Un jour sur deux, Daniel Mangeas, l’inimitable voix du Tour, nous confie ses mémoires de speaker, lui qui fut témoin pendant quarante ans de toutes les arrivées d’étapes du Tour de France. Il tirera sa révérence au terme de la 101ème édition le 27 juillet.

« Le Tour 1989 a été pour moi l’un des plus intenses. Ça a été un « à toi, à moi » entre Greg LeMond et Laurent Fignon jusqu’au bout. On en retient les 8 secondes qui les ont séparés sur les Champs mais le duel a commencé très tôt dans cette édition. Greg LeMond s’est emparé du maillot jaune dès le contre-la-montre Dinard-Rennes, sur une distance longue, 73 kilomètres, après cinq jours de course. Puis Laurent Fignon l’en a dépossédé, et cela s’est poursuivi tout du long du Tour. A Villard-de-Lans, trois jours avant Paris, Fignon était en jaune et pour moi il avait gagné le Tour. Mais finalement il y a eu ce formidable scénario final avec le contre-la-montre Versailles-Paris.

Ce jour-là les coureurs montent les Champs-Elysées par le côté gauche pour les redescendre par la droite. Je vois Laurent Fignon passer une première fois en face de moi. J’ai à mes côtés un copain qui chronomètre, et nous nous apercevons qu’à cet instant Greg LeMond a quasiment refait son retard au classement général sur Laurent Fignon ! Si l’arrivée avait été située ici, la victoire serait revenue à Fignon. Mais il faut encore monter les Champs et les redescendre, et malgré un bon contre-la-montre Laurent Fignon va céder là les 8 secondes historiques.

Dans des moments comme ceux-là on a envie de commenter. Mais dans le même temps on est gagné par le stress. On sait qu’on ne doit pas faire d’erreur, qu’il n’est pas question d’annoncer à l’avance la victoire de l’un ou la défaite de l’autre afin de ne pas perturber le coureur dans les derniers hectomètres de course. A ce moment la crispation atteint son paroxysme. Une sorte de flottement envahit les Champs-Elysées pendant un court moment. Personne ne sait vraiment qui a gagné le Tour. J’attendrai donc confirmation de la victoire finale de Greg LeMond avant de l’annoncer au micro. Ce sont des Tours historiques. Au niveau du suspense, ce Tour de France arrive en tête avec celui de 1964 entre Jacques Anquetil et Raymond Poulidor.

Je me suis toujours refusé à faire des pronostics. Je suis une sorte de Monsieur Loyal, et je ne veux pas avoir tel ou tel favori. Maintenant, peut-être que j’aurais aimé une victoire française, quand même, mais ce n’était pas systématique pour tous les Français. A l’inverse Greg LeMond m’avait confié qu’aux Etats-Unis, on est supporter, quel que soit son caractère, du champion du pays. Ce n’était pas paraît-il tout à fait vrai en France, où il avait aussi ses supporters. Personnellement j’aime tous les coureurs. J’aimais autant Laurent Fignon que Greg LeMond, deux champions complètement différents qui avaient l’un et l’autre beaucoup d’orgueil et avec lesquels j’ai vécu des moments très agréables. J’ai eu beaucoup de plaisir à les revoir par la suite. Et je regrette que Laurent nous ait quitté beaucoup trop tôt. »

Daniel Mangeas