomètres entre Bourg-Saint-Andéol et La Carverne du Pont-d’Arc.

Classement 12ème étape :

1. Thomas De Gendt (BEL, Lotto-Soudal) les 178 km en 4h31’51 » (39,3 km/h)
2. Serge Pauwels (BEL, Dimension Data) à 2 sec.
3. Daniel Navarro (ESP, Cofidis) à 14 sec.
4. Stef Clement (PBS, IAM Cycling) à 40 sec.
5. Sylvain Chavanel (FRA, Direct Energie) m.t.
6. Bert-Jan Lindeman (PBS, Team LottoNL-Jumbo) à 2’52 »
7. Daniel Teklehaimanot (ERY, Dimension Data) à 3’13 »
8. Sep Vanmarcke (BEL, Team LottoNL-Jumbo) à 3’26 »
9. Chris-Anker Sörensen (DAN, Fortuneo-Vital Concept) à 4’23 »
10. Bauke Mollema (PBS, Trek-Segafredo) à 5’05 »

Classement général :

1. Chris Froome (GBR, Team Sky) en 57h11’33 »
2. Adam Yates (GBR, Orica-BikeExchange) à 47 sec.
3. Nairo Quintana (COL, Movistar Team) à 54 sec.
4. Bauke Mollema (PBS, Trek-Segafredo) à 56 sec.
5. Romain Bardet (FRA, Ag2r La Mondiale) à 1’15 »
6. Alejandro Valverde (ESP, Movistar Team) à 1’32 »
7. Tejay Van Garderen (USA, BMC Racing Team) m.t.
8. Fabio Aru (ITA, Astana) à 1’54 »
9. Daniel Martin (IRL, Etixx-Quick Step) à 1’56 »
10. Joaquim Rodriguez (ESP, Team Katusha) à 2’11 »

Classement par points :

1. Peter Sagan (SVQ, Tinkoff) 309 pt
2. Mark Cavendish (GBR, Dimension Data) 219 pt
3. Marcel Kittel (ALL, Etixx-Quick Step) 202 pt
4. Bryan Coquard (FRA, Direct Energie) 125 pt
5. Michael Matthews (AUS, Orica-BikeExchange) 124 pt
6. André Greipel (ALL, Lotto-Soudal) 114 pt
7. Greg Van Avermaet (BEL, BMC Racing Team) 112 pt
8. Thomas De Gendt (BEL, Lotto-Soudal) 106 pt
9. Alexander Kristoff (NOR, Team Katusha) 92 pt
10. Daniel Navarro (ESP, Cofidis) 90 pt

Classement de la montagne :

1. Thomas De Gendt (BEL, Lotto-Soudal) 89 pt
2. Thibaut Pinot (FRA, FDJ) 80 pt
3. Rafal Majka (POL, Tinkoff) 77 pt
4. Daniel Navarro (ESP, Cofidis) 68 pt
5. Tom Dumoulin (PBS, Giant-Alpecin) 58 pt
6. Rui Costa (POR, Lampre-Merida) 50 pt
7. Serge Pauwels (BEL, Dimension Data) 40 pt
8. Stef Clement (PBS, IAM Cycling) 35 pt
9. Diego Rosa (ITA, Astana) 27 pt
10. Winner Anacona (COL, Movistar Team) 26 pt

Classement des jeunes :

1. Adam Yates (GBR, Orica-GreenEdge) en 57h12’20 »
2. Louis Meintjes (AFS, Lampre-Merida) à 1’42 »
3. Warren Barguil (FRA, Giant-Alpecin) à 3’41 »
4. Emanuel Buchmann (ALL, Bora-Argon 18) à 13’46 »
5. Wilco Kelderman (PBS, Team LottoNL-Jumbo) à 25’27 »
6. Eduardo Sepulveda (ARG, Fortuneo-Vital Concept) à 37’45 »
7. Julian Alaphilippe (FRA, Etixx-Quick Step) à 1h00’58 »
8. Patrick Konrad (AUT, Bora-Argon 18) à 1’06’36 »
9. Tsgabu Grmay (ETH, Lampre-Merida) à 1’31″52″
10. Jan Polanc (SLO, Lampre-Merida) à 1h34’09 »

Prix de la combativité :

1. Thomas De Gendt (BEL, Lotto-Soudal)

Classement par équipes :

1. BMC Racing Team (USA) en 171’28’49 »
2. Movistar Team (ESP) à 3’50 »
3. Team Sky (GBR) à 7’42 »
4. Astana (KAZ) à 22’25 »
5. Ag2r La Mondiale (FRA) à 38’48 »
6. Trek-Segafredo (USA) à 50’18 »
7. Tinkoff (RUS) à 1h03’00 »
8. Team Katusha (RUS) à 1h12’43 »
9. Orica-BikeExchange (AUS) à 1h22’43 »
10. IAM Cycling (SUI) à 1h22’58 »