« Le Tour avait besoin de Blondin, Blondin avait besoin du Tour, c’était un échange complémentaire », raconte Jacques Augendre, qui partageait son quotidien à bord de la voiture de L’Equipe. Formidable géniteur de la littérature sportive, Antoine Blondin a raconté le Tour, entre 1954 et 1982, comme personne ne le fera plus jamais. Un jour sur deux, nous partageons avec vous les chroniques savoureuses du voyageur de la voiture 101.

Nancy, 5 juillet 1973 – « On a trop de tout », se lamentait jadis un chansonnier paradoxal, à l’époque où le Brésil alimentait ses locomotives en y brûlant son excédent de café. Le moment venu d’établir nos pronostics, pour participer à ce concours que les suiveurs ont institué entre eux aux fins de désigner les coureurs les mieux placés pour le dernier tango à Paris, le même sentiment d’abondance inflationniste nous a plongé dans le marasme des conjonctures sans fondement. La présence de Merckx, filtre et régulateur, par la seule contagion de l’exemple ou dy rythme, décantait d’entrée de jeu des valeurs probables. Son absence libère une sorte de foire d’empoigne où le pullulement des valeurs cotées en course les rend presque impossibles à estimer.

C’est pourquoi nous avons eu recours à l’IFSAP (Institut français de sondage aux pignons publics) pour mener une enquête auprès de « l’homme de la route » et répondre aux questions que se posent nos confrères et une majorité de supporters, avides d’accéder à la vie intérieure du peloton et de connaître ses arrière-pensées.

A la veille d’aborder les premières rampes ascensionnelles, les pourcentages se devaient de parler. Voici quelques résultats, exprimés au triple gallup :

25 % sont contents de leur sort.
18 % ne le sont pas du tout.
22 % trouvent qu’ils ont eu tort
De s’engager… et le reste s’en fout.
Sur les vingt-cinq, dix-neuf sont des grimpeurs.
Sur les dix-huit, cinq n’en voient pas le bout.
Hézard se cherche et Ocaña a peur
Des Espagnols… et le reste s’en fout.
Sur les dix-neuf, huit se sentent très forts.
Sur les dix-huit, sept se sentent un peu fous.
Sur les vingt-deux, six sont, de prime abord,
A la dérive… et le reste s’en fout.
Parmi les huit, Zoetemelk et « Gitane ».
Parmi les sept, Gan-Mercier et « Poupou ».
Parmi les six, ceux qu’un moindre dos d’âne
Fait renâcler… et le reste s’en fout.

REFRAIN
Et tout ça, ça fait
D’excellents Français,
Belges ou Hollandais,
Danois, Portugais,
Des coureurs moyens,
Qui savent très bien
Qu’un jour, c’est tout blanc,
Un autre jour, noir.
Vraiment, c’est troublant,
Essayez pour voir :
25 % attendent que ça grimpe,
25 % attendent la descente,
25 % font confiance en Van Impe.
Le reste, lui, se replie sous sa tente.
Le lendemain, consultons nos barèmes :
25 % attendent l’Izoard
Mais, sachons-le, ce ne sont pas les mêmes,
L’échappé, lui, n’attend que l’isoloir.
Une fois de plus, consultons nos barèmes :
25 % attendent le Grand Soir
Pour triompher, ce ne sont plus les mêmes,
Hormis pour ceux qui ont perdu l’espoir.
100 % occupés par la musette
Cèdent au répit d’une digestion.
L’échappé, lui, savoure en tête à tête
Le charme exquis de la vélo-gestion.

REFRAIN
Tout ça, ça fait
D’excellents routiers,
Parfois des grimpeurs,
Gars du Galibier,
Parfois des rentiers,
Qui lèvent le pied,
Suivant, telle une ombre,
La loi du grand nombre,
Fondus dans la horde,
Où nul ne s’accorde.
23 % ont flairé la déroute
Après Roubaix et son jeu de massacre.
Pour 10 % il ne fait aucun doute
Que, depuis Reims, l’affaire est dans le sacre.
Pourtant certains, poussant à la retape,
Dans le secret préparent un commando.
Mais le restant occupe son étape,
A la lecture de Chany-Hebdo.
Le Tour veut donc que la couleur du jour
Ne soit jamais celle du lendemain,
Que, dans son sac, il y ait plus d’un Tour
Pour qui prend son vrai courage à deux mains.
Quand tout est fait et que tout reste à faire,
33 % parce qu’ils ont la flemme,
Feraient mieux d’abandonner les affaires
Et « d’employer la laque de leur femme ».
(Au refrain, ad libitum.)

Antoine Blondin